mardi 31 août 2010

R.D.C. -Minerais de sang: Les sociétés installées en Belgique indexées

(Le Potentiel 31/08/2010)
Le Sénat Belge vient de relancer la polémique sur le commerce illicite des minerais exploités illégalement dans la partie Est de la RDC. Dans un rapport datant du 5 mai 2010, sa commission en charge des relations extérieures et de la défense est arrivée à relever des faits qui impliquent ouvertement la Belgique dans l’exploitation et le trafic des richesses naturelles de l’Est de la RDC.
La Belgique serait-elle devenue la nouvelle plaque tournante des minerais du sang ? En tout cas, le Sénat belge est formel sur le sujet et note dans son rapport que Bruxelles héberge les sociétés les plus dominantes du commerce des minerais exportés frauduleusement à partir de l’Est de la RDC. Le rapport, rendu public depuis le 5 mai 2010 par le Sénat belge, et dont une copie est parvenue à notre rédaction, apporte un nouvel éclairage dans les conflits récurrents qui fragilisent la partie Est de la RDC.
Le commerce illicite n’est pas alimenté que par des groupes anglo-saxons opérant au travers des sociétés écran basées dans les pays frontaliers, particulièrement au Rwanda, en Ouganda, avec quelques ramifications au Kenya et en Tanzanie. Des Organisations non gouvernementales, telles que Global Witness, s’étaient totalement investies pour amener les gouvernements occidentaux, notamment celui de la Grande-Bretagne à prendre des sanctions en vue de décourager certaines de leurs entreprises. Tout récemment, l’administration Obama a répondu à l’appel pressant des ONG internationales par la promulgation de la loi Dodd-Franck sur la réglementation du commerce des minerais en provenance des zones de conflits de l’Est de la RDC.
LES MASQUES SONT TOMBES
Ce rapport projette au devant de la scène l’autre face de la nébuleuse qui s’est créée autour de l’exploitation illicite des minerais de l’Est. Jusqu’à une date récente, la Belgique, ancienne puissance coloniale, était à l’écart du vaste commerce des minerais qui s’est développé dans la partie Est de la RDC. Personne ne pouvait la soupçonner. Cependant, le rapport de la commission du Sénat en charge des relations extérieures et de la défense qui a travaillé sur le sujet entre le 15 décembre 2009 et le 5 mai 2010 vient de lever un pan de voile sur l’implication réelle de certaines entreprises installées en Belgique dans les réseaux maffieux qui se sont développés à l’Est de la RDC.
En liminaire à ce rapport, les rédacteurs précisent : « Le groupe de travail était chargé de faire rapport de ses activités dans le courant du mois de juin 2010. À cause de la fin anticipée de la législature, le groupe de travail n'a plus été en mesure de terminer ses travaux. C'est pourquoi le présent rapport ne contient que le compte rendu des auditions qui ont été organisées ». Même si le rapport ne contient que « le compte rendu des auditions » durant la période de l’enquête, il a néanmoins l’avantage de démasquer les vrais acteurs du commerce des minerais du sang, ceux supposés alimenter la guerre à l’Est de la RDC.
Le rapport note, notamment, que « les comptoirs vendent leurs minerais à des traders. Les plus grands volumes sont exportés vers la Belgique, ce qui veut dire en pratique qu’ils sont achetés par des traders établis en Belgique en vue d’être expédiés chez des fondeurs établis en Asie. A Goma où les plus grands volumes sont exportés, les traders Traxys et Trademet, établis en Belgique, sont de loin dominants ».
Dans un autre registre, le rapport fait remarquer que « la chaîne de production, de transport et de commercialisation est très diversifiée ; elle implique de nombreux acteurs et est calibrée sur l’exportation ». Se servant généralement des éléments des Forces armées de la RDC et d’autres issus de rang de CNDP de Laurent Nkunda, depuis lors intégrés dans l’armée régulière, « des entrepreneurs belges dirigent notamment des sociétés d’exportation (WMC et MDM à Bukavu) et une importante société de transport (TMK à Goma) », rapporte le Sénat belge. « Enfin, il apparaît que la grande partie des minerais est achetée par des entreprises belges, qui servent que de courtier. N'y a-t-il pas d'autres entreprises, non belges, qui jouent ce rôle ? Ou jouent-ils ce rôle de l'autre côté de la frontière ? », s’interroge le rapport.
Par ailleurs, le rapport est stupéfait par l’implication avérée des ex-éléments CNDP brassés dans l’armée nationale. « Lorsque les FDLR ont disparu de certaines mines, elles ont été remplacées des composantes de l'armée congolaise qui viennent du CNDP. Est-ce dès lors vraiment réaliste d'avoir des fonctionnaires qui contrôlent dans les mines, alors qu'une autre composante de l'autorité de l'État vit sur ces mines ? », relève le Sénat belge.
Pour le Sénat belge, après leur brassage dans les FARDC, les éléments du CNDP contrôlent sous un sceau officiel le circuit des minerais de l’Est, de l’exploitation jusqu’à l’exportation, via la Belgique.
Concernant le circuit d’exportation des minerais de l’Est, le Sénat belge relève quelques particularités. Ainsi, pour la société Traxys, établie à Bruxelles, le rapport note qu’elle a été fondée par Arcelor Mittal et Umicore, mais elle est contrôlée par Private Equity depuis 2006. Trademet, par contre, établie à Grez-Doiceau, est une société interpersonnelle (avec une société soeur en Grande-Bretagne. « La société SDE, également établie à Bruxelles, appartient, note le rapport, au groupe américano-congolais Blattner ». « SDE, précise le rapport, fournit essentiellement des services à diverses filiales du groupe Blattner au Congo. Elle s’approvisionne exclusivement auprès du comptoir Sodexmines à Goma, qui fait partie du même groupe ». Enfin, STI, établie à Berchem, est une société, souligne le rapport, unipersonnelle. Les autres négociants, non répertoriés dans le rapport, sont Afrimex (Royaume-Uni), Tengen, AMC/Thaisarco, …
UN SECTEUR DESARTICULE
Le secteur minier dans l'Est de la RDC subit des pressions (internationales), parce que les achats de minerais financeraient des groupes armés, réguliers ou non, ce qui entretiendrait la situation de quasi-guerre dans la région. Plusieurs rapports ont soutenu cette thèse ces dernières années. Ce qui a conduit à l’appellation de minerais du sang.
En décembre 2008, le Groupe d'experts des Nations unies a cité nommément plusieurs comptoirs à Bukavu qui préfinancent des négociants, lesquels achèteraient à leur tour des minerais « contaminés » provenant des sites miniers contrôlés par les FDLR. Il s'agit des comptoirs Groupe Olive, Ets Muyeye, MDM (Mudekereza & Defays), WMC (Kitambala) et Panju.
À Goma, le comptoir Munsad (Munyarugerero) était lié au CNDP de Laurent Nkunda.
Les ONG anglo-saxonnes Global Witness (basée à Londres) et Enough (basée aux États-Unis) mènent une campagne appelant à des mesures de lutte contre ces pratiques.
La loi Dodd-Frank adoptée par le Parlement américain vise, entre autres, à interdire l'importation de minerais du sang provenant de la RDC. Aux Pays-Bas, le parlementaire du PvdA Martijn Van Dam a lancé, à la fin de l'année 2008, une pétition sur Internet destinée à appuyer un plaidoyer en faveur d'un embargo. Depuis un temps, la communauté internationale a accentué la pression pour une certification des minerais en provenance de ces zones de conflits. Par analogie avec le processus Kimberley prévu pour le secteur du diamant, il s'agirait d'octroyer des certificats aux « minerais propres », de manière à exclure les minerais contaminés des circuits agréés du marché.
Malgré les dernières révélations du Sénat belge sur l’implication des sociétés basées en Belgique dans le commerce illicite des minerais à l’Est, il y a des questions sur lesquelles l’on aimerait voir le gouvernement belge se prononcer avant qu’elle ne connaisse le sort du Congo/Brazzaville qui s’est vu exclu du processus de Kimberley en jouant un double jeu.
Bruxelles devrait montrer patte blanche, notamment en emboîtant le pas aux Etats-Unis qui ont durci leur législation en vue de décourager les entreprises qui se sont investies dans le commerce des minerais du sang dans l’Est de la RDC.
Par Le Potentiel
EDITORIAL: Minerais de guerre.
L’idée a fait du chemin, et aujourd’hui, elle est sur le point de réunir l’unanimité. De quoi s’agit-il ? Tout naturellement de la mise en œuvre du processus de traçabilité des minerais exploités dans les Grands Lacs et commercialisés à travers le monde. Commerce assorti de ce revers qui consiste en ce que les revenus de ce business ont servi à alimenter les guerres qui endeuillent cette partie de l’Afrique dont le ventre mou se trouve être la RDC.
Bien plus, les Etats de la sous-région en ont souffert profondément. C’était une vraie gangrène qui a créé et entretenu des seigneurs de guerre de tous acabits dont les velléités n’ont pas totalement disparu. Aussi en est-on arrivé à parler des minerais du sang dont des puissances étatiques et d’argent n’ont cessé de tirer profit depuis plus d’une décennie.
Ce profit, somme toute sale, s’est accompagné de la commission des massacres, des exactions et des atrocités à grande échelle sur des populations civiles innocentes. Sans compter le déplacement, voire l’errance des populations entières.
Avec le temps, l’idée de la traçabilité est en train de prendre forme. Les Etats-Unis ont voté une loi qui fait obligation aux compagnies dont les produits contiennent de la cassitérite (minerai d’étain), du coltan, du wolframite et de l’or de faire savoir au service compétent, en l’occurrence à la Securities and Exchange Commission(SEC) qu’elles se procurent ces minerais en RDC ou dans un pays voisin.
Lesdites compagnies devront aussi préciser les mesures qu’elles ont prises pour éviter que ces minerais proviennent de groupes armés congolais, coupables de massacres et d’autres atrocités.
Faisant suite à la loi américaine, les pays membres de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) ont projeté une rencontre au sommet en novembre prochain dans la capitale congolaise. Au menu, l’éradication de l’exploitation illégale des ressources naturelles dans les Grands Lacs. A l’issue de leur réunion préparatoire, les experts de la CIRGL ont indiqué que le rendez-vous de Kinshasa sera une occasion extraordinaire pour les pays des Grands Lacs d’adopter des mesures dans le but non seulement de réprimer les pratiques qui maintiennent les conflits dans la région.
Cette démarche est l’application de l’article 9 du Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la région des Grands Lacs, lequel recommande la mise en place d’un mécanisme régional de certification de l’exploitation, de l’évaluation et du contrôle des ressources naturelles.
Toutefois, certaines zones d’ombre persistent quant au parti que la RDC pourrait tirer réellement de ce mécanisme du fait de la suppression des barrières. Les sceptiques recommandent la prudence du côté de Kinshasa, étant le principal, sinon le seul producteur de tous les minerais dits de la guerre.
Par Le Potentiel

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