(Mutations 31/08/2010)
Par «erreur», la banque centrale a transféré plus d’argent qu’il n’en fallait au pays d’Obiang Nguema, qui refuse de rembourser le trop perçu.
Jeudi dernier, 26 août 2010, la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac) a affrété un jet privé pour Malabo, capitale de la Guinée Equatoriale. A bord de cet avion, le vice-gouverneur de la Beac, Brahim Tahir, conduisait une délégation de quatre personnes devant rencontrer Baltasar Engonga Edjo, le ministre équato-guinéen des Finances, pour négocier le remboursement d’une somme de 7 milliards de Fcfa représentant le «trop perçu» d’un transfert de fonds effectué par la banque centrale en faveur du Trésor équato-guinéen il y a un an. Une fois à Malabo, indiquent des sources très bien informées, la délégation de la Beac s’est entendue dire par le ministre Engonga Edjo que la Guinée Equatoriale n’était pas sûre de devoir quoi que ce soit à la Beac.
Au surplus, ce membre du gouvernement équato-guinéen a demandé au vice-gouverneur de la Beac et à ses collaborateurs de constituer une délégation de comptables de la banque centrale, qui viendrait à Malabo travailler aux côtés des comptables du Trésor national à éplucher toutes les pièces comptables relatives aux transferts de fonds entre ce pays et la Beac sur la période incriminée, afin d’établir si oui ou non la Guinée Equatoriale a perçu plus d’argent qu’il n’en fallait. Un rapport de ce comité conjoint de vérification sera alors adressé au ministre des Finances, Engonga Edjo, qui le transmettra ensuite au président Obiang Nguema, lequel décidera de rembourser ou non, selon les conclusions du rapport.
Vendredi dernier, 27 août 2010 dans l’après-midi, la délégation que conduisait le vice-gouverneur de la Beac est donc revenue à Yaoundé bredouille, après les victoires remportées auprès des gouvernements centrafricain et camerounais, qui, selon nos sources, ont respectivement remboursé, au mois de mai dernier, 3 et 8 milliards de Fcfa à la Beac. Sommes représentant le «trop perçu» par les trésoreries nationales de ces deux pays, suite à «des erreurs» commises lors des transferts de fonds effectués en leur faveur par la Beac.
Vérifications légitimes
Mais, comment en est-on arrivé là? En effet, apprend-on de très bonnes sources, depuis au moins un an, la Beac fait face à une insuffisance de ressources consécutive à la baisse des retombées de ses produits.
A titre d’exemple, au 31 décembre 2009, la banque centrale affichait une perte sèche de plus de 20 milliards de Fcfa, et en cette année 2010, la Beac a déjà perdu 31 milliards de Fcfa au 30 juin 2010, selon le constat effectué par le comité de rémunération qui enquête au siège de cette banque centrale depuis plus de deux semaines. Ces pertes sont consécutives, a-t-on appris, à la baisse drastique et unilatérale (la décision a été prise par la partie française) du taux d’intérêt sur le compte d’opération de la Beac logé au Trésor français, lequel taux est passé de 2,75 à 1%. Soit une baisse de 60%.
A côté de cette décision des autorités françaises qui rémunèrent désormais moins les dépôts de la Beac, l’on peut subodorer que la banque centrale ne fait plus tourner sa salle de marché (service chargé de placer les avoirs de la Beac sur les marchés internationaux contre rémunération sous forme d’intérêts, qui constituent l’une des sources de revenus les plus importantes de cette banque centrale) avec le même rythme qu’avant, depuis la révélation en 2008 du placement à risque à la Société générale. L’on se souvient que ce placement effectué sous le gouverneur Philibert Andzembé, avait fait perdre à la Beac 16 milliards de Fcfa.
Face à cette baisse des ressources que lui procurent ses produits, d’une part, et l’obligation de jouer son rôle de pourvoyeur de fonds aux Etats-membres qui la sollicitent, d’autre part ; la Beac, affirment nos sources, a décidé d’utiliser les dépôts spéciaux, notamment le compte des générations futures renfloués par les Etats, pour satisfaire les besoins financiers des différents pays de la Cemac. C’est ainsi qu’à la demande des Etats, l’argent du compte des générations futures leur est prêté contre une rémunération de 5%. Et selon nos informations, les différents remboursements se sont effectués sans anicroche jusqu’ici.
Il se trouve simplement qu’il y a un an, à l’issue d’un pointage des fonds transférés à partir de ce compte en faveur des Etats demandeurs de financements, la Beac s’est rendue compte qu’elle avait, «par erreur», transféré plus d’argent qu’il n’en fallait à trois pays : le Cameroun, la République centrafricaine et la Guinée Equatoriale.
A en croire nos sources, il n’a pas été très difficile de récupérer, en mai dernier, les 8 milliards indûment transférés au Trésor camerounais, ainsi que les 3 milliards de Fcfa de trop perçu encaissé par le Trésor public centrafricain.
La Guinée Equatoriale, elle, impose des vérifications préalables somme toute légitimes, mais qui vont certainement retarder la rétrocession de ces fonds à un moment où la Beac a plus que jamais besoin d’argent.
Erreurs ou tentatives de détournements ?
Depuis le sommet des chefs d’Etat de la Cemac de Bata en 2006, la Guinée Equatoriale est le pays qui alimente le plus la chronique autour de la gestion de la Beac. Une fois devenu le propriétaire de plus de 40% des réserves de change de cette banque centrale, le pays d’Obiang Nguema, après avoir obtenu le démarrage du chantier de la réforme de cette institution financière régionale, a continué à batailler et a finalement pris en janvier dernier le contrôle de la Beac, en catalysant le retrait du poste de gouverneur au Gabon et la nomination à ce poste de l’équato-guinéen Lucas Abaga Nchama. Voilà que la Guinée Equatoriale refait parler d’elle, cette fois-ci en refusant, du moins pour l’instant, de rétrocéder un trop perçu à elle transféré par la Beac.
Au demeurant, si l’on a souvent hâtivement accusé le nouvel émirat pétrolier de la Cemac de revendications hégémoniques égoïstes dans la gestion de la Beac, voire de chantage (lors du sommet de Bangui, le président Obiang Nguema a menacé de quitter le sommet si un équato-guinéen n’était pas nommé à la tête de la Beac) chaque fois que ses désidérata ne rencontrent pas l’assentiment de ses frères de la Cemac, peut-on raisonnablement condamner le pays d’Obiang Nguema d’exiger des vérifications préalables avant tout remboursement de présumés trop perçu ?
En effet, d’où vient-il qu’une banque centrale sensée utiliser des technologies de pointe pour ses opérations, et employer des experts aguerris au regard de la délicatesse de ses missions, en soit à commettre «des erreurs» qui lui font perdre jusqu’à…18 milliards de Fcfa (8 milliards de trop perçu pour le Cameroun, 3 milliards de Fcfa pour la Rca et 7 milliards de Fcfa pour la Guinée Equatoriale) ?
Au regard de la dextérité avec laquelle les détournements au bureau de Paris (19 milliards de Fcfa) ont été opérés, du niveau d’implication au moins indirect des plus hauts responsables de cette banque centrale et des maquillages des comptes qui s’en sont suivis pendant quatre ans (2004-2008), ces «erreurs» commises dans les transferts des fonds de la Beac vers certains Trésors nationaux sont-elles de simples «erreurs» commises de bonne foi ou alors des tentatives de détournements que l’on essaye simplement de rattraper ou de camoufler ?
A la découverte de «ces erreurs», les auteurs ont-ils été au moins sanctionnés au regard des conséquences de leur faute qui entame davantage la crédibilité de cette banque qui manipule tout de même les avoirs de six Etats? Loin de tout acharnement contre cette prestigieuse institution qu’est la Beac, qui s’est elle-même mise sous les feux des projecteurs depuis bientôt deux ans en alimentant la chronique des scandales, ce sont là autant de questions que l’on est fondé à se poser dans cette affaire, qui, on l’espère, ne débouchera pas sur un nouveau scandale.
Brice R. Mbodiam
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