jeudi 2 septembre 2010

Rwanda -Drame rwandais: démêler le vrai du faux

(Cyberpresse 02/09/2010)
La réplique de M. Lambert Rangira «Une vue caricaturale du Rwanda d'aujourd'hui» (Le Soleil, 2 juin 2010) à une réflexion que j'ai fait paraître dans les colonnes du même quotidien et qui s'intitulait «Visite de la Gouverneure générale du Canada au Rwanda : quels enjeux?» (Le Soleil, 20 avril 2010) semble prouver une fois de plus l'impuissance du droit et de la raison dans le diagnostic des pistes de solutions aux problèmes auxquels le Rwanda fait face.
Parce que ma grille de lecture des évènements qui ont endeuillé le Rwanda il y a 16 ans diffère du discours ambiant jusqu'ici véhiculé par les partisans de Paul Kagame, M. Rangira me traite de «négationniste».
L'accusation est gravissime et mérite une riposte appropriée. Je n'ai jamais nié qu'au Rwanda, en 1994, il y ait eu génocide. La tragédie rwandaise mérite à juste titre le qualificatif de «génocide rwandais», terminologie qui a d'ailleurs été utilisée par les Nations unies et le Parlement canadien. Vouloir à tout prix coller une étiquette ethnique à cette horrible tragédie (qui a malheureusement emporté aussi bien des Tutsis que des Hutus) ne contribue pas à l'exercice de démêler le vrai du faux dans le drame rwandais.
En parcourant les principales résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies portant sur le drame rwandais, on trouve quatre textes importants : la Résolution 935 (1994) du 1er juillet 1994 demandant au Secrétaire général de constituer d'urgence une commission impartiale d'experts chargée d'examiner et d'analyser les informations relatives à la situation au Rwanda; la Résolution 955 (1994) du 8 novembre 1994 portant création du Tribunal pénal international sur le Rwanda (TPIR) auquel est annexé le statut dudit Tribunal; la résolution 977 (1995) du 22 février 1995 établissant le siège du Tribunal international pour le Rwanda à Arusha en Tanzanie; et la résolution 978 (1995) du 27 février 1995 priant les États membres des Nations unies d'arrêter et de mettre en détention, conformément à leur législation nationale et aux normes applicables du droit international, les personnes trouvées sur leur territoire contre lesquelles il existe des preuves suffisantes qu'elles se sont rendues coupables d'actes entrant dans la compétence du TPIR.
Tous ces textes qualifient de la même façon les atrocités et autres crimes de guerre survenus au Rwanda. La résolution 935 (1994) parle de «violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire du Rwanda, y compris d'éventuels actes de génocide». Quant à la résolution 955 (1994), celle qui a créé le TPIR, elle parle d'«actes de génocide et d'autres violations flagrantes, généralisées et systématiques du droit international humanitaire commises au Rwanda».
On aura remarqué que le législateur s'abstient de tomber dans le piège de la qualification ethnique, ce qui laisse place à une application juste et équitable du droit international dans le cas de la tragédie rwandaise. Devrais-je rappeler à M. Rangira, au cas où cela aurait échappé à son attention, que le général Roméo Dallaire, questionné sur l'éventuelle planification d'un «génocide contre les Tutsi», s'exprimait, à l'antenne de Radio-Canada, le 14 septembre 1994, en ces termes: «Moi, je dirais qu'il y a eu génocide national, mais un génocide de philosophie politique, non pas purement ethnique. Beaucoup de Hutu comme beaucoup de Tutsi ont été tués... Je pense que le débordement qu'on a vu a été au-delà de pouvoir être conçu. Mais jamais, je pense, personne n'aurait pu planifier l'ampleur du débordement.»
Enfin, un autre élément qu'il sied de souligner tient au fait qu'en presque 16 ans de travail et après plus d'une trentaine d'arrêts, le TPIR n'a pas encore trouvé des preuves convaincantes pour fonder le crime d'«entente pour commettre le génocide», c'est-à-dire de planification du génocide. Même le colonel Théoneste Bagosora, présenté par l'opinion internationale comme le «cerveau du génocide», a été blanchi de ce crime, comme l'a fait remarquer un des témoins experts du TPIR, le professeur français Bernard Lugan: «Entre les mois d'avril et de juillet 1994, des centaines de milliers d'hommes, de femmes, d'enfants, de nourrissons et de vieillards ont été tués, le plus souvent dans des conditions horribles. Nous savons où, nous savons par qui, nous savons comment, mais l'éventuelle chaîne de commandement qui, avant le 6 avril 1994, aurait planifié de tels crimes n'a pas été mise en évidence devant le TPIR. Il y a donc bien eu génocide, mais ni préméditation, ni planification.»
Devant ce paradoxe apparent, plutôt que de jeter des anathèmes, la communauté internationale ne serait-elle pas mieux avisée de demander que le Droit pénal international intègre cette réalité en élargissant éventuellement la définition même de ce crime?
Dans ma réflexion (Le Soleil, 20 avril 2010) qui a fait sursauter M. Rangira, j'évoquais une situation préoccupante qui faisait penser que le Rwanda allait mal à la veille du scrutin présidentiel du 9 août dernier. On connaît la suite... Ce scrutin, qui vient d'accorder à M. Kagame un second septennat avec un score stalinien de 93%, a été une mascarade électorale. Tous les candidats de poids qui auraient pu offrir aux Rwandais un autre projet de société ont été écartés, assignés à résidence surveillée quand ils n'étaient pas forcés de prendre le chemin des geôles. Un avocat américain, M. Peter Erlinder, emprisonné. La presse harcelée. Les journalistes, les vrais, jetés en prison ou tués. Un opposant politique décapité.
Cette situation a récemment amené l'administration du président Obama, par la voix du porte-parole du Conseil national de sécurité, M. Mike Hammer, à livrer un verdict sans détour : «Nous demeurons préoccupés, disait-il, en commentant le résultat des élections rwandaises, par la série d'événements dérangeants qui ont eu lieu avant l'élection, notamment la suspension de deux quotidiens, l'expulsion du pays d'un chercheur des droits de l'homme, l'interdiction de participer au scrutin imposée à deux partis d'opposition et l'arrestation de journalistes». Même analyse pour le Canada qui, selon le ministre des Affaires étrangères, l'honorable Lawrence Cannon, s'exprimant de façon non équivoque, disait que «le Canada est préoccupé par le climat politique qui régnait pendant les élections et qui perdure, ainsi que par le nombre d'incidents violents qui se sont produits. Des rapports troublants font état d'intimidation auprès des opposants politiques et de pressions sur les médias.»
Toutes ces interventions, venant de surcroît des grands pays partenaires et amis du Rwanda, sont une réponse cinglante aux dénégations maintes fois exprimées, jusqu'au sommet du pouvoir kagaméen, sur les problèmes persistants concernant l' «État de droit» au Rwanda. Dès lors, toutes les personnes qui pensent différemment que les Rangira de ce monde - ces Rangira partisans du Rwanda enchanté de Paul Kagame - au sujet de la tragédie rwandaise auraient-elles franchi le Rubicon pour être affublés d'épithètes aussi grossiers qu'infamants de «négationnistes»? Cette pratique détestable doit cesser.
Dr. Augustin Baziramwabo, Président
Communauté des immigrants rwandais de la région d'Ottawa-Gatineau (CIRO)

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