(L'Observateur Paalga 25/08/2010)
Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’honneur d’avoir en exclusivité un homme d’Etat en route pour la magistrature suprême de son pays. En cela, la rencontre ce lundi 23 août dernier sur le coup de 18 heures à l’hôtel Laico de Ouaga 2000, avec Cellou Dalein Diallo, arrivé en tête au premier tour de la présidentielle en Guinée avec un score de 44% devant Alpha Condé (18%), nous extirpait quelque peu de la grisaille habituelle par son caractère exceptionnel.
Une fois dans l’enceinte de l’hôtel et invité à le rejoindre dans sa suite présidentielle, on s’attendait à avoir affaire à une armée d’hommes de sécurité qui nous fouilleraient de fond en comble, de conseillers en communication, bref de collaborateurs qui tenteraient un tant soit peu de justifier leur présence auprès du chef. Rien de tout cela. Il y était seul. Né le 3 février 1952, cet économiste de formation et homme politique par vocation qui, après une dizaine d’années passées dans le gouvernement du général Lansana Conté, a occupé les hautes fonctions de Premier ministre du 9 décembre 2004 au 5 avril 2006, reste un homme serein quant à ses chances d’être le prochain chef d’Etat de son pays. Et sans autre forme de procès, il s’est prêté à nos questions.
Après le pavé jeté dans la mare par Jean-Marie Doré, pensez-vous que tout est déjà rentré dans l’ordre pour la date du 19 septembre ?
• Pour l’instant, moi je m’en tiens à cette date du 19 septembre, fixée après consultation de tous les acteurs, y compris le Premier ministre, la CENI, le Conseil national de transition, les deux candidats, c’est-à-dire Alpha Condé et moi. Cette date reste valable en dépit de certaines déclarations de Jean-Marie Doré, qui voulait transférer les pouvoirs de la CENI à l’Administration du territoire.
Quelle lecture faites-vous de cette sortie de Premier ministre guinéen ?
• Je pense que c’est une manœuvre qui vise à organiser un hold-up électoral en faveur du Rassemblement du peuple de Guinée d’Alpha Condé. Ce parti estime, en même temps que Jean-Marie Doré, que la CENI n’est pas à même d’organiser cette présidentielle ; or nous étions d’accord que la CENI devait disposer d’un temps pour corriger les dysfonctionnements enregistrés au premier tour, ce qui est déjà en train d’être fait. Il n’y a pas de raison qu’on modifie la Constitution entre les deux tours d’un scrutin.
Pour vous donc, on ne peut pas changer d’arbitre et de règles du jeu pendant la mi-temps d’un match !
• Tout à fait ! On ne peut aucunement le faire. Si on ne peut pas respecter la Constitution à la lettre, il faut en respecter l’esprit. Il devrait y avoir 14 jours francs entre la publication des résultats du premier tour et l’organisation du deuxième tour ; aujourd’hui, nous sommes à plus d’un mois. Finalement, nous avons obtenu une date au forceps, le 19 septembre. Je ne vois pas pourquoi on devrait remettre encore en cause celle-ci. En tout cas, nous ne sommes pas encore prêts à accepter un autre report, car nous avons fait déjà beaucoup de concessions. La CENI voulait que le deuxième tour ait lieu le 8 août, et le professeur Alpha Condé a demandé un report pour le 15 août que nous avons accepté. Après, il a estimé que cette date n’était pas suffisante pour que la CENI puisse apporter toutes les corrections nécessaires et qu’il faillait reporter le deuxième tour au 19 août, nous l’avons accepté. Après, c’était le 12 septembre qu’il a retenu, nous avons encore accepté. Finalement, la date du second tour est fixée au 19 septembre après consultation de tous les acteurs ; et un décret a même été pris dans ce sens. Non, on ne peut plus remettre cette date en cause.
Que ferez-vous si Jean-Marie Doré outrepassait à ses prérogatives ?
• Il est déjà en train d’outrepasser ses prérogatives, et c’est l’objet de mon séjour à Ouaga pour en alerter le Médiateur, Blaise Compaoré. J’ai attiré son attention sur les risques que Jean-Marie est en train de faire courir au processus électoral. Il n’a pas les compétences de la modification de la Constitution, et les gens essaient de le ramener à la raison ; nos militants ne sont plus prêts à accepter n’importe quoi.
Le Médiateur a-t-il pris la pleine mesure de votre démarche ?
• Je pense qu’il m’a bien compris, car je lui ai donné toutes les informations y relatives. En tant que médiateur, c’est de sa responsabilité d’aider les Guinéens à sortir de cette crise.
Peut-on dire que Doré roule pour Alpha Condé ?
• Absolument ! Ils sont de connivence. C’est clair pour tout le monde d’ailleurs. Ils ont ensemble un deal, et Jean-Marie Doré essaie d’aider Alpha Condé autant qu’il peut. Ce n’est pourtant pas son rôle, lui qui devrait être neutre et impartial.
Sentez-vous sur le terrain les actions du général Aly Traoré, le représentant du Médiateur en Guinée ?
• Oui. Le général Traoré est là et essaie d’apporter sa contribution à l’apaisement, au dialogue entre les acteurs. Et ce n’est pas parce que j’estime que le rôle du général Traoré est mineur que je suis venu à Ouagadougou rencontrer le Président Compaoré. C’est parce que j’ai des relations personnelles avec le Président du Faso que je suis venu le voir pour lui expliquer la situation. Il m’a toujours encouragé à faire preuve de flexibilité.
Je suis venu dire au Médiateur que je suis pratiquement à la limite du supportable, car on ne peut pas reporter indéfiniment le deuxième tour de cette présidentielle. On ne peut pas non plus changer les règles du jeu entre les deux tours.
Au fait, dans quelle ambiance s’est jouée cette première partie de la présidentielle ?
• Nous avons mené une campagne civilisée, responsable. Je pense que chacun des 24 candidats a fait preuve de retenue dans les médias et au cours des meetings, même si on a déploré parfois un brin d’ethnocentrisme dans certains discours. Globalement, nous avons assisté à des joutes oratoires civilisées. Moi, j’ai parcouru les 33 préfectures et les 125 sous-préfectures du pays, je n’ai pas senti la haine et je n’ai été l’objet d’aucune violence. Nous avons tenu des discours responsables. Ainsi, aussi bien la campagne que le scrutin se sont passés dans de bonnes conditions.
Sauf erreur ou omission, c’est la première fois que vous participez à une campagne aussi ouverte. Quelles ont été les difficultés sur le terrain ?
• Oui, moi j’ai ressenti moins de difficultés, car je dispose d’un appareil politique solide, efficace et fonctionnel. Mon parti, l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), est implanté dans toutes les sous-préfectures du pays. Ses organes existent et fonctionnent bien. Des gens avaient estimé que, compte tenu de mes relations difficiles avec Dadis Camara de par le passé, il ne serait pas opportun pour moi d’aller en Guinée forestière, puisque c’est sa région. J’y suis allé et j’ai été bien reçu. La difficulté majeure, c’est l’état déplorable des infrastructures routières dans la plupart des cas.
Votre score d’environ 44% des voix, c’est un véritable record. Quelle stratégie avez-vous adoptée sur le terrain pour engranger aussi gros ?
• Ma stratégie, c’était d’abord l’implantation du parti, je l’ai faite sans problème. J’en ai pris la direction en novembre 2007 et j’ai pris sur moi la responsabilité de l’implanter dans l’ensemble du pays avec mes collaborateurs. Nous avons des structures qui fonctionnent bien, et c’est peut-être là notre petit secret. Et puis, moi, je travaille pour l’Administration de la Guinée depuis 31 ans ; j’ai occupé des postes où j’étais en contact avec la population, qui me connaît et qui sait que je suis très sensible à l’injustice. Je suis attaché à un certain nombre de valeurs qui touchent à l’intérêt de la nation, à l’équité entre les régions, entre les ethnies. Je suis un homme qui respecte son prochain, les autres. En tant que ministre des Travaux publics et des Transports, j’ai pu faire la promotion de beaucoup de projets de désenclavement. J’ai un bilan honorable en tant que ministre de la République. Les gens me connaissent bien et savent que lorsque je m’engage, je respecte la parole donnée et je vais jusqu’au bout. Je pense que tout cela a contribué à susciter auprès de la population cette confiance qui s’est exprimée lors de cette présidentielle avec ce score plus qu’honorable.
Que rétorquez-vous à ceux qui parlent de vote ethnique ?
• C’est vrai, on l’a un peu senti ; et parmi les candidats, s’il y a une exception, c’est à mon niveau, car j’ai été premier à Kindia et en Basse-Guinée. A Boké, Dubréka, Siguiri et Farana, j’ai occupé la deuxième place. J’ai été bien sûr premier dans mon fief (1). Mais en dehors de mon fief aussi, j’ai été premier à Conakry. Les Guinéens m’ont apporté leurs suffrages un peu partout dans le pays.
Quelles seront vos premières priorités, une fois élu président de la Guinée au soir du 19 septembre ?
• Ma première priorité une fois élu, c’est de remettre de l’ordre dans l’Administration. Il nous faut mettre en place une administration efficace, tournée vers la satisfaction des besoins du peuple. Il nous faut mettre fin à l’anarchie, car, de nos jours, au sein de l’Administration guinéenne, chacun fait ce qu’il veut ; et souvent, on travaille pour soi-même et pour ses chefs hiérarchiques ; en outre, il n’y a ni ordre ni discipline, ni contrôle, ni sanctions. Donc, il faut remettre de l’ordre dans tout ça, mettre en place des règles, des procédures, faire en sorte que ces règles soient respectées. Il faut sensibiliser, contrôler et sanctionner.
Vous venez de voir le capitaine Dadis Camara. Dans quel état l’avez-vous trouvé ?
• A mon humble avis, ça va. On ne s’était pas vu depuis août 2009, soit un an maintenant. Il faut rappeler que je suis venu pour lui adresser mes condoléances après le décès de son fils (NDLR : décédé le 16 août dernier au Canada). Vous savez qu’à l’occasion du décès de ma mère, Dadis avait marqué de manière indélébile sa solidarité avec ma famille. C’est lui-même qui m’avait annoncé la nouvelle et y avait dépéché une forte délégation. Ses deux avions de commandement étaient allés dans mon petit village, et il avait fait même reporter le Conseil de ministres pour permettre aux membres du CNDD et du gouvernement de faire le déplacement, à 450 km de Conakry. Donc j’avais été fortement marqué par cette solidarité et ce soutien. Et si Dadis est confronté à une épreuve comme celle-là, je me devais de venir lui adresser aussi mes condoléances, pour lui témoigner ma solidarité et mon soutien.
Une fois à la tête de la Guinée, on peut dire qu’un challenge vous attend, vu l’état dans lequel végète le pays !
• En Guinée, il y a beaucoup à faire. Il n’y a pas d’eau courante, pas d’électricité, pas d’infrastructures ; le système éducatif est à l’abandon, il y a une armée à restructurer et à discipliner ; la santé ne fonctionne pas et l’anarchie et l’indiscipline y sont reines. Pour tout dire, il y a beaucoup de choses à faire. Mais je pense qu’avec notre volonté, notre expérience, nous allons réussir. Je vais mettre en place une équipe avec Sydia Touré (2) et d’autres, pour faire un gouvernement de large ouverture pour que nous puissions faire face aux défis, qui sont nombreux. La Guinée a par ailleurs beaucoup d’atouts avec un potentiel énorme. Nous avons des ressources humaines de qualité, des ressources minières considérables. Nous vivons des problèmes, mais nous disposons aussi de beaucoup d’atouts. S’il y a une volonté politique réelle, nous allons réussir. J’ai déjà une alliance de 25 formations politiques qui me soutiennent pour le second tour, et je pense que je pourrai aussi faire appel à la coalition qui soutient Alpha Condé. Je suis optimiste et je pense l’emporter avec un minimum de 60% de l’électorat.
L’Observateur sera-t-il invité à votre investiture ?
• Ah oui ! On peut le promettre, on peut le promettre !
Notes :
1. Il s’agit de la Moyenne Guinée (Fouta Djalon)
2. Avec 13,62 % des voix, Sidya Touré, président de l’Union des forces républicaines (UFR), a été le tout premier à rallier Dalein Diallo
Entretien réalisé par
Boureima Diallo
© Copyright L'Observateur Paalga
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