lundi 27 décembre 2010

Tchad - Abderamane Djasnabaille: «L’Afrique doit prendre son destin en main»

(Les Afriques 27/12/2010)
L’ancien opposant devenu ministre des Droits de l’Homme et de la Promotion des libertés au Tchad s’offusque d’une monnaie coloniale.
« Quand je suis arrivé au gouvernement, en 2005, il y avait cinq journalistes en prison. J’ai alors dit que je ne pouvais pas être ministre des Droits de l’Homme avec des journalistes en prison. »
Les Afriques : Ministre des Droits de l’Homme et de la Promotion des libertés, cela ne doit pas être simple.
Abderamane Djasnabaille : Tout à fait. Et c’est un poste que j’ai réclamé au moment de mon entrée au gouvernement parce que c’est un ministère pivot, un ministère transversal, qui conditionne aujourd’hui la vie politique, économique et sociale du Tchad. Tout tourne autour de la gouvernance, de l’Etat de droit. Pour pratiquement régler tous les problèmes, il faut passer par là.
« Le président est allé partout, à Bruxelles, aux Nations Unies, pour défendre la volonté du Tchad de sortir des griffes de la Banque mondiale. Et, en trois ans, nous avons payé par anticipation ce que nous lui devions. Le Tchad a tout payé. Il a crée sa société pour avoir la maîtrise de son pétrole. »
LA : Concrètement quels sont les problèmes auxquels vous êtes confronté, dans un pays qui a connu des guerres civiles, qui est souvent en proie à une rébellion armée ?
AD : D’abord le problème de la guerre civile avec l’ingérence de pays voisins. Dès qu’il y a la guerre, il n’y a plus de droits de l’Homme. Cela devient secondaire, parce que le problème est d’abord de garantir l’intégrité du territoire, le régime. De surcroit, nous avons une armée pas professionnelle. Ce sont des gens qui n’ont pas été formés, qui ont combattu dans toutes les crises tchadiennes, à travers les onze qu’il y a eu. Et ces gens se sont retrouvés aux affaires, de fait, et dans l’armée, par effraction. Aujourd’hui, ils sont un peu partout. N’ayant pas été scolarisés, la question des droits de l’Homme est loin d’être leur préoccupation. La question de leur existence en tant que telle est posée. Il y en a qui sont obligés de prendre leur retraite, d’autres, qui ont le profil adéquat, doivent être réorientés. Ceux qui ont un minimum de formation, il faut la compléter, leur donner des notions de démocratie et de droits de l’Homme. Notre administration, également, est déficitaire en la matière. Donc, c’est une question générale et le Ministère des droits de l’Homme a fort à faire.
LA : Comment avez-vous procédé face à tous ces problèmes ?
AD : Nous avons commencé par faire un grand forum l’année, dernière pour que la Constitution, les lois de la république et nos engagements internationaux soient débattus par tout le monde, les ministres, les gouverneurs, les préfets, les militaires, les commandants de région, de légion de la gendarmerie, de brigade. Pendant trois jours, nous avons inventorié tous les problèmes et nous sommes en train de faire la vulgarisation à travers un plan d’action.
LA : Est-ce qu’il y a une réelle volonté du président Déby de promouvoir les droits de l’Homme, la démocratie ?
AD : la création de ce ministère, ce n’est pas rien. Et surtout ce ministère…
LA : N’est-il pas un alibi ?
AD : Pas du tout ! Moi, je suis d’abord un militant des droits de l’Homme. Si vous suivez bien mon parcours, vous verrez que je ne suis pas venu pour dédouaner le gouvernement ni le président de la République. Nous sommes entrés avec des convictions fortes. Nous avons mis en place une société civile qui fonctionne. Des Tchadiens qui sont dans des associations de défense des droits de l’Homme se battent à nos côtés pour que les droits de l’Homme soient pris en compte par le gouvernement. Et le président l’a accepté volontairement. Je bénéficie de toute sa confiance. Tout ce que nous faisons dans l’intérêt du Tchad, de l’Etat de droit, est soutenu par président. D’ailleurs, il a décidé que le forum serait désormais annuel.
LA : Où en est le problème des journalistes et de l’opposition démocratique ?
AD : Quand je suis arrivé au gouvernement, en 2005, il y avait cinq journalistes en prison. J’ai alors dit que je ne pouvais pas être ministre des droits de l’Homme avec des journalistes en prison. Vous pouvez le vérifier auprès de vos confrères à Ndjamena. Une semaine après, ils avaient été libérés. J’étais allé à la Maison d’arrêt leur rendre visite. Moi-même, j’étais dans l’opposition radicale, porte-parole des forces vives. J’ai été en prison. C’est dans la trajectoire d’un homme politique en Afrique, de connaître la prison, et quelquefois, la mort, hélas. Si on n’y est pas préparé, ce n’est pas la peine de faire de la politique, ce n’est pas la peine de faire du journalisme.
J’affirme qu’à ce jour, il n’y a aucun journaliste en prison au Tchad. Aucun ! S’agissant de l’opposition politique, dont je viens, dont j’ai été porte-parole, nous avons eu huit mois de dialogue avec elle. Nous avons conclu un accord, dit du 13 août. La Commission électorale nationale indépendante, CENI, est paritaire. Il y a quinze membres de l’opposition et quinze de la majorité. Et le président a été désigné par consensus. C’est un syndicaliste de la société civile. On ne peut dire que cette CENI-là n’est pas représentative, que cette CENI-là est proche du pouvoir ou de l’opposition.
Moi-même, je suis porte-parole des forces vives et membre du gouvernement. C’est moi qui ai parlé au nom du comité de suivi, qui regroupe l’ensemble des acteurs politiques. Nous avons convenu ensemble du calendrier électoral. Les élections doivent être reportées…
LA : L’opposition est-elle réellement d’accord ? N’a-t-elle pas été contrainte et forcée ?
AD : Pas du tout. Elle est d’accord. Nous avons tout arrêté ensemble devant la presse internationale, les ambassadeurs. J’ai parlé au nom du comité de suivi, qui regroupe cinq membres de la majorité et cinq membres de l’opposition, la communauté internationales avec les Nations Unies, l’Union européenne, la France, l’Allemagne, les Etats-Unis, la Francophonie. Le chronogramme est consensuel. Le processus avance. Je reconnais qu’il y a parfois des difficultés, mais, chaque fois qu’elles apparaissent, elles sont examinées et traitées. Il y a la transparence totale. Nous avançons résolument vers un processus démocratique accepté par tous. Les législatives sont prévues en février, la présidentielle en avril et les locales en juin. Les élections seront certainement meilleures que celles que nous avions connues. Je fais partie de ceux qui les avaient boycottées.
LA : Vous représentez le forum francophone des affaires au Tchad. Vous affirmez que la démocratie et les droits de l’Homme se portent mieux. Qu’en est-il de l’environnement des affaires ?
AD : Nous y travaillons également. Moi, je m’occupe de la gouvernance, à la fois politique et économique. Sans gouvernance politique, notamment sans Etat de droit et sans la paix, il n’y a pas d’économie, il n’y a pas d’affaires. Aujourd’hui, le Tchad connaît un climat apaisé grâce aux accords politiques du 13 août.
Nous sommes aussi en train de travailler sur l’environnement des affaires, que je connais puisque j’étais consultant du PNUD pour la promotion du secteur privé. Le gouvernement travaille avec les chambres de commerce, avec les opérateurs économiques, avec les partenaires pour que les entreprises soient créées plus facilement, pour une fiscalité plus incitative. Pour le droit, nous sommes membre de l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires, OHADA. Au niveau de la justice, il est vrai que nous avons des difficultés. Quand j’étais Garde des sceaux, j’y ai travaillé. Actuellement, le gouvernement continue à y travailler, pour que la justice soit de plus en plus conséquente, pour qu’elle ne succombe pas à la corruption. En ce moment, pour les affaires, le Tchad fait partie des Etats les plus fréquentés. Il y a des vols tous les jours sur Paris et ils sont souvent complets. Cela montre bien que le Tchad est devenu est une destination fréquentable. La paix avec le Soudan étant retrouvée, la rébellion étant devenue une question résiduelle, la lutte contre les coupeurs de route étant efficace, avec le recours à des hélicoptères, à l’aviation.
Désormais, nous travaillons pour le développement. Tout le pays est en chantier. Pour le pétrole, nous avons créé une société nationale. A un moment donné, la bataille avec la Banque mondiale a été rude. Le président est allé partout, à Bruxelles, aux Nations Unies, pour défendre la volonté du Tchad de sortir des griffes de la Banque mondiale. Et, en trois ans, nous avons payé par anticipation ce que nous lui devions. Le Tchad a tout payé. Il a crée sa société pour avoir la maîtrise de son pétrole.
L’année prochaine, nous allons commercialiser nous-mêmes notre pétrole, discuter avec les grandes sociétés. Ce n’est plus la Banque mondiale qui va gérer en notre nom. C’est le Tchad lui-même. Et nous avons un peu de moyens pour nous occuper du développement. Nous avons fait suffisamment la guerre. Nous en connaissons le prix. Nous en connaissons les affres. Nous ne voulons plus que, chaque année, le Tchad soit cité parmi les pays en guerre.
Nous voulons aller vers une perspective de développement, construire le Tchad, mais pas seuls. Il faut que ce soit au niveau de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, CEMAC. Nous devons nous entendre pour la libre circulation des personnes et des biens, le passeport communautaire, pour fluidifier le transport, qui prend trois à quatre jours d’un pays à l’autre.
Nous luttons contre la corruption. De hautes personnalités, dont des ministres, ont été arrêtées et jugées. Les gens font désormais attention. Sur le plan des affaires, cela avance donc et nous avons besoin d’avancer ensemble avec les pays amis, qui peuvent nous aider en vrais partenaires. Nous devons prendre notre destin en main.
Le destin de l’Afrique doit reposer sur les convictions fortes des Africains et l’Afrique sera ce que les Africains voudront. Mais il y a encore des batailles à mener. Il n’est pas normal que nous continuons à avoir une monnaie coloniale. Cela ne peut certes pas se régler en un jour, mais sur 10, 15, 20 ans même. Il faut y travailler, pour que cette indépendance, cette gouvernance économique puisse se traduire sur le terrain. D’abord gérer nos affaires et nous impliquer fortement dans la gouvernance mondiale. Aujourd’hui, l’Afrique, est loin derrière. C’est inacceptable, alors que sur le plan des matières premières, nous avons tout. La matière grise aussi, est là. Nous avons étudié dans les grandes écoles européennes, américaines. Il n’y a pas de raison que nous ne puissions pas imaginer des solutions profitables à notre peuple.

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