(Les Afriques 30/09/2010)
Sur les bords du lac Léman, les suspicions vont bon train à propos d’une vente immobilière, effectuée dans le quartier résidentiel le plus cher de Genève, au bénéfice d’un compte bancaire français de la Présidence ivoirienne.
Vandœuvres et Cologny, c’est un peu le Beverly Hills de Genève, l’une de ces collines qui surplombe la ville et abrite un nombre impressionnant de milliardaires au kilomètre carré. C’est là, non loin d’une résidence d’été de feu le roi Fahd d’Arabie saoudite, que le président mythique de la Côte d’Ivoire, Félix Houphouët-Boigny, s’était autrefois offert, pour loger l’une de ses filles, une propriété sise au 110, route de la Capite. Me Christ, notaire bien connu à Genève, se souvient : « Possédant déjà une propriété en Suisse, le chef d’Etat ivoirien ne pouvait en acquérir une deuxième à son nom. Il l’avait donc payée de ses propres deniers, mais l’avait enregistrée au nom de l’Etat ivoirien ».
La villa suisse de haut standing vendue pour le compte de la Présidence ivoirienne.
Me Christ connaît parfaitement le dossier du 110, route de la Capite. C’est lui qui avait été mandaté par l’ambassadeur de Côte d’Ivoire à Genève, Claude Beke Dassys, pour régulariser juridiquement cette propriété qui était restée anachroniquement classée en zone agricole. « J’avais donc effectué toutes les démarches pour que la partie bâtie soit désassujettie à la Loi sur le foncier rural. Mais, le travail effectué, en dépit de mes relances, y compris auprès du nouvel ambassadeur, Guy-Alain Emmanuel Gauze, mes honoraires n’ont jamais été réglés ».
Au profit de la Présidence ]
Quelle ne fut pas la surprise du notaire lésé lorsqu’il découvrit, en juillet dernier, dans la Feuille d’Avis Officielle du Canton de Genève, la cession de cette propriété pour un montant de 15,35 millions de francs suisses (environ 12 millions d’euros). Pourquoi, lui qui avait jusqu’à lors géré tout ce dossier, n’en avait pas été saisi, ni même informé ? Eh bien parce que le 25 octobre 2007, Laurent Gbagbo a personnellement mandaté un avocat franco-ivoirien exerçant à Abidjan, Maître Sanogo Yaya, pour procéder à la vente de cette propriété.
A la lecture du mandat, signé du Président ivoirien, dont nous avons obtenu copie, deux points intriguent les hommes de loi : tout d’abord, le chef de l’Etat ivoirien demande à son avocat de faire verser le produit de cette vente, non pas au ministère ivoirien des Finances, afin que le pactole rejoigne le collectif budgétaire national, comme l’exigerait une bonne gouvernance, mais sur un compte français de la Société Générale, libellé « Présidence de la République ».
L’autre point litigieux est relevé par Me Christ lui-même : « A la lecture de votre document, la procuration de M. Gbagbo aurait du, pour que le vente soit reconnue au registre foncier genevois, être authentifiée par l’ambassadeur de Suisse à Abidjan. Ce qui ne semble pas être le cas. »
L’authentification a en effet été effectuée par un directeur de cabinet adjoint du Ministère ivoirien des Affaires étrangères. Pourquoi ce vice de forme ? « On peut imaginer que la destination parisienne du produit de la vente ne pouvait pas être cautionnée par l’ambassade de Suisse à Abidjan », précise un diplomate suisse que nous avons interrogé.
Comment l’étude de Me Georg, l’autre notaire genevois choisi par l’avocat du Président, a-t-il fait en sorte que le registre foncier accepte le dossier et enregistre la vente ? Personne de cette étude n’a souhaité répondre à nos questions.
Quant à l’heureux acquéreur de cette propriété, il s’agit d’une société anonyme, La Capite 110 SA, créée pour l’occasion le 6 mai 2010, et présidée par Tamari Wahbe, négociant à Genève, administrateur délégué de Sucafina SA et important acheteur de café ivoirien. Figure également parmi les associés de cette opération Nabil Gemayel et Lucien Lazzarotto, administrateurs, entre autres, de plusieurs sociétés immobilières à Genève.
La procuration de Laurent Gbagbo à Me Sanogo Yaya.
Un faux pas
Certes, ce n’est pas la première fois que Maître Sanogo Yaya procède à des cessions du patrimoine ivoirien dont il fait verser le produit directement sur le compte parisien de la Présidence de Côte d’Ivoire, mais, jusqu’à ce jour, toutes les transactions connues étaient effectuées en France et concernaient des biens français. L’administration hexagonale n’est pas peut-être pas très regardante sur ce genre d’opération, peu conforme aux règles de bonne gestion publique. On n’imaginerait pourtant mal Nicolas Sarkozy vendre en catimini des immeubles de l’Etat français au bénéfice de comptes de l’Elysée à l’étranger…
En reproduisant ce schéma en Suisse, il n’est pas exclu que le Président ivoirien ait commis un faux pas. Informées, il est peu probable que les autorités genevoises cautionnent cette étrange vente du patrimoine suisse de l’Etat ivoirien, en pleine campagne électorale.
Dominique Flaux
30-09-2010
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