(Etiame.com 06/12/2010)
Une sombre affaire de confiscation d’une faramineuse somme d’environ 8 milliards de francs CFA auprès des commerçants s’apprêtant à embarquer en direction de la Chine, continue de défrayer la chronique depuis quelques jours. Selon les victimes, cette pratique de transport de devises pour l’achat des marchandises se faisait depuis des années avec l’autorisation des services des douanes de l’aéroport de Lomé, qui délivrent une quittance après avoir prélevé une commission sur le montant déclaré. Cette descente musclée des services de renseignements à l’aéroport de Lomé a fait monter d’un cran la tension dans la capitale la semaine dernière. Le grand marché était en ébullition et les commerçants spoliés, toutes nationalités confondues, ont convergé la semaine dernière vers la présidence de la République, mais le maître des lieux n’a pu les recevoir. La colère des commerçants est très grande en ce moment et pour cause, ce n’est pas la première fois que ces fameux services de renseignements s’emparent de leur fortune acquise de dur labeur. Mis sous pression depuis quelques jours, le gouvernement léthargique de Faure Gnassingbé a fini par pondre un communiqué aussi laconique que mensonger, visant à circonscrire cette histoire aux étrangers. «Plusieurs commerçants de nationalités étrangères s’apprêtaient à embarquer avec d’importantes sommes d’argent dans leurs bagages, en violation de la réglementation en vigueur sur le transfert de fonds. Dès qu’elles ont été informées de la situation, les autorités compétentes ont, à titre de mesure conservatoire, appréhendé les intéressés et saisi les sommes transportées, afin de faire la lumière sur l’origine de ces fonds et leur destination finale», a précisé le communiqué gouvernemental qui n’a pas pris soin de préciser le montant réel saisi.
Du reste, cette rocambolesque affaire de transport illégal de devises sur fond d’intervention musclée des services de renseignements suscite des interrogations. Pourquoi en dépit de la législation en vigueur, les services des douanes togolaises délivrent des quittances aux commerçants pour le transport de ces fortes sommes, quitte à percevoir leur commission? Les fameux services de renseignements ne sont-ils pas au courant de cette pratique? Si oui, quelles sont les sanctions prises à l’endroit des douaniers ? Pourquoi n’a-t-on pas envisagé une sensibilisation des commerçants et opérateurs économiques sur la législature en vigueur? Le Togo dispose d’un Centre National de Traitement des Informations Financières (CENTIF), pourquoi le fameux service de renseignements passe outre ce service spécialisé en la matière pour agir? De l’aveu des opérateurs économiques, les mêmes services de renseignements ont saisi le 11 janvier 2010 environ 1 milliard 600 millions. Cette importante somme n’a jamais été restituée aux propriétaires dont certains sont morts par la suite. Qui a gardé par devers lui cet argent ? Enfin, que dit au juste la législation en matière de transfert d’argent?
De la législation en vigueur…
L’arsenal juridique sur le transfert d’argent découle de la lutte contre le blanchiment d’argent et surtout le terrorisme. Le blanchiment d’argent selon l’Encyclopédie Wikipédia, est défini comme l’action de dissimuler la provenance d’argent acquis de manière illégale (spéculations illégales, activités mafieuses, trafic de drogue, d’arme, extorsion, corruption) afin de réinvestir dans les activités légales. Avec la mondialisation et les échanges capitaux qui sont de plus en plus importants, la lutte contre le blanchiment d’argent a été étendue sur le plan international. C’est ainsi que sous l’action du G7, le GAFI (Groupe d’Action Financière contre le Blanchiment de capitaux) a vu le jour en 1989. Cet organisme intergouvernemental a pour but de développer et de promouvoir une réponse internationale pour lutter contre le blanchiment d’argent.
Sur le plan sous-régional, la Directive N° 04/2007/CM/UEMOA relative à la lutte contre le financement du terrorisme dans les Etats membres de l’UEMOA décline une panoplie de dispositions sur le transfert des devises et les mesures coercitives en la matière. Cette directive met un accent particulier sur le rôle du CENTIF qui a priori devait jouer le rôle de gendarme dans ce domaine.
On peut déduire au regard des dispositions du GAFI, des directives de l’UEMOA en matière de transport d’argent en espèces et d’autres dispositions que le transport en espèces des milliards par les commerçants appréhendés est illégal. Et puisque c’est le cas, les services des douanes togolaises ne pouvaient en aucune manière délivrer une quittance pour le transport de cette somme. Mais comme nous sommes dans un pays où la corruption est érigée en système de gouvernement, les agents des douanes violent allègrement les dispositions légales au point que cette pratique est devenue légale aux yeux des commerçants dont la plupart, faut-il le rappeler, évoluent dans l’économie informelle. On ne peut transporter autant d’argent sans aucune traçabilité avec tous les enjeux liés au terrorisme de nos jours.
A l’abus des services de renseignements
S’il est vrai que le transport de cette importante somme s’effectuait en violation de la législation en vigueur, il faut souligner que les services de renseignements togolais en particulier le fameux ANR abuse de son autorité. Dans un passé récent, ce service lié directement à la Présidence de la République a saisi des centaines de millions auprès des Libanais et à ce jour, nul ne sait où sont passés ces sommes. Comme nous l’avons dit plus haut, les commerçants ont avoué avoir été spoliés par le même service de renseignements le 11 janvier 2010 à hauteur d’un milliard 600 millions et cette importante somme n’a jamais été remboursée aux propriétaires jusqu’à ce jour. On apprend que certains parmi eux en seraient morts. S’il est vrai que la législature en la matière prévoit des mesures coercitives qui peuvent aboutir à la saisie de l’argent au cas où il serait d’origine douteuse, prend-on le temps nécessaire de faire une enquête dans ce sens ou privilégie-t-on la loi de la force?
Visiblement, c’est la seconde option qu’on retient, ce qui permet de spolier les propriétaires et d’enrichir une poignée de personnes qui gravitent autour de ces fameux services de renseignements. La dernière révélation de la Lettre du Continent N° 638 du 27 octobre 2010 où un officier des renseignements a été nommément cité, illustre bien cette situation. Il n’est pas normal que dans un pays, les services de renseignements se comportent comme des «Zorro de la République» pour sauter sur n’importe quel citoyen. C’est d’autant plus scandaleux que des services compétents à vocation régionale et sous-régionale existent pour ce travail. Cette méthode de racket que le gouvernement tente de justifier maladroitement dans son communiqué ne ressemble à rien d’autre que de la voyoucratie et de la délinquance.
Un acte aux conséquences imprévisibles sur l’économie
Il n’est un secret pour personne et nous l’avons déjà écrit dans nos colonnes que l’économie togolaise et surtout le grand marché est dans les mains des étrangers qui brassent des milliards. Tous les pans de l’économie de notre pays sont aujourd’hui dans les mains des sahéliens, des Indopakistanais, des Chinois, des Nigérians etc. Ces groupes organisés délogent lentement mais sûrement les nationaux de tous les secteurs stratégiques de notre économie et le plus souvent avec la complicité des gouvernants ou de certains barons du régime. Le comble est qu’ils ne déposent jamais les milliards engrangés dans les banques togolaises qui, elles, sont appelées à soutenir l’économie. Très subtils, ils trouvent les moyens de convoyer sans le canal des institutions bancaires les milliards vers leur pays d’origine. Le manque à gagner pour le Togo est énorme. Un gouvernement responsable devrait a priori se pencher sérieusement sur cette question surtout que l’économie togolaise est à plus de 70% informelle. Mais que de discours et jamais d’actes. Dès le début de cet incident, les sahéliens ont saisi leurs consuls respectifs au Togo qui en retour ont transmis les préoccupations à leurs Chefs d’Etat. C’est donc sous ces diverses pressions que les autorités togolaises qui avaient annoncé tambour battant une enquête ont dû restituer sans bruit les fonds aux propriétaires et libérer en catimini les individus appréhendés.
Selon l’une des victimes que nous avons rencontrées, il n’est pas question pour eux de faire des transferts par les banques qui perçoivent 400 000 FCFA sur 10 millions. Normal pour des commerçants habitués aux calculs d’épicier et qui n’ont qu’un seul objectif, faire du profit. Le Togo va-t-il imposer désormais le transfert bancaire à ces commerçants qui jouent aujourd’hui un rôle prépondérant dans l’économie nationale? Ces commerçants vont-il abandonner les anciennes pratiques ? Autant de questions en suspens. Une chose est certaine, la dernière gaffe de ces services de renseignements porte un sérieux coup à l’image du Togo perçu par les opérateurs économiques comme un pays à haut risque. Il ne sera pas surprenant de voir certains opérateurs désertés le Togo pour les pays voisins. C’est donc par ce gangstérisme des renseignements qui multiplient les rackets, cette voyoucratie sur fond d’insécurité pour les opérateurs économiques que Faure Gnassingbé et les siens entendent relancer l’économie nationale. Mais au fait, quand les barons du régime, leurs femmes et maîtresses organisent la fuite de centaines de millions chaque semaine en direction de Dubaï, que disent les services de renseignements?
Ferdi-Nando, L’Alternative
03 décembre 2010
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