(La Libre 27/12/2010)
Les voisins de la Côte-d’Ivoire menacent Gbagbo d’une opération militaire s’il ne part pas. Il menace de s’en prendre à leurs ressortissants.
Triste Noël pour les Ivoiriens, nombreux à prier pour la paix, alors que leur pays semble courir vers la guerre. Vendredi 24 décembre, en effet, à l’issue d’un sommet de ses chefs d’Etat à Abuja (au Nigeria, le gendarme de la région), la CEDEAO (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest) a menacé Laurent Gbagbo de voir les pays voisins recourir à "la force légitime" s’il continue à refuser de quitter le pouvoir qu’il a perdu dans les urnes le 28 novembre dernier.
"Un dernier geste" lui permet cependant de sauver la face : "une délégation spéciale" de trois chefs d’Etat - Yayi Boni, du Bénin; Ernest Koroma, de Sierra Leone et Pedro Pires, du Cap-Vert - arrivera mardi à Abidjan pour lui donner personnellement avis qu’il s’agit de sa dernière chance de quitter lui-même la présidence ivoirienne.
Si beaucoup espèrent que Laurent Gbagbo saisira cette dernière possibilité d’éviter la guerre, nombreux sont ceux qui, en revanche, se souviennent qu’il a toujours ignoré les ultimatums, cherchant chaque fois à gagner du temps pour satisfaire son but principal : garder le pouvoir, coûte que coûte.
S’il suit à nouveau cette voie, la CEDEAO fait savoir qu’elle "n’aurait d’autre choix que de prendre d’autres mesures, y compris de recourir à la force légitime, pour atteindre les objectifs du peuple ivoirien". D’ores et déjà, une réunion des chefs d’état-major des quinze membres du bloc régional est prévue "pour planifier des actions futures et notamment prévoir la sécurité le long de la frontière ivoiro-libérienne".
Dès samedi, l’équipe de Laurent Gbagbo a rejeté la menace de la CEDEAO en proférant une autre : tout en affirmant "ne pas croire du tout" que le projet d’intervention militaire sera mis à exécution par les pays voisins, le porte-parole de l’équipe Gbagbo, Ahoua Don Mello, a rappelé que la Côte-d’Ivoire étant une terre d’immigration, "tous les pays" d’Afrique de l’Ouest y ont des ressortissants. "Ils savent que s’ils attaquent la Côte-d’Ivoire de l’exté rieur, cela va se tr ansformer en guerre civile à l’intérieur." Autrement dit, l’armée de Gbagbo et/ou ses milices s’en prendront aux étrangers vivant en Côte-d’Ivoire, comme ils l’ont déjà fait en 2000 et en 2003-2004 au nom de l’"ivoirité", idéologie d’exclusion des étrangers et des Ivoiriens du Nord.
Dans le même temps, Gbagbo essaie de galvaniser les réflexes xénophobes de ses partisans en affirmant que l’opposition de la communauté internationale à son maintien au pouvoir malgré les résultats électoraux est "un complot du bloc occidental dirigé par la France".
Cette logomachie rencontre un certain succès dans quelques pays d’Afrique, auprès d’intellectuels fatigués de la mainmise de Paris sur les gouvernements de ses anciennes colonies. Au Congo-Kinshasa, en outre, on note que les réseaux Internet qui font habituellement circuler la prose favorable à Honoré Ngbanda (ex-conseiller spécial de Mobutu pour la sécurité; surnommé "Terminator" pour avoir fait tirer sur une marche pacifique de chrétiens en 1992; en exil en France depuis la chute de Mobutu), pêcheur en eaux troubles bien connu, font aujourd’hui l’éloge de Laurent Gbagbo. Selon la lettre d’information spécialisée sur l’Afrique "La Lettre du Continent" (12/6/2003), Ngbanda a travaillé pour Gbagbo comme intermédiaire pour lui procurer des armes est-européennes par une filière israélienne. Ce n’est sans doute pas un hasard si Ngbanda essaye régulièrement de relancer une idéologie de la "congolité", proche de celle de Gbagbo sur l’"ivoirité" , afin d’attiser le sentiment anti-Tutsis/anti-Rwandais régnant au Congo et de provoquer ainsi un soulèvement contre le président Joseph Kabila, accusé par ses ennemis d’être d’origine rwandaise.
Un des proches les plus enflammés de Laurent Gbagbo, le chef de milice Charles Blé Goudé (objet de sanctions de l’Onu depuis 2006 pour son rôle dans les violences ethnico-politiques de 2003-2004), aujourd’hui "ministre" de la Jeunesse du président déchu, sillonne Abidjan pour galvaniser ses troupes de "Jeunes patriotes" avant le prochain "combat" pour "la souveraineté" du pays; il a appelé à une grande manifestation mercredi dans ce but. Il y a une dizaine de jours, il avait suggéré que "les patriotes" prennent d’assaut l’hôtel du Golfe, sur la lagune d’Abidjan, où siègent le président Ouattara et le gouvernement ivoirien, gardés par des casques bleus et assiégés par des soldats po-Gbagbo lourdement armés.
Escadrons de la mort et soupçons de charnier
La nuit. Les Nations unies estiment qu’au moins 173 personnes ont été tuées et 90 autres torturées ou maltraitées entre le 16 et le 21 décembre, dans les violences qui ont suivi le refus de Laurent Gbagbo de reconnaître sa défaite électorale. Depuis vendredi dernier, l’accès au village de N’Dotre est bloqué par des hommes masqués, ensuite rejoints par des militaires pro-Gbagbo équipés de lanceurs de roquettes; selon l’Onu, ce village pourrait abriter un charnier dont on tenterait ainsi d’empêcher la découverte.
Vendredi, prenant la parole publiquement pour la première fois depuis sa victoire électorale, le président Alassane Ouattara (originaire du nord du pays, ce qui explique la longue campagne antinordistes des pro-Gbagbo) a affirmé que des gardes républicains, des policiers militaires et des mercenaires ou miliciens étrangers profitaient du couvre-feu imposé par Laurent Gbagbo dans le sud du pays pour y commettre chaque nuit des meurtres et des enlèvements.
Le journal britannique "The Guardian" publiait le 23 décembre un reportage sur "ces escadrons de la mort" , contre lesquels la population se défend en tapant avec une cuillère en bois sur une grosse marmite à chaque fois qu’ils sont en vue, tandis que les enfants donnent l’alerte à coups de sifflet. Les quartiers d’Abidjan peuplés de nordistes en sont les principales cibles, mais pas les seules.
La métropole économique avait déjà eu à subir les meurtres d’escadrons de la mort en 2002, à l’issue d’une tentative de coup d’Etat ratée de militaires nordistes révoltés par le discours antinordistes du président Gbagbo; l’Onu avait à l’époque accusé le chef de la sécurité de Simone Gbagbo - épouse de Président et considérée comme "un des faucons" du régime - d’être responsable de ces commandos de tueurs. MFC
Marie-France Cros
Mis en ligne le 27/12/2010
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