(Le Potentiel 23/12/2010)
Des mécanismes sont mis en place pour une traçabilité des minerais extraits des pays des Grands Lacs africains. Toutefois, un hic ; c’est que l’identification recherchée se veut globale et non spécifique.
Le coltan, l’étain, la cassitérite, etc. des Etats de la sous-région des Grands Lacs africains n’échapperont plus à l’exigence de la transparence. L’option a été levée le 15 décembre 2010 à Lusaka lors du sommet des présidents des pays membres de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs. Objectif poursuivi : mettre fin à l’exploitation des ressources naturelles dont les revenus alimentent les conflits armés dans la région. Cette option de traçabilité des minerais de la région des Grands Lacs est sur les traces du processus de Kimberley qui ne concernait que le diamant. Aux termes de ce processus, chaque Etat a l’obligation de certifier son diamant de la production jusqu’à la vente. Cela aux fins de mettre un terme à la fraude et à l’utilisation des fonds générés par le diamant dit du sang.
C’est la carrière de Bisiye, en territoire de Walikale (Nord-Kivu), qui a été choisie comme carrière pilote pour le projet. Faut-il signaler qu’un autre projet sur la protection des minerais dans l'Est de la RDC a été lancé à Goma, au mois de mai 2010. A en croire les animateurs de l’« Initiative d'ITRI pour la chaîne d'approvisionnement de l'étain (ITSCI) », ce nouveau mécanisme aiderait non seulement les creuseurs mais aussi l'Etat congolais à mieux quantifier le volume de coltan et autres minerais exploités dans la partie Est de la RDC. Il s’agit d’établir la traçabilité des minerais du puits jusqu'aux centres de traitement. Dans ces conditions, la responsabilité de la RDC devrait être pleine.
L’initiative prise à Lusaka est, certes, bonne mais elle pèche par son côté globalisant, laissant entrevoir un partage de responsabilité aux contours flous. Qu’est-ce à dire ? La certification proposée est voulue globale. Il a été convenu dans la capitale zambienne que même les pays non producteurs des minerais en circulation dans la région devaient avoir la latitude de les certifier. D’autant que, selon ce principe, l’origine des produits extraits du sous-sol d’un pays donné ne sera pas nécessairement connue. Illustration : un colis de coltan déclaré impropre à la commercialisation en RDC peut être certifié au Rwanda ou en Ouganda.
Et pourtant, pour plus d’efficacité et pour un suivi sérieux, les productions de chaque Etat devraient être estampées de manière spécifique.
Vu en filigrane, cet aspect de la certification laisse un arrière-goût difficile à digérer. Maints observateurs avisés y voient une consécration d’une situation de fait déjà en vogue dans les Grands Lacs. Ceux-ci estiment que cette dernière trouvaille fait la part belle aux voisins de la RDC qui ont toujours suscité une sorte de compassion de la part de l’ancien sous-secrétaire d’Etat américain aux affaires africaines Herman Cohen et de l’ancien envoyé spécial de l’Union européenne dans les Grands Lacs, Aldo Ajello. La même préoccupation a été reprise par le chef d’Etat français dans son discours de janvier 2009 au corps diplomatique accrédité à Paris.
Aldo Ajello, le chantre de l’injustice de la nature
Ex-représentant spécial de l’Union européenne pour la région des Grands Lacs, Aldo Ajello a, dans un ouvrage publié récemment sous le titre : « Brasiers d’Afrique. Mémoires d’un émissaire pour la paix », abondé dans le même sens que le président français en présentant le « partage » des ressources dans cette région comme « recette idéale » pour une paix durable.
Ainsi, pour corriger ce qu’il a appelé une « injustice de la nature », Aldo Ajello préconise une gestion concertée des ressources entre les pays de la sous-région, convaincu qu’ « un partage des ressources du Kivu est nécessaire pour une paix durable dans la région ». Une conviction qui le pousse à croire qu’« Il s’agit de trouver un accord pour que les frontières puissent s’ouvrir ».
N’est-ce pas ce que vient de consacrer de manière tacite l’accord sur la traçabilité des minerais des Grands Lacs adopté le 15 décembre 2010 par les chefs d’Etat des pays membres de la CIRGL? Un coup réussi pour ce chantre de l’injustice la nature envers les voisins de la RDC à l’Est.
Satisfecit pour Nicolas Sarkozy
Devant les diplomates en poste en France, Nicolas Sarkozy avait déclaré en substance ce qui suit : « Quant à la région des Grands Lacs, la violence s'est une fois déchainée. L'option militaire n'apportera aucune solution aux problèmes de fond qui se posent de façon récurrente depuis dix ans. Il faut trouver une nouvelle approche pour apporter aux pays de la région l'assurance que l'ensemble de ces questions sera réglé de façon globale. Cela met en cause la place, la question de l'avenir du Rwanda avec lequel la France a repris son dialogue, pays à la démographie dynamique et à la superficie petite. Cela pose la question de la République démocratique du Congo, pays à la superficie immense et à l'organisation étrange des richesses frontalières. Il faudra bien, à un moment ou un autre, qu’il y ait un dialogue qui ne soit pas simplement un dialogue conjoncturel mais un dialogue structurel. Comment dans cette région du monde, on partage l'espace, on partage les richesses et on accepte de comprendre que la géographique a ses lois, que les pays changent rarement d'adresse et qu'il faut apprendre à vivre les uns à côté des autres ? ».
Relayant la déclaration du président français, le Journal Le Monde, dans son édition du 18 janvier 2009, était allé plus loin en confirmant l’existence du « Plan Sarkozy » comme initiative de paix que celui-ci comptait discuter avec les autorités de Kinshasa lors de son séjour au mois de mars 2009.
De passage à Kinshasa en mars, il en a été effectivement question dans son bref entretien avec le président Kabila. A ce propos, Le Monde avait indiqué que Joseph Kabila avait manifesté de « l'intérêt » à ce « plan ». Mais, selon toujours Le Monde, « aucun accord ne s'est encore dessiné ». Voilà que l’accord tant recherché vient d’être obtenu. Le plus officiellement possible et de manière solennelle à Lusaka, en Zambie.
Dans ces conditions, la pacification totale et durable de la partie orientale de la RDC sera une gageure. La consécration du pillage des ressources devient une évidence d’autant plus qu’il s’opérera désormais en toute légalité. Le fond du problème c’est que l’option levée risque de produire des effets contraires. Une fois de plus, il s’agit d’un acte de soumission dont le but ultime est d’affaiblir davantage la RDC en ouvrant davantage ses frontières, elle que tous soupçonnent d’être trop grande pour ses habitants et ses dirigeants. A terme, la certification « ès Lusaka » pourrait aboutir à la mise en œuvre du vieux schéma de la balkanisation.
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