vendredi 15 mai 2015

Au Forum de Bangui, coups de gueule, coups de poings et quelques espoirs

Après plusieurs reports, le forum de réconciliation centrafricain a abouti à pléthore de recommandations. De notre envoyée spéciale.

C’était le Forum de tous les dangers et le Forum de tous les espoirs. "La rencontre de la dernière chance", a martelé la présidente de transition Catherine Samba-Panza. Après 30 mois de conflits entre les milices majoritairement musulmanes ex-Seleka et groupes d’auto-défense chrétiens anti-Balaka, qui ont plongé le pays dans un chaos sans nom, mettre les belligérants autour de la table n’avait rien d’évident.  

L’enjeu ? Amorcer un processus de réconciliation nationale et préparer le terrain à des élections présidentielles, en rassemblant les représentants des principales forces politiques présentes dans le pays. Contrairement aux Cassandre qui prédisaient un échec retentissant, il a finalement eu lieu, sans morts ni blessés, ce qui est en soi une victoire. Reporté à plusieurs reprises, accouché dans la douleur, ce forum a rassemblé, sous la surveillance étroite des représentants des principales grandes instances internationales, plus de 500 personnes du 7 au 11 mai au cœur de Bangui. Les quatre ateliers "paix et sécurité", "justice et réconciliation", "gouvernance"et "développement économique et social", ont abouti à pléthore de recommandations.

Deux accords essentiels signés

Les débats ont été animés. Il y a eu des coups de gueules, et même quelques coups de poing. Des palabres cathartiques, suivies des recommandations un peu étranges. Lundi, à la clôture du Forum, une poignée d’anti-Balaka et d'ex-Seleka, pour une fois d’accord, ont érigé des barrages et tiré quelques coups de feu devant l’Assemblée nationale, générant un regain de tension dans la capitale globalement apaisée. N’empêche : La plupart des observateurs n’y ont guère vu plus qu’un baroud d’honneur.
Seconde victoire : la plupart des groupes armés majoritairement musulmans ex-Seleka, les milices chrétiennes Anti-Balakas étaient représentés. Certes, les deux ex-dirigeants François Bozize, et de Michel Djotodia, ont été écarté des débats, mais faut-il le regretter ? "Ils ont eu le bon goût de ne pas venir", tranche un bon connaisseur du pays. Considérés comme principaux responsables des crimes horribles qui ont eu lieu dans  le pays, les deux ex-leaders pourraient bientôt être traduits devant le tribunal de justice international de la Haye. Comment diable auraient-ils pu participer à ces débats sans les entacher ?
Troisième motif de satisfaction : deux accords essentiels ont été signés. Le premier porte sur la création d’une cour pénale spéciale, mêlant magistrats nationaux et étrangers, qui vise à mettre fin à une longue tradition d’impunité. Le second, signé entre le gouvernement provisoire et les représentants des principaux groupes armés, porte sur un désarmement général, considéré par la plupart des observateurs internationaux comme la pierre angulaire essentielle sans laquelle aucune reconstruction ou la mise en route d’un processus démocratique n’est possible.
C’est une réelle réussite, à laquelle on ne croyait initialement qu’à moitié", se réjouit un diplomate européen, plutôt optimiste.
"Grâce aux consultations populaires menées sur le terrain, plus de 20.000 personnes ont été représentées, des préfectures et des sous-préfectures, des gens de l’arrière-pays qui n’avaient jamais été entendus."
Le message qu’ils ont fait passer, selon lui, est clair  "La population en a assez des violences, assez de l’impunité, elle aspire à vivre normalement". C’est selon lui, la leçon numéro un de ce Forum. Il veut y croire : Selon toute vraisemblance il y aura selon lui des élections d’ici la fin de l’année.

Un pays sous perfusion des financements internationaux

Mais d’autres, ici à Bangui, refusent de se réjouir trop vite. De crise en crise, le pays n’a connu, depuis toujours, l’alternance que par les armes. Des forums de réconciliation, il y a tant eu, déjà. Une véritable tradition nationale. Les derniers en date, en 2003 puis en 2008 ont également été suivis de protocole de sortie : "Mais aucun n’a jamais été mis en œuvre", souligne un homme d’affaire, très bon connaisseur de la vie politique locale. Pour lui, cette fois encore, aucun processus d’application n’a été mis en place. Résultat :
Le processus de désarmement à toutes les chances de rester lettre morte..."
A l’écouter, les racines du mal, très profondes, restent entières. "Sept jours de palabres ne peuvent en venir à bout".
Dans ce contexte, la pression de la communauté internationale, qui appelle à la tenue d’élection à tout prix, le plus rapidement possible, lui semble risquée : "Trop de groupes dans ce pays, n’y ont aucun intérêt". Ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir, dans et autour du gouvernement provisoire d’abord, qui savent qu’ils n’ont aucune chance d’être réélus. Les groupes armés qui exercent un contrôle mafieux sur de nombreux axes commerciaux ensuite. "Les seuls qui souhaitent réellement la mise en place d’un processus démocratique sont les représentants de la société civile, les religieux. Mais ils ne pèsent pas très lourd".
Dans ces conditions, mettre en place des élections à marche forcée lui semble périlleux. En outre, remarque-t-il, les caisses sont vides. Qui va payer ? Dans ce pays exsangue, sous perfusion des financements internationaux, européens pour la plupart, nul ne sait, pour l’instant, comment financer la reconstruction. L’administration n’existe plus, l’éducation nationale est à plat, tout est à reconstruire. "Il y a 60 millions de dollars à mettre sur la table", reconnaît un diplomate. Une paille pour la communauté internationale : à elle seule, l’opération Sangaris engagée par le gouvernement français pour enrayer la guerre civile, coûte officiellement 800.000 euros par jour. Encore faut-il les trouver. 

tempsreel.nouvelobs.com

 

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