(Le Nouvel Observateur 30/10/2010)
"Il y a de quoi avoir des doutes", confie Patrick Achi, ancien ministre des Infrastructures économiques et coordinateur de campagne du Parti démocrate de Côte d'Ivoire à Abidjan. Il raconte à Nouvelobs.com l'élection vue de l'opposition.
Patrick Achi, coordinateur de la campagne du Parti démocrate de Côte d'Ivoire à Yopougon, commune d'Abidjan réunissant un tiers des électeurs ivoiriens, défend le programme d'Henri Konan Bédié. Avant le grand jour, il décrit les suspicions de l'opposition sur la régularité d'une élection très attendue. Entre la détresse de la population ivoirienne et l'espoir d'un retour à la démocratie, plane la menace d'une violente révolte sociale avec, en lame de fond, le débat sur l'Ivoirité, qui n'en finit pas de diviser.
L'élection peut-elle se dérouler de façon régulière en Côte d'Ivoire ?
- Plusieurs facteurs le laissent espérer. Premièrement, la fiabilité du fichier électoral. Etabli après 8 années de discussions, il a été construit de façon consensuelle par l'ensemble des acteurs politiques et signé par les trois principaux candidats à l'élection présidentielle. De plus, l'organisation des élections a été confiée à un organe indépendant, la Commission électorale indépendante, qui a notamment pour mission de proclamer les résultats. Mais ce qui sera déterminant, c'est la sécurité le jour du scrutin, afin que tous les électeurs puissent aller voter librement.
Quelles sont vos craintes ?
- Ces derniers jours, il y a eu de nombreux débats au sujet du logiciel qui gère le décompte des voix. C'est une "boîte noire" dont la fiabilité est discutée, car sa conception a été confiée par le président à une filiale (Sils Technology, N.D.L.R) du Bureau national des études et de développement (BNETD). Or, cette entreprise publique a décroché cette mission via un contrat de gré à gré, sans appel d'offre. Et elle est dirigée par un proche de Laurent Gbagbo. D'où la suspicion sur ce logiciel. Un compromis a été négocié : d'autres logiciels de comptage vont être utilisés en parallèle, et le comptage manuel sera aussi pris en compte, mais à titre de comparaison, afin que les résultats puissent être rendus publics dès le soir même grâce à l'informatique. Pour éviter la contestation, il vaut mieux révéler rapidement les résultats.
N'avez-vous pas peur que les candidats revendiquent des résultats divergents, issus des différentes méthodes de comptage ?
- C'est une préoccupation. Mais nous n'avons pas voulu ajouter une nouvelle polémique à quelques jours d'une élection attendue depuis si longtemps, en donnant prétexte à un nouveau report.
Comment expliquez-vous ces reports ?
- Des manœuvres. En repoussant l'élection, le parti au pouvoir à gagné du temps. Il n'y avait pas besoin de 5 ans pour préparer cette élection. Après les accords de Marcoussis, en 2003, 2 ans auraient suffi.
Qu'est-ce qui permet l'organisation de cette élection aujourd'hui ?
- Le pays traverse une crise humanitaire, la population souffre de la crise économique. La menace d'une explosion sociale met la pression sur le pouvoir en place.
Que propose le PDCI ?
- Réhabiliter la Côte d'Ivoire. Les écoles, les hôpitaux, les routes. Reconstruire l'économie. En dix ans, la Côte d'Ivoire a perdu la moitié de ses emplois. Il faut également reconstruire une armée digne de ce nom, républicaine. De telles réformes auront des conséquences sur les libertés individuelles, sur la justice, sur la société. Pendant les cinq prochaines années, c'est avant tout la reconstruction du pays qui doit être entreprise.
En quoi votre programme diffère de celui de Laurent Gbagbo ?
- C'est avant tout une affaire d'hommes. Tout le monde peut faire un programme de reconstruction comme le fait M. Gbagbo. Mais lorsque le PDCI propose, par exemple, une couverture sociale universelle, elle met au point un programme réaliste, en prenant en compte ce que l'on peut réellement faire avec les moyens dont dispose le pays. Nous proposons des hommes qui sont capables de réaliser un programme.
Vous pensez que le programme de Laurent Gbagbo n'est pas réaliste ?
- Il est facile de faire un programme ambitieux. Mais le parti du président est composé d'enseignants, de syndicalistes, qui se sont retrouvés au pouvoir sans y être préparés. On voit dans quel état est le pays. Laurent Gbagbo a créé le LMP, le parti de la majorité présidentielle, laissant croire à l'arrivée d'une nouvelle équipe, mais c'est une coquille vide. Sur les affiches de campagne, on ne voit pas le lien avec les dirigeants actuels, car le pouvoir est sujet à la désaffection du peuple.
Pensez-vous que Laurent Gbagbo va respecter les résultats ?
- Eh bien, quand il déclare à Jeune Afrique "J'y suis, j'y reste", il y a de quoi avoir des doutes. Mais nous l'espérons.
Et vous ?
- De notre côté, nous avons mis en place une plateforme commune avec le RDR, l'UDPCI et le NFA. Tous les quatre, nous avons signé un accord sur un programme commun de gouvernement, pour permettre la reconstruction du pays. Si l'un des candidats se retrouve au second tour, les autres partis se sont engagés à le soutenir.
Est-il envisageable pour l'un des candidats d'opposition d'intégrer un gouvernement Gbagbo ?
- Le problème, c'est que Laurent Gbagbo s'est souvent plaint du fait qu'il était obligé de travailler avec des personnes qui ne sont pas de son camp, se servant de cette excuse pour expliquer ses échecs. Il a de grandes difficultés à travailler avec des personnes qui ne sont pas de son bord. Et rien ne nous dit qu'il sera au second tour.
Le président a récemment sous-entendu que ses opposants étaient les candidats de la France. Qu'en pensez-vous ?
- Des slogans nationalistes visant à redorer son image auprès des jeunes. En Côte d'Ivoire, plus de 50% des électeurs ont moins de 35 ans. A Abidjan, 75% ont moins de 40 ans. Laurent Gbagbo utilise ici un subterfuge. Même les opérateurs français vous diront qu'ils n'ont jamais autant tiré profit de la Côte d'Ivoire que sous Gbagbo. D'ailleurs Laurent Gbagbo a reçu Jack Lang dans un meeting de campagne. Le seul soutien qu'il reçoit vient d'un Français ! Mais selon nous, critiquer les puissances étrangères, notamment la France, ce n'est pas très sain. Cela peut permettre une victoire, mais pas sans laisser de traces.
Quelle est l'attitude du PDCI vis-à-vis de la France ?
- Nous sommes aujourd'hui dans un monde globalisé, dans une économie de partenariats. Nous considérons qu'il faut avoir un discours courageux. Nous ne voulons pas soutenir des thèses dangereuses pour la nation. La Côte d'Ivoire est une terre d'accueil depuis toujours. Il y a un combat mais c'est celui de la matière grise, nous ne nous reconnaissons pas dans la violence. Et nous avons le courage de le dire.
Est-ce que cette élection règle enfin la question de l'Ivoirité ?
- Non. C'est une question de société, qui a été travestie par les politiques. La Côte d'Ivoire est une terre d'immigration. Mais l'intégration des frères venus des pays voisins ne s'est pas faite de façon automatique. Ainsi, lors de l'émergence du pluripartisme, des dirigeants politiques sont allés pêcher auprès de leurs ethnies en utilisant ce débat dans un contexte de crise économique lié à la chute des cours du cacao. Il est toujours plus facile de rendre responsable les étrangers des maux rencontrés par notre propre société. Les passions liées à une élection sont un terrain propice pour concentrer l'opinion sur les questions liées à l'immigration. Cela a créé un fossé avec la sous-région, et avec la France. Aujourd'hui, avec les nouveaux fichiers électoraux, ce n'est qu'une partie du problème qui est réglée. Le vainqueur de l'élection a un énorme travail à faire pour reconstruire le tissu social, qui depuis longtemps s'est déchiré.
Est-ce que la parole est libre en Côte d'Ivoire ?
- Oui, absolument. Le problème, c'est l'accès aux médias, qui est réservé en priorité au pouvoir en place. Nous aurions dû tirer au sort le jour de passage à l'antenne des candidats. Au lieu de quoi Laurent Gbagbo passe le dernier, juste avant le vote. Mais c'est un candidat comme les autres. Pourquoi s'octroie-t-il ce droit ? C'est justement ce que son camp critiquait lorsqu'il était dans l'opposition. On voit aujourd'hui que ce ne sont que des ambitieux du pouvoir, pas des combattants de la liberté.
Interview par téléphone de Patrick Achi par Donald Hebert – Nouvelobs.com
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