Malgré la situation actuelle en Côte d'Ivoire, on assiste depuis quelques années aux prémices de la démocratie sur le continent africain.
Le vice-président du Ghana intervient sur le sujet de la crise électorale en cours en Côte d'Ivoire, et l'espoir de passations de pouvoirs pacifiques sur le continent africain.
La situation politique actuelle en Côte d'Ivoire, et la façon dont elle sera résolue, servira soit d'indication sur la présente fragilité du processus démocratique sur le continent africain, soit de joyeux témoignage sur l'évolution du continent dans sa promotion de la paix et du progrès.
Je suis sûr que parce que beaucoup de gens, particulièrement dans le monde occidental, ne croient toujours pas que la démocratie peut fonctionner sur le continent africain, certains n'ont pas été surpris d'apprendre que les résultats de la Commission électorale ivoirienne n'ont pas été reconnus par le gouvernement en place de Laurent Gbagbo, qui n'a donc pas concédé sa défaite ni transféré les pouvoirs.
Le contraire est toutefois vrai pour un grand nombre de dirigeants et chefs d'état africains. Nous n'avions pas le moindre doute quant au succès de ces élections ivoiriennes dans ce nouveau chapitre sur la démocratie qu'écrivent en ce moment-même les nations de notre continent. Nous avons tous été surpris de la tournure prise par les événements après que les résultats ont été diffusés.
Une transition ratée
La politique africaine apparaît depuis des siècles comme un violent jeu de pouvoir dans lequel les habitants de toutes les régions confondues sont réduits à des pions, des corps chauds destinés à être assujettis ou abattus, ou, quelques siècles plus tôt, vendus ou réduits en esclavage. Ainsi que, l'un après l'autre, les pays africains ont gagné leur indépendance, un sentiment d'espoir et de confiance s'est emparé du continent. Enfin les peuples d'Afrique seraient libres de choisir leur propre destin, libres de prendre part à la fierté et au progrès que semblait lui promettre sa propre souveraineté.
Pourtant, avant que les cartographes eurent fini de rassembler les noms de ces pays nouvellement indépendants, tous les dirigeants qui avaient été présentés comme des héros —comme Kwame Nkrumah, Sylvanus Olympio, Patrice Lumumba— furent renversés ou assassinés. L'ère qui suivit aurait dû, et aurait facilement pu, être celle de la stabilité pour le développement et l'économie du continent. Au lieu de ça, l'Afrique s'est transformée en l'espace de plusieurs dizaines d'années en un kaléidoscope criard de dictateurs, coups d'état, prisons débordant de chefs de l'opposition et de ceux qui fuient à la faveur des pays étrangers qui les accueillent en tant que réfugiés ou exilés politiques.
Mais les temps sont en train de changer en Afrique; putschs et autocraties appartiendront bientôt au passé. Nos citoyens sont fatigués que despotes et dirigeants corrompus assombrissent l'espoir d'un avenir prometteur pour eux ainsi que pour leurs enfants. Les Africains s'intéressent de plus en plus à la politique et s'expriment davantage sur le sujet, refusant désormais le silence et risquant leur vie pour défendre leur droit de vote.
Vers une maturité politique
En mai dernier, le taux de participation aux élections générales en Ethopie a dépassé les 90%; 70% pour les élections présidentielles du Burundi en juin; et presque 80% en Guinée, qui a connu en juin également ses premières élections libres et démocratiques depuis 1958.
Ces chiffres sont nettement plus élevés que ceux des pays plus développés comme les Etats-Unis, dont le taux de participation a atteint son maximum avec 81% en 1876. (Malgré tout le remue-ménage, des queues de votants à n'en plus finir et une couverture internationale massive, la participation électorale aux élections présidentielles américaines de 2008 n'a été que d'environ 62%.) Conscients désormais que leur droit de vote n'a pas toujours été respecté, les Africains battent souvent des records de participation, espérant que cette fois leur vote sera comptabilisé, et leur voix entendue.
En réponse aux confrontations en Côte d'Ivoire, les chefs d'état ont lancé de nombreux appels, et émis condamnations et avertissements. Des organisations comme l'Union africaine, les Nations unies, le Fonds monétaire international, et la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) ont été fermes, avec menaces de sanctions et d'isolement: la démocratie doit l'emporter.
Il fut un temps en Afrique ou cela n'aurait jamais pu se produire. La Côte d'Ivoire aurait pu plonger dans la guerre civile sans que personne en-dehors du continent ne se rende compte que la situation dégénérait ni ne décide d'agir avant qu'il ne soit trop tard. Je me demandais aujourd'hui, alors que je lisais et écoutais des bulletins d'actualités qui parlaient de la pression croissante mise sur Gbagbo pour qu'il démissionne, ce qui a provoqué un tel changement dans la manière dont la communauté internationale considère à présent l'Afrique et réagit à son actualité.
Est-ce que les génocides au Rwanda et au Darfur ont rendu clair le message que nous payons tous le prix de l'inaction? Ou bien seraient-ce les guerres civiles et les affrontements pour les diamants de sang, qui ont donné naissance à des armées entières d'enfants-soldats, et dont la conduite honteuse a laissé derrière elle des champs remplis de cadavres et des villages d'amputés, qui nous ont appris que le reste du monde doit s'exprimer rapidement, vivement, et doit dire «Ça suffit. Cela ne doit plus se reproduire.»
Ou peut-être est-ce plus simple que ça. Peut-être que l'Afrique elle-même a démontré, en faisant de tels incidents l'exception plutôt que la règle, qu'elle devient de plus en plus mature politiquement, tendant avec enthousiasme vers la libération que ses citoyens implorent depuis si longtemps.
Les prémices de la démocratie
Les passations de pouvoir ne relèvent plus de l'aberration; elles ne font plus autant figure d'exception qu'avant dans l'imaginaire collectif. Dernièrement, c'est la paix qui l'a emporté même dans les situations les plus explosives comme les élections présidentielles du Ghana en 2008, au cours desquelles je me suis présenté comme vice-président sur la liste de l'opposition. Notre victoire, remportée après un scrutin de ballotage, a vu, selon les résultats officiels, la plus faible marge de différence jamais enregistrée de toute l'histoire des élections africaines modernes —moins d'un demi-point de pourcentage.
Après l'annonce des résultats, notre pays a été saisi par la peur pendant des jours. Malgré un consensus de la part de tous les observateurs indépendants, qui affirmaient qu'il n'y avait eu aucune irrégularité, il y eut néanmoins des accusations de fraude électorale. Les gens allèrent même jusqu'à prédire que le Ghana suivrait les traces du Kenya, où ont éclaté en 2007 des violences post-électorales, dont les effets résiduels se font encore sentir dans le pays. Nous avons retenu notre souffle et nous avons attendu, espérant que nos vies et cette terre que nous aimions tant ne serait pas inutilement déchirée.
Bien que l'autre candidat à la présidentielle n'a jamais concédé sa défaite, le président ghanéen en place a fait clairement comprendre qu'il encouragerait et soutiendrait le processus démocratique en respectant la volonté du peuple, et en passant le pouvoir à quiconque serait certifié vainqueur par la commission électorale. Grâce à cela, le Ghana peut se vanter de seize années consécutives de gouvernance démocratique avec une passation pacifique des pouvoirs. Ces dernières semaines, nous avons assisté au même témoignage de respect pour la démocratie et la primauté du droit en Guinée, avec l'ex-premier ministre concédant sa défaite et appelant à la paix, particulièrement au sein de ses supporters.
Les casques bleus de l'ONU qui protégeaient Alassane Ouattara, le nouveau président élu démocratiquement, ont reçu l'ordre par M. Gbagbo de quitter la Côte d'Ivoire. La menace plane sur ce pays, et le monde a les yeux rivés sur son sort. Nous gardons tous espoir, car l'Afrique n'a pas les moyens d'essuyer un autre revers.
M. Gbagbo a aujourd'hui une occasion unique de contribuer à consolider une des deux perceptions antithétiques de l'Afrique: un continent de despotes au service du pouvoir plutôt qu'à celui du peuple, ou bien un territoire qui fait de plus en plus progrès vers la démocratie ainsi que vers un développement durable. Quelle que soit la décision prise par M. Gbagbo, celle-ci fera une forte impression non seulement sur son pays, mais également sur le continent tout entier. Prions pour qu'il choisisse la raison.
John Dramani Mahama, vice-président du Ghana
Traduit par Nora Bouazzouni
Le vice-président du Ghana intervient sur le sujet de la crise électorale en cours en Côte d'Ivoire, et l'espoir de passations de pouvoirs pacifiques sur le continent africain.
La situation politique actuelle en Côte d'Ivoire, et la façon dont elle sera résolue, servira soit d'indication sur la présente fragilité du processus démocratique sur le continent africain, soit de joyeux témoignage sur l'évolution du continent dans sa promotion de la paix et du progrès.
Je suis sûr que parce que beaucoup de gens, particulièrement dans le monde occidental, ne croient toujours pas que la démocratie peut fonctionner sur le continent africain, certains n'ont pas été surpris d'apprendre que les résultats de la Commission électorale ivoirienne n'ont pas été reconnus par le gouvernement en place de Laurent Gbagbo, qui n'a donc pas concédé sa défaite ni transféré les pouvoirs.
Le contraire est toutefois vrai pour un grand nombre de dirigeants et chefs d'état africains. Nous n'avions pas le moindre doute quant au succès de ces élections ivoiriennes dans ce nouveau chapitre sur la démocratie qu'écrivent en ce moment-même les nations de notre continent. Nous avons tous été surpris de la tournure prise par les événements après que les résultats ont été diffusés.
Une transition ratée
La politique africaine apparaît depuis des siècles comme un violent jeu de pouvoir dans lequel les habitants de toutes les régions confondues sont réduits à des pions, des corps chauds destinés à être assujettis ou abattus, ou, quelques siècles plus tôt, vendus ou réduits en esclavage. Ainsi que, l'un après l'autre, les pays africains ont gagné leur indépendance, un sentiment d'espoir et de confiance s'est emparé du continent. Enfin les peuples d'Afrique seraient libres de choisir leur propre destin, libres de prendre part à la fierté et au progrès que semblait lui promettre sa propre souveraineté.
Pourtant, avant que les cartographes eurent fini de rassembler les noms de ces pays nouvellement indépendants, tous les dirigeants qui avaient été présentés comme des héros —comme Kwame Nkrumah, Sylvanus Olympio, Patrice Lumumba— furent renversés ou assassinés. L'ère qui suivit aurait dû, et aurait facilement pu, être celle de la stabilité pour le développement et l'économie du continent. Au lieu de ça, l'Afrique s'est transformée en l'espace de plusieurs dizaines d'années en un kaléidoscope criard de dictateurs, coups d'état, prisons débordant de chefs de l'opposition et de ceux qui fuient à la faveur des pays étrangers qui les accueillent en tant que réfugiés ou exilés politiques.
Mais les temps sont en train de changer en Afrique; putschs et autocraties appartiendront bientôt au passé. Nos citoyens sont fatigués que despotes et dirigeants corrompus assombrissent l'espoir d'un avenir prometteur pour eux ainsi que pour leurs enfants. Les Africains s'intéressent de plus en plus à la politique et s'expriment davantage sur le sujet, refusant désormais le silence et risquant leur vie pour défendre leur droit de vote.
Vers une maturité politique
En mai dernier, le taux de participation aux élections générales en Ethopie a dépassé les 90%; 70% pour les élections présidentielles du Burundi en juin; et presque 80% en Guinée, qui a connu en juin également ses premières élections libres et démocratiques depuis 1958.
Ces chiffres sont nettement plus élevés que ceux des pays plus développés comme les Etats-Unis, dont le taux de participation a atteint son maximum avec 81% en 1876. (Malgré tout le remue-ménage, des queues de votants à n'en plus finir et une couverture internationale massive, la participation électorale aux élections présidentielles américaines de 2008 n'a été que d'environ 62%.) Conscients désormais que leur droit de vote n'a pas toujours été respecté, les Africains battent souvent des records de participation, espérant que cette fois leur vote sera comptabilisé, et leur voix entendue.
En réponse aux confrontations en Côte d'Ivoire, les chefs d'état ont lancé de nombreux appels, et émis condamnations et avertissements. Des organisations comme l'Union africaine, les Nations unies, le Fonds monétaire international, et la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) ont été fermes, avec menaces de sanctions et d'isolement: la démocratie doit l'emporter.
Il fut un temps en Afrique ou cela n'aurait jamais pu se produire. La Côte d'Ivoire aurait pu plonger dans la guerre civile sans que personne en-dehors du continent ne se rende compte que la situation dégénérait ni ne décide d'agir avant qu'il ne soit trop tard. Je me demandais aujourd'hui, alors que je lisais et écoutais des bulletins d'actualités qui parlaient de la pression croissante mise sur Gbagbo pour qu'il démissionne, ce qui a provoqué un tel changement dans la manière dont la communauté internationale considère à présent l'Afrique et réagit à son actualité.
Est-ce que les génocides au Rwanda et au Darfur ont rendu clair le message que nous payons tous le prix de l'inaction? Ou bien seraient-ce les guerres civiles et les affrontements pour les diamants de sang, qui ont donné naissance à des armées entières d'enfants-soldats, et dont la conduite honteuse a laissé derrière elle des champs remplis de cadavres et des villages d'amputés, qui nous ont appris que le reste du monde doit s'exprimer rapidement, vivement, et doit dire «Ça suffit. Cela ne doit plus se reproduire.»
Ou peut-être est-ce plus simple que ça. Peut-être que l'Afrique elle-même a démontré, en faisant de tels incidents l'exception plutôt que la règle, qu'elle devient de plus en plus mature politiquement, tendant avec enthousiasme vers la libération que ses citoyens implorent depuis si longtemps.
Les prémices de la démocratie
Les passations de pouvoir ne relèvent plus de l'aberration; elles ne font plus autant figure d'exception qu'avant dans l'imaginaire collectif. Dernièrement, c'est la paix qui l'a emporté même dans les situations les plus explosives comme les élections présidentielles du Ghana en 2008, au cours desquelles je me suis présenté comme vice-président sur la liste de l'opposition. Notre victoire, remportée après un scrutin de ballotage, a vu, selon les résultats officiels, la plus faible marge de différence jamais enregistrée de toute l'histoire des élections africaines modernes —moins d'un demi-point de pourcentage.
Après l'annonce des résultats, notre pays a été saisi par la peur pendant des jours. Malgré un consensus de la part de tous les observateurs indépendants, qui affirmaient qu'il n'y avait eu aucune irrégularité, il y eut néanmoins des accusations de fraude électorale. Les gens allèrent même jusqu'à prédire que le Ghana suivrait les traces du Kenya, où ont éclaté en 2007 des violences post-électorales, dont les effets résiduels se font encore sentir dans le pays. Nous avons retenu notre souffle et nous avons attendu, espérant que nos vies et cette terre que nous aimions tant ne serait pas inutilement déchirée.
Bien que l'autre candidat à la présidentielle n'a jamais concédé sa défaite, le président ghanéen en place a fait clairement comprendre qu'il encouragerait et soutiendrait le processus démocratique en respectant la volonté du peuple, et en passant le pouvoir à quiconque serait certifié vainqueur par la commission électorale. Grâce à cela, le Ghana peut se vanter de seize années consécutives de gouvernance démocratique avec une passation pacifique des pouvoirs. Ces dernières semaines, nous avons assisté au même témoignage de respect pour la démocratie et la primauté du droit en Guinée, avec l'ex-premier ministre concédant sa défaite et appelant à la paix, particulièrement au sein de ses supporters.
Les casques bleus de l'ONU qui protégeaient Alassane Ouattara, le nouveau président élu démocratiquement, ont reçu l'ordre par M. Gbagbo de quitter la Côte d'Ivoire. La menace plane sur ce pays, et le monde a les yeux rivés sur son sort. Nous gardons tous espoir, car l'Afrique n'a pas les moyens d'essuyer un autre revers.
M. Gbagbo a aujourd'hui une occasion unique de contribuer à consolider une des deux perceptions antithétiques de l'Afrique: un continent de despotes au service du pouvoir plutôt qu'à celui du peuple, ou bien un territoire qui fait de plus en plus progrès vers la démocratie ainsi que vers un développement durable. Quelle que soit la décision prise par M. Gbagbo, celle-ci fera une forte impression non seulement sur son pays, mais également sur le continent tout entier. Prions pour qu'il choisisse la raison.
John Dramani Mahama, vice-président du Ghana
Traduit par Nora Bouazzouni
Photo: Yopougon, Côte d'Ivoire, le 18 décembre 2010, REUTERS/Luc Gnago
A supporter of Ivory Coast's incumbent leader Gbagbo holds up a copy of the country's constitution during a rally in Yopougon
Photographer: REUTERS/Luc Gnago
L'auteur conseille Afrique: le grand retour des coups d'Etat
Grande première démocratique en Guinée
www.slate.fr/
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