(Le Figaro 18/11/2010)
INTERVIEW - Lundi soir, sitôt l'annonce de sa victoire rendue publique, le nouveau président guinéen a accordé un entretien au Figaro.
LE FIGARO. - Vous héritez d'un pays très divisé ethniquement et votre adversaire refuse de reconnaître le résultat des élections. Que comptez-vous faire ?
Alpha CONDÉ.- Je n'ai pas l'habitude de commenter les actions de mes adversaires. Les élections se sont déroulées dans la transparence et le peuple guinéen a montré sa maturité. Je crois aussi qu'il faut un large gouvernement d'union nationale pour redresser le pays et cela pour au moins deux mandatures. Je ne parle pas d'un gouvernement de coalition mais d'union. Ce n'est pas quelque chose de politique mais l'union des bonnes volontés.
Les divisions ethniques sont tout de même profondes…
Les tensions sont dues à des manipulations. Il existe dans ce pays une mafia qui importe frauduleusement des denrées, spécule sur le riz. Ils se sont emparés du commerce et veulent défendre leurs intérêts. Il est très facile de manipuler une poignée de jeunes. L'ethnocentrisme est l'arme de ceux qui n'ont pas d'idées. Mais je ne suis pas inquiet. Beaucoup de jeunes, de femmes sont concentrés sur les problèmes quotidiens. Ils veulent un changement.
Pensez-vous que l'armée fait toujours courir un danger à la démocratie dans le pays ?
L'armée est un véritable problème. Elle capte près de 30% du budget. C'est trop. La France, les États-Unis se sont déjà engagés à nous aider à réformer le secteur de la défense. Bien sûr, il faudra envoyer beaucoup de militaires à la retraite. Mais il faudra organiser un vrai système pour ne pas plonger les gens dans la misère. On peut aussi utiliser l'armée, notamment le génie militaire, pour développer le pays, construire des routes, des ponts… Le président par intérim, le général Sékouba Konaté, a déjà commencé ce travail. Il faut le continuer. Aujourd'hui, l'armée n'a rien et il faut en faire un vrai organe républicain.
Êtes-vous prêt à garder près de vous le général Konaté ?
Il serait profitable que le général accepte de jouer un rôle. Il garde le respect de ses hommes. Mais aussi c'est un ancien chef d'État. Il faut lui trouver une position qui le mette au-dessus de la mêlée. Cela dépendra de lui et de lui seul.
Les richesses minières de ce pays ont été pillées ces dernières années. Allez-vous remettre en cause certains des contrats signés ?
On parle de la Guinée comme d'un scandale géologique tant le sous-sol est riche. Mais c'est aussi un scandale agricole. Le Guinée pourrait être la réserve de l'Afrique de l'Ouest. La priorité est de parvenir à l'autosuffisance alimentaire. Les mines représentent de la richesse, c'est vrai. La Guinée dispose des premières réserves au monde de bauxite. Il y a des contrats scandaleux et certains sont en effet peut-être à revoir. Mais il ne s'agit pas que de renégocier. Il faut établir une véritable politique en ce domaine et la Banque mondiale peut nous y aider. Les pays arabes sont devenus maîtres de leur pétrole lors des deux chocs pétroliers en mettant au point une politique pétrolière. À nous de suivre l'exemple.
Vous avez longtemps vécu en France. Qu'attendez-vous de Paris ?
Le fait d'avoir vécu en France fait que je vais avoir de bons rapports. Mais la Guinée est riche. Il y a de nombreux cadres dans la diaspora en Afrique, en Europe, aux États-Unis. Ce sont eux qui peuvent le plus nous aider. En revenant, ils seraient comme des assistants étrangers qui aideraient à remettre le pays en marche. Ici, tout est à faire.
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