vendredi 31 décembre 2010

Gbagbo viole le droit international

(La Libre 31/12/2010)
C’est l’avis d’Eric David. Qui ne nie pas la complexité du dossier ivoirien.
Entretien
Eric David est professeur de droit international à l’Université libre de Bruxelles.
Professeur David, qu’inspire à l’expert que vous êtes la situation prévalant en Côte-d’Ivoire ?
La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 consacrent le principe du droit à tout personne d’élire librement les représentants de son choix et à tout candidat à une élection celui de se présenter et d’être élu. Longtemps, toutefois, la Communauté internationale s’est assez peu mobilisée pour défendre de façon active cette cause démocratique. C’était l’époque où il s’agissait de garantir la coexistence pacifique entre Etats à systèmes politiques et économiques différents. Mais avec la disparition de l’URSS et la transformation de démocraties populaires en démocraties à l’occidentale, les choses ont évolué et de nombreuses résolutions, émanant notamment du Conseil de Sécurité des Nations unies, ont condamné formellement des coups d’Etat entraînant le renversement de gouvernements démocratiquement élus ou le fait que des élections aient été supprimées ou n’aient pas été organisées conformément aux règles démocratiques. Les Nations unies sont, par exemple, intervenues après qu’une junte militaire eut déposé le président Aristide, en Haïti, en 1991, ou encore à la suite de coups d’Etat au Burundi, en 1996, ou au Sierra Leone, en 1997. S’agissant de la Côte-d’Ivoire, des résolutions "onusiennes" appelant au respect du principe d’organisation d’élections périodiques, régulières et libres ont été prises à plusieurs reprises, en 2005, 2006 et 2008.
Deux hommes se disputent la légitimité du pouvoir en Côte-d’Ivoire. Comment faire le tri ?
Ce n’est pas la première fois que l’Onu doit choisir entre deux délégations représentant deux gouvernements se disputant le pouvoir. De 1949 à 1971, s’agissant de la Chine, l’assemblée générale légitimait la représentation de Taiwan, oubliant Pékin, avant de faire le contraire. En vérité, l’assemblée générale choisit la délégation le mieux à même d’assurer les buts et les principes des Nations unies. C’est une formule vague qui a cependant trait, de façon générale, au respect des droits et libertés fondamentaux incluant le principe de la mise en œuvre d’élections libres et honnêtes.
Dans le cas qui nous occupe, peut-on affirmer que Laurent Gbagbo, en refusant de reconnaître le résultat des élections de novembre et en se maintenant envers et contre tout en place, viole le droit international ?
On peut l’affirmer, en effet, mais la question est complexe et délicate. La Communauté internationale a clairement pris fait et cause pour Alassane Ouattara. Elle l’a fait en se basant sur les témoignages et sur les rapports que lui ont fournis les observateurs et les experts qu’elle avait dépêchés sur place. On peut donc estimer que les soubresauts actuels sont imputables à Laurent Gbagbo et à ses partisans. La violation du droit international n’est donc pas le fait de l’Etat ivoirien en tant que tel, mais bien d’un individu ou d’un groupe d’individus, autrement dit de sujets de droit non étatiques. Ce que je dis doit cependant être pris au conditionnel car ces principes n’ont jamais fait l’objet d’une codification en bonne et due forme. Quoi qu’il en soit, on peut affirmer que lorsque la Côte-d’Ivoire est représentée par Alassane Ouattara, il n’y a pas viol du droit international mais qu’en revanche, lorsque Laurent Gbagbo ou ses mandataires entendent représenter la Côte-d’Ivoire, ils violent le droit international.
Dans quelle mesure l’Onu peut-elle intervenir dans le différend actuel ?
Le Conseil de sécurité peut intervenir lorsqu’il existe une menace pour la paix ou la sécurité internationales. Et il dispose à cet effet d’une large gamme de moyens allant de la réprimande de nature diplomatique à l’envoi sur place de forces armées. Dans un nombre majoritaire des cas, il n’est pas obligé de recourir à la force. Le plus souvent, il adoptera des sanctions ciblées, portant, par exemple, sur l’interdiction faite à certains dirigeants de voyager ou sur le gel d’avoirs bancaires.
Si les choses devaient tourner mal en Côte-d’Ivoire, si le sang devait couler, de quels moyens la Communauté internationale dispose-t-elle pour “arrêter le massacre” ?
Le droit international dit que tous les Etats doivent coopérer pour assurer la protection des droits et des libertés fondamentaux. Il s’agit d’une obligation générale. En cas de débordements, de viol des règles de droit international, de menaces graves, le Conseil de sécurité peut éventuellement recourir à la force contre l’Etat récalcitrant.

Jean-Claude Matgen
Mis en ligne le 31/12/2010
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