(La Croix 29/10/2010)
La présidentielle en Côte d'Ivoire oppose le président sortant et candidat du Front populaire ivoirien, Laurent Gbagbo, à Henri Konan Bédié (Parti démocratique de Côte d’Ivoire) et à Alassane Ouattara (Rassemblement des républicains)
Laurent Gbagbo, le roublard
Qui eût cru que le pourfendeur de Félix Houphouët-Boigny se fondrait si bien dans le costume présidentiel ? Parvenu à la tête de l’État en 2000 à l’issue d’un scrutin qu’il qualifia lui-même de « calamiteux », minoritaire au Parlement, l’ancien syndicaliste a pris goût au pouvoir, au point de s’y accrocher cinq ans après l’échéance normale de son mandat.
En une décennie, l’historien Laurent Gbagbo aura renié bien des aspirations du socialisme de sa jeunesse, ne serait-ce qu’en couvrant les dérives extrémistes de son entourage : escadrons de la mort, milices ethniques, massacres de manifestants, détournements divers.
Originaire de l’ouest du pays, celui que les Ivoiriens surnomment « le boulanger » (pour sa propension à rouler ses adversaires dans la farine) ne recourt pas qu’à la ruse ou à l’argent pour asseoir son pouvoir. C’est surtout un formidable politicien ayant une connaissance approfondie du terroir ivoirien, et un vrai tribun.
Marié depuis vingt et un ans à une redoutable femme politique, Simone Ehivet, ce pentecôtiste de 65 ans n’en exhibe pas moins une « seconde épouse » qui a joué un rôle actif dans sa campagne.
Parce qu’il est issu d’une ethnie minoritaire, les Bétés, Laurent Gbagbo a toujours eu le souci d’élargir sa base électorale en dépassant les clivages communautaires et générationnels. Cela peut être un atout lors de cette élection qu’il entend remporter dès le premier tour.
Henri Konan Bédié, le vétéran
C’est son dernier combat. À 76 ans, l’ancien président ivoirien (1993-1999) veut prendre sa revanche sur l’Histoire, qui l’a malmené. Dauphin de Félix Houphouët-Boigny, « HKB » ne s’est jamais remis d’avoir été renversé en 1999 par une mutinerie sous-estimée qui se mua en coup d’État.
Après deux ans d’exil en France, il rentre triomphalement au pays en 2001 pour participer au Forum de réconciliation nationale. Le report de la présidentielle de 2005 va, année après année, faire de son âge un handicap.
Lui-même insiste sur son expérience et mise sur la nostalgie de l’époque où le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), longtemps parti unique, régnait sur un pays prospère.
Mais celui que l’on surnomme « le Sphinx de Daoukro », du nom de son village, où il passe une grande part de son temps, a donné l’impression qu’une victoire à cette présidentielle serait un simple retour des choses.
Quand l’hebdomadaire Jeune Afrique lui demande quelle erreur de jugement il a pu commettre pendant ses six années au pouvoir, la réponse tombe, lapidaire : « Je n’en vois pas ». Pourtant beaucoup lui reprochent, entre autres, d’avoir repris à son compte le concept d’« ivoirité », source de divisions.
Issu du premier groupe ethnique du pays, les Akans, Henri Konan Bédié va certes pouvoir compter sur le légitimisme de sa communauté. Cela suffira-t-il à lui acquérir les indispensables voix de la jeunesse ? C’est tout l’enjeu pour le vétéran de la politique ivoirienne.
Alassane Ouattara, l’éternel exclu
Victime d’injustice pour les uns, diviseur pour les autres, Alassane Dramane Ouattara est, de tous les candidats, celui qui suscite les haines les plus ancrées, mais aussi la plus grande ferveur.
Empêché d’être candidat en 2000 pour cause de « nationalité douteuse » (il s’était dans sa jeunesse prévalu de celle du Burkina Faso, où vécurent ses parents), le leader du puissant Rassemblement des républicains (RDR) dispute à 68 ans sa première élection présidentielle.
Parce qu’une partie des auteurs du coup d’État manqué de 2002 avaient appartenu à son entourage et faisaient du déni de nationalité leur combat, les tenants du pouvoir lui attribuèrent la paternité du putsch manqué, qu’il a toujours niée.
Premier ministre de Félix Houphouët-Boigny de 1990 à 1993, Alassane Ouattara a laissé le souvenir d’un gestionnaire sévère mais intègre. Cet économiste, qui fit l’essentiel de sa carrière au Fonds monétaire international (dont il fut vice-président), se veut l’incarnation d’un « libéralisme à visage humain ».
Sa longue amitié avec Nicolas Sarkozy est complaisamment dénoncée par le camp présidentiel. Et les longs séjours en France de ce musulman marié à une Française catholique lui attirent le reproche d’être un technocrate éloigné des réalités locales. « Ado » reste pourtant une icône pour tous les originaires du Nord, qui devraient le plébisciter dimanche 31 octobre.
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