lundi 6 décembre 2010

Burkina Faso - VERDICT DU CONSEIL CONTITUTIONNEL: à chacun sa victoire

(Le Pays 06/12/2010)
Au Burkina, les contentieux électoraux se règlent le cas échéant par la voie judiciaire. C’est ce qui a amené plusieurs candidats à l’élection présidentielle du 21 novembre dernier devant le Conseil constitutionnel. Au-delà du verdict rendu par cette haute juridiction, c’est le réflexe imprimé désormais en chacun, et notamment au sein des acteurs politiques, que seules les voies pacifiques, dont celles judiciaires, doivent être privilégiées en cas de désaccord.
C’est au mérite principalement de l’opposition, de s’être lancée dans la procédure judiciaire que l’on sait, pour demander la reconnaissance de l’illégalité de la carte de l’électeur et pourquoi pas celle de l’élection. Si elle n’a gagné ni la bataille de la mobilisation électorale, ni celle du marathon judiciaire, elle peut s’enorgueillir d’avoir marqué incontestablement des points politiques. D’abord, en montrant qu’elle se veut une opposition républicaine malgré sa défiance vis-à-vis de la justice.
Elle aurait pu en effet, en dépit du constat réel fait par tous de la mauvaise organisation du scrutin, se morfondre et ruminer intérieurement son amertume, ou dans le pire des cas, jeter ses militants dans la rue. Ce ne fut pas le cas. Et même le pouvoir, peut-être par cynisme, a salué cette démarche pacifique et républicaine de l’opposition. Mais la plus grande victoire de ceux qui ont attaqué l’élection en justice, c’est d’avoir permis de démontrer la crédibilité de leurs critiques contre la carte d’électeur. La justice a abondé dans leur sens, sans toutefois aller jusqu’à annuler le scrutin et ordonner sa reprise. Cela, c’est une autre histoire. Si donc la carte d’électeur a été juridiquement reconnue comme illégale, c’est dire que l’élection n’a pas été aussi propre comme on veut le faire croire.
En cela, l’opposition marque un autre point politique, car cette énorme irrégularité, sur un document aussi essentiel, porte aussi un coup de canif sur le scrutin. Du coup, la victoire du candidat Blaise Compaoré s’en trouve ternie. A la faible participation de l’électorat, il faudra donc ajouter cette organisation chaotique, deux éléments qui ne peuvent que déteindre sur la victoire du régime en place. Mais au-delà des individus, le recours des opposants permet de jeter une lumière crue sur la légèreté dont ont fait preuve l’Administration et certaines institutions burkinabè dans ce dossier de la carte d’électeur. On se souvient que la dernière révision du Code électoral, intervenue en urgence, a concerné l’article 53, sur la filiation devant apparaître sur la carte d’électeur. Obsédé (voire paniqué) par le faible taux de participation qui se profilait à l’horizon, le pouvoir cherchait à faciliter au maximum la procédure de vote.
Dans la précipitation, l’aveuglement, ou l’entêtement, on passe outre une précaution de taille, sans s’assurer que la réforme opérée est en conformité avec les textes. Le gouvernement, les députés, le Conseil constitutionnel et le chef de l’Etat ont-ils révisé l’article 53 du Code électoral dans l’ignorance ou en toute conscience des irrégularités ? On ne le sait pas. Toujours est-il que sur toute la chaîne, se dégage l’impression d’une négligence collective. Tout le monde devra donc revoir sa copie, si l’on veut que les citoyens aient confiance aux institutions. Car, si aujourd’hui les opposants se plient au verdict de la justice dans le dossier de la carte d’électeur, c’est certainement par esprit d’apaisement.
Ils ne sont pas convaincus de l’indépendance de tout le système judiciaire burkinabè. Il est donc impérieux que dans un Etat de droit, la justice inspire la confiance de tous les acteurs. Dans le cas contraire, c’est dans et par la rue qu’ils voudront se rendre justice. Un retour en arrière qu’aucun Burkinabè animé de bonne foi ne souhaite revivre. Au total, si dans le feuilleton de la carte d’électeur, l’opposition a perdu juridiquement, elle a par contre obtenu des dividendes politiques.

Mahorou KANAZOE
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