mardi 12 mai 2015

A Bangui, la fin troublée du Forum de réconciliation nationale

« C’est la réunion de tous les possibles et de tous les dangers », estimait un diplomate influent peu après l’ouverture du « Forum national de Bangui ».« Si l’on manque ce rendez-vous, je crois que c’en sera fini de notre pays »,ajoutait alors un officiel centrafricain. Reportée à plusieurs reprises depuis décembre 2014, la semaine de conclave qui s’est achevée, lundi 11 mai dans la capitale centrafricaine, aura généré autant d’espoirs que de frustrations.
Censé baliser le chemin jusqu’à de futures élections et nouer les fils de la réconciliation dans un pays qui vient de subir trente mois d’un conflit politique prenant progressivement le masque d’une guerre de religions entre chrétiens et musulmans, ce forum aura déjà permis de confirmer que les scrutins présidentiel et législatif ne se tiendront pas cet été et d’arracher à des groupes armés de plus en plus fragmentés, ex-Séléka (la rébellion qui avait renversé François Bozizé en 2013) et certaines factions anti-Balaka (opposants de la Séléka), un accord de désarmement.
Lors de ces huit jours, sûrement trop courts pour réaliser une grande catharsis nationale et purger toutes les haines, il y aura eu des poignées de main entre belligérants, quelques coups de poings et de nombreux coups de gueule. « Il y a eu beaucoup de cacophonie mais déjà on a vu côte à côte de grands tueurs et leurs victimes. C’est l’une des réussites de ce forum », considère l’ex-premier ministre André Nzapayeké.

Inéligibilité des responsables des conflits

Les travaux de plus de six cents délégués, divisés en quatre ateliers – « paix et sécurité », « justice et réconciliation », « gouvernance » et « développement économique et social » –, ont abouti à une masse de recommandations. Cela va de « la lutte contre l’impunité par la traduction des auteurs et complices des crimes », qui pourraient être jugés par la Cour pénale internationale ou par la Cour pénale spéciale (un tribunal mixte composé de magistrats locaux et internationaux qui devrait voir le jour dans les prochaines années), à « l’inéligibilité des responsables politiques auteurs des conflits », ou bien encore « l’interdiction systématique de la prise de pouvoir par les armes ». D’autres recommandations telles que « la construction d’un centre d’exposition et de vente des objets d’arts » ou « la création d’une école d’hôtellerie » laissent songeur dans le contexte actuel.
Encouragé et applaudi par les principaux diplomates en poste dans le pays qui voient là un événement historique, ce forum pourrait tracer les contours de la réconciliation. Encore faudra-t-il que ses conclusions les plus fortes ne restent pas lettre morte comme le furent celles des précédentes rencontres du même ordre tenues en 2003 et 2008. Le non-respect de la parole donnée a fait le lit des rébellions qui secouent la RCA depuis plus d’une décennie. L’éviction des débats de l’ancien chef de l’Etat François Bozizé et de son tombeur Michel Djotodia, qui le mois dernier ont signé au Kenya une déclaration de bonnes intentions, remet par ailleurs en cause le caractère inclusif de la rencontre.

Report des élections

Catherine Samba-Panza, elle, va pouvoir conserver les rênes de la présidence quelques mois de plus. Si elle a fait part, lundi, de son « désir de voir les élections se dérouler au plus tard avant la fin de l’année » alors qu’elle les promettait une semaine plus tôt pour cet été, les délégués du forum ne se sont pas prononcés sur la date de cette échéance attendue par des dizaines de candidats à la présidentielle persuadés de rafler la victoire. Parmi les hommes pressés d’en découdre devant des électeurs qui n’ont toujours pas été recensés, Anicet Dologuele s’inquiète comme bien d’autres qu’« aucune limite de la transition n’a été fixée et certains de ses acteurs qui seront inéligibles jouent la montre pour ne pas perdre leurs prébendes ».
Autre sujet d’inquiétude, l’accord de Désarmement, démobilisation, réintégration et rapatriement (DDRR) des combattants a été signé dimanche par les représentants politiques de dix groupes armés sous la pression des diplomates et du gouvernement. Aussitôt, plusieurs commandants militaires de l’ex-Séléka ont fait par de leur colère, estimant que leurs revendications n’avaient pas été entendues. Le lendemain, des chefs anti-Balaka ont repris la même antienne.
Lundi, alors que dans l’enceinte de l’Assemblée nationale était célébrée la marche vers la paix, des affrontements ont éclaté devant les grilles du bâtiment entre forces de l’ONU et des manifestants réclamant la démission de la présidente de transition. Les anciens ennemis, anti-Balaka et ex-Séléka, se sont donnés la main pour faire entendre ensemble leur fureur. Plusieurs quartiers de Bangui ont alors renoué avec les barrages, les jets de grenades et les détonations d’armes à feu.
lemonde.fr

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