(La Croix 29/10/2010)
Après huit ans de crise, l’ancienne colonie française se rend aux urnes, dimanche 31 octobre, pour une élection présidentielle repoussée depuis cinq ans
A Abidjan, Yopougon est une ville dans la ville. Avec son million d’habitants, cette commune de la capitale économique ivoirienne fait cohabiter deux communautés à l’identité bien marquée : les Bétés – ethnie du président Laurent Gbagbo – et les Dioulas, originaires du nord du pays, qui soutiennent un autre favori à la présidentielle de dimanche 31 octobre, Alassane Ouattara.
Entre ces deux groupes, des décennies de cohabitation, mais aussi de lourds contentieux : les premiers reprochent aux seconds d’avoir soutenu la rébellion qui faillit renverser leur champion en 2002. Quant aux « Nordistes », ils ont été victimes de l’ostracisme et de la répression orchestrés par les pouvoirs successifs, notamment en 2000 et après 2002.
En ces derniers jours de campagne pour la présidentielle la plus ouverte depuis l’indépendance, Yopougon sert de baromètre à ces deux partis. Samedi 23 octobre, Laurent Gbagbo y tenait meeting. Devant une foule des grands jours (un mort dans l’effondrement d’un pan de mur), le président a déployé la rhétorique qui fut la sienne pendant la campagne : guerrière et fortement axée sur le dénigrement de ses rivaux.
« Les autres font des coups d’État, nous, nous faisons des votes, a-t-il lancé. La carte d’identité est notre fusil. Quant à la carte d’électeur, elle est notre cartouche. Prenez donc vos cartes d’électeur et d’identité, et on va aller les battre, proprement. »
La jeunesse dioula de Yopougon derrière Alassane Ouattara
Mercredi 29 octobre, c’était au tour d’Alassane Dramane Ouattara (dit « Ado ») de visiter ce qui est – aussi – un de ses bastions. La mobilisation est forte, là encore, et la « caravane » du candidat fend une marée humaine impressionnante qui se déplace avec lui de quartier en quartier.
« Ado solutions », scandent ses partisans, reprenant le slogan de campagne de celui fut le premier ministre de Félix Houphouët-Boigny. « Tu n’as rien fait, dix ans cadeau ! », chantent-ils à l’adresse de Laurent Gbagbo, allusion au deuxième quinquennat que celui-ci a effectué sans avoir été réélu. Au bord de la route, ses partisans restent impassibles.
Encadrée par un service d’ordre impeccable, c’est toute la jeunesse dioula de Yopougon qui est derrière Alassane Ouattara et son parti, le Rassemblement des républicains (RDR).
« Notre problème numéro 1, c’est le manque d’emploi, explique Mariam, 31 ans, titulaire d’un BTS de gestion et au chômage. La jeunesse est paumée. Les diplômes, les concours s’achètent. On n’a plus honte aujourd’hui de dire qu’on a payé son concours de police ou son BTS. Sans argent, on n’a pas d’emploi. »
« Bédié et Gbagbo ont déjà été au pouvoir et les choses ont empiré, ajoute Adama, 21 ans, étudiant en logistique. On laisse une chance à Ado, c’est un économiste qui a démontré ses talents. »
5 000 francs CFA (7,60 €) remis après le meeting
À l’écart du cortège, sur une place, des jeunes supporteurs du Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo patientent au soleil. Ils attendent les bus les emmenant au meeting que le président doit tenir à Dabou, à une cinquantaine de kilomètres d’Abidjan.
À part chez leurs chefs – d’anciens animateurs d’« agoras », lieux de harangues politiques institués par le FPI après 2002 – les troupes se montrent assez courtes en arguments politiques. Sans trop d’effort, on apprend le motif réel de leur présence : 5 000 francs CFA (7,60 €), qui leur seront remis après le meeting.
« Gbagbo fait ça pour chacun de ses déplacements, c’est devenu un job à temps plein », raille un responsable de mouvement de jeunesse, proche du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). L’ancien parti unique tenait mercredi 29 octobre son meeting final autour de son candidat, l’ancien président Henri Konan Bédié.
« Celui que Dieu a envoyé sauver la Côte d’Ivoire »
Dans un stade Félix-Houphouët-Boigny bien rempli, rien ne manque : des dizaines de femmes venues pratiquer la danse Adjanou pour chasser les mauvais esprits, un fils d’Houphouët, des cavaliers traversant la pelouse au galop, des chanteurs et danseurs réputés, un pasteur pentecôtiste bénissant « celui que Dieu a envoyé sauver la Côte d’Ivoire », et un doyen de l’ethnie locale venu invoquer les mânes des ancêtres.
Rien ne manque, sauf un orateur de moins de 50 ans. C’est la vice-présidente du parti, Hortense Aka Anghui, 76 ans, comme le candidat, qui est chargée de s’adresser tout à la fois aux femmes et aux jeunes. Le brillant leader de la Jeunesse du PDCI, Kouadio Konan Bertin, n’aura pas la parole.
Tous les observateurs s’accordent pour dire que les moins de 35 ans, qui représentent environ la moitié du corps électoral, détiennent la clé de cette élection. Après un engouement réel, le mouvement des « Jeunes patriotes », actionné par la présidence, s’est trouvé affaibli quand la France a cessé de pouvoir jouer le rôle de bouc émissaire.
Un pacte entre Ouattara et Bédié
En face, deux partis de masse, le PDCI et le RDR, ont des mouvements de jeunesse très structurés. « Si c’est la jeunesse qui fait l’élection, je serai vainqueur », affirme Alassane Ouattara.
Le candidat du RDR est lié par un pacte avec Henri Konan Bédié : celui qui arrive derrière l’autre le soutient. « Ensemble, nous représentons 70 % de la population, affirme l’ancien premier ministre. Le parti de Gbagbo n’est même pas implanté sur l’ensemble du territoire. Lundi 1er novembre, il devra reconnaître sa défaite et se retirer. »
Mais rien ne dit que Laurent Gbagbo, pas plus que ses principaux adversaires, accepterait d’arriver troisième. Dans ce cas, c’est encore la jeunesse qui pourrait avoir le dernier mot. Dans la rue.
Laurent D'ERSU, à Abidjan
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