vendredi 25 mars 2011

Burkina Faso -Magistrats, avocats et greffiers: grève générale de protestation

(L'Observateur Paalga 25/03/2011)

Les magistrats, les avocats, les greffiers et les agents du ministère de la Justice sont choqués par les dégâts causés par la soldatesque dans leurs locaux et en ville et par la libération des cinq militaires condamnés. Dans cette déclaration commune, les trois syndicats appellent à un arrêt des activités dans toutes les administrations judiciaires et exigent, entre autres, que des excuses publiques soient présentées au pouvoir judiciaire et la réincarcération immédiate des bidasses.
“Dans la nuit du 22 au 23 mars 2011, des coups de feu ont retenti pendant plusieurs heures à Ouagadougou, notamment en provenance du camp Lamizana, du camp Guillaume et du camp situé sur la route de Pô. Ces coups sont allés en s’intensifiant et en convergeant vers le centre de la ville avec pour cible principale le palais de justice. Dans la matinée du mercredi 23 mars, les premiers constats faisaient état de boutiques pillées, de stations d’essence vandalisées etc. Au palais de justice, les locaux ont été violés et les dégâts énormes. Les salles d’audience n°2 et n°2 ont été saccagées, les bancs et chaises ont été cassés, des vitres cassées, un bureau défoncé, les tiroirs fouillés.
Les vitres du bâtiment de la maison de l’Avocat ont également été endommagées. Des douilles de balles réelles ont été retrouvées par terre. Il ressort du communiqué du ministre de la Défense et des Anciens combattants que ces actes sont le fait d’un groupe de militaires qui s’est indigné de la condamnation de cinq des leurs par le Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou à l’audience du 22 mars 2011. Mais de quoi s’agit-il exactement ?
Le 22 février 2011, le Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou a connu d’un dossier dans lequel cinq (05) militaires étaient poursuivis pour outrage public à la pudeur et vol. Les faits de l’espèce révèlent que courant mois de février 2011, les cinq (5) militaires en question, soupçonnant un citoyen de faire la cour à la concubine de l’un d’entre eux, se sont coalisés pour lui donner, selon leurs termes, une correction, et ce faisant, ils lui ont assené des coups, l’ont obligé à se prosterner devant eux pour implorer leur clémence, l’ont contraint à boire l’eau d’un puits perdu.
Par la suite, ils l’ont déshabillé et contraint à aller rejoindre tout nu sa monture, qu’ils avaient pris le soin de mettre au milieu de la voie, de la mettre en marche et partir comme tel à la maison. Il était quatorze heures. Interdiction lui a été faite d’emprunter les rues de quartiers communément appelées « six mètres ». La victime faisant chemin est entrée dans une cour pour solliciter des vêtements. Là encore les cinq militaires ont accouru et l’ont obligé à s’en aller dans son état dénudé sous la huée de témoins involontaires. Le même soir, deux d’entre eux se sont rendus à son lieu de travail et y ont déposé ses effets d’habillement auprès des vigiles.
La victime a été également dépossédée de ses documents administratifs et de la somme de cinquante (50 000) mille francs CFA. Statuant sur ces faits et après un débat contradictoire, le dossier a été mis en délibéré pour le 22 mars 2011 pour que la décision soit prononcée. A cette audience, les cinq (05) militaires ont été reconnus coupables des faits d’outrage publique à la pudeur, vol, complicité d’outrage publique à la pudeur, complicité de vol. En répression, ils ont été condamnés à des peines allant de douze (12) mois ferme pour quatre d’entre eux à quinze (15) mois ferme pour le dernier et à des dommages intérêts de trois (03) millions environ.
Les syndicats du secteur de la justice appellent l’opinion publique nationale et internationale à analyser l’action des militaires avec moins de passion. En effet, au-delà de la question de l’impunité ambiante qui est très souvent réservée à certaines catégories professionnelles ou sociales et de tous les maux de la justice burkinabè (corruption, manque d’indépendance, lenteur pour certains dossiers et célérité pour d’autres, etc.), lesquels maux sont combattus et dénoncés par les syndicats de la magistrature, les actes des militaires posent un certain nombre de problèmes que l’opinion doit cerner.
Il est à rappeler que dans un Etat de droit, nul n’est au-dessus de la loi, y compris l’Etat lui-même et le juge, qui peuvent se voir condamnés pour leurs manquements à la loi. Il ne revient donc pas à une catégorie professionnelle, soit-elle armée, de se rebeller contre le traitement des dossiers de justice concernant certains de ses membres à travers les moyens sus-décris. Qu’adviendrait-il si chaque couche socioprofessionnelle devait recourir à des actes du genre pour protester contre les décisions judiciaires ?
Au regard de la gravité des évènements, les magistrats, le personnel judiciaire et les avocats regroupés au sein du Syndicat des avocats du Burkina Faso, en leur qualité de travailleurs de la justice, se sentent énormément en insécurité sur leur lieu de travail et refusent d’être les moutons du sacrifice. C’est pourquoi ils ont décidé de la cessation immédiate de toutes les activités juridictionnelles dans toutes les juridictions, et ce, sur toute l’étendue du territoire national, jusqu’à nouvel ordre. Dans la même logique et dans leur principe de défense de l’indépendance de la magistrature, les syndicats soussignés :
• dénoncent la gestion de la situation par les autorités à travers le communiqué du ministre de la Défense et des Anciens combattants qui ne fait nullement allusion aux dégâts causés au palais de justice, pourtant la cible première des militaires ;
• dénoncent la libération des cinq militaires condamnés par une décision de justice et exigent leur réintégration, non à la Maison d’arrêt et de correction des armées mais à la Maison d’arrêt et correction de Ouagadougou (MACO), conformément au mandat de dépôt délivré contre chacun d’eux.
Ils exigent, pour la reprise des activités juridictionnelles sur toute l’étendue du territoire, ce qui suit :
la réintégration immédiate et sans condition des militaires condamnés le 22 mars 2011 sur décision de justice à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou. A défaut, les autres détenus seront en droit d’attendre de l’Etat qu’ils soient également libérés ;
la réhabilitation des locaux saccagés des juridictions ;
la prise de mesures urgentes pour sécuriser les magistrats et le personnel judiciaire ainsi que les palais de justice ;
l’ouverture sans délai de discussions sur la situation sécuritaire des magistrats et du personnel judiciaire ;
la présentation d’excuses publiques au pouvoir judiciaire ;
la sanction des auteurs de toutes les attaques survenues dans la nuit du 22 au 23 mars 2011.
Les points ci-dessus cités sont la condition sine qua non à la reprise sereine de l’activité juridictionnelle. Les syndicats soussignés interpellent le président du Conseil supérieur de la magistrature relativement à la remise en cause de l’indépendance du pouvoir judiciaire et la sécurité de ses acteurs.

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