(La Libre 24/09/2010)
Le parti au pouvoir débat actuellement de la création d’un “tribunal des médias”. Ce projet inquiète les défenseurs de la liberté de la presse.
Soutenons la liberté de la presse, c’est la base de toutes les autres libertés”. Cette phrase, écrite par Voltaire en 1765, pourrait aujourd’hui inspirer les dirigeants du Congrès national africain (ANC), le parti au pouvoir en Afrique du Sud.
Lors du Conseil national de l’ANC, qui se tient cette semaine à Durban, ces derniers ont abordé un sujet qui, depuis le mois d’août, suscite des remous dans le pays : la création d’un tribunal spécial pour “juger” les journalistes. Un organe, dirigé par le Parlement, qui serait chargé de punir les “manquements à l'éthique” des médias.
Et, malgré les nombreuses protestations émanant de la presse et de la société civile, la proposition semble sur le point de faire son chemin jusqu’au Parlement.
L’idée de ce tribunal ne date pas d’hier. Elle avait déjà été évoquée en décembre 2007 à Polokwane, lors de la dernière grande conférence de l’ANC, pendant laquelle Jacob Zuma avait été élu à la présidence du parti, tremplin vers le poste de chef de l’Etat. Mais la recommandation avait par la suite été abandonnée.
“Si elle refait surface aujourd’hui, c’est parce que l’ANC craint de ne pas parvenir à maintenir la cohésion sociale dans un pays aussi inégalitaire que l’Afrique du Sud. En contrôlant la presse, le gouvernement espère contrôler la société”, affirme Mark Weinberg, porte-parole de la campagne Right2Know, qui regroupe plus de 700 organisations civiles s’opposant à ce tribunal des médias.
L’ANC, de son côté, se défend d’avoir l’intention de porter atteinte à la liberté de la presse et dit vouloir venir en aide aux citoyens victimes de reportages “malhonnêtes”. “Les gens ne vérifient pas les faits quand ils écrivent”, a ainsi lancé le secrétaire général de l'ANC, Gwede Mantashe, pour justifier la création de ce tribunal.
Nicholas Dawes, rédacteur en chef de l’hebdomadaire sud-africain “Mail & Guardian”, proteste : “Actuellement, si un journaliste ment, il peut être jugé pour diffamation. Pourquoi vouloir mettre en place un tribunal spécial qui dépendrait du pouvoir?”.
Par ailleurs, le Parlement examine en ce moment un projet de loi pour “la protection de l’information”. Celui-ci prévoit la possibilité de classer certaines informations comme relevant du “secret d’Etat”. Les publier serait passible d'une peine de prison.
Selon les médias sud-africains, qui s’élèvent unanimement contre ces deux projets, ceux-ci serviraient avant tout à protéger les dirigeants corrompus. Julius Malema, le turbulent leader de la Ligue de la Jeunesse de l'ANC, n’a ainsi jamais caché son désamour pour la presse depuis que celle-ci a mis au jour ses responsabilités dans des entreprises qui se sont vu attribuer d'importants marchés publics. Le président Jacob Zuma lui-même a un compte à régler avec les journalistes qui, avant son élection, l’avaient accusé de nombreuses affaires de corruption.
En 1994, à la fin de l’apartheid, l’Afrique du Sud avait pourtant mis un point d’honneur à garantir dans sa Constitution l'indépendance de ses journaux.
En 2009, le pays figurait à la 33e place du classement de la liberté de la presse publié par Reporters sans frontières, devant la France, l’Espagne ou l’Italie. Si ces deux projets devaient être adoptés, cela représenterait un grand pas en arrière.
PATRICIA HUON CORRESPONDANTE À JOHANNESBURG
Mis en ligne le 24/09/2010
© La Libre Belgique 2010
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