(Le Temps.ch 13/10/2010)
«Conversations avec moi-même», un recueil d’archives personnelles et inédites du héros de la lutte contre l’apartheid est publié cette semaine. Il permet d’approcher un Nelson Mandela plus intime que celui qui se donne à lire dans son autobiographie, Un long chemin vers la liberté. Extraits choisis
Le 16 octobre 1998, Nelson Mandela brandit sa plume. Sur une feuille bleue, il inscrit dans un coin «brouillon», consigne la date puis écrit au-dessous «Les années présidentielles, chapitre I». A l’époque, le héros de la lutte contre l’apartheid est encore président pour quelque mois de l’Afrique du Sud, le premier à avoir remporté un scrutin multiracial. Il entend alors donner une suite à son autobiographie publiée l’année de son élection, en 1994, Un long chemin vers la liberté. Surmené par ses activités de chef d’Etat, le Prix Nobel de la paix (1993) n’achèvera jamais ce livre. Une reproduction des premières pages de ce manuscrit resté inédit est publiée dans un ouvrage à paraître jeudi en français*.
Ce livre, préfacé avec une verve chaleureuse par le président Barack Obama, est un recueil d’archives personnelles du Sud-Africain, inconnues pour la plupart du grand public. Sur le fond, elles n’apprennent rien que l’on ne sache déjà sur la destinée politique extraordinaire du meneur de l’African National Congress (ANC). Elles permettent pourtant d’approcher un Nelson Mandela plus intime, d’une volonté de fer, cocasse à l’occasion, amoureux, et parfois broyé par le chagrin, que celui qui se donne à lire dans Un long chemin vers la liberté. «Sa vie a maintes fois été racontée à travers les biographies ou les articles de presse, les films et les documentaires télé […]. Mais qui est-il vraiment? Que pense-t-il vraiment?» relève en préambule Verne Harris, archiviste au Centre Nelson Mandela pour la mémoire et le dialogue, chef de projet pour cet ouvrage. Les réponses qu’elles apportent à ses questions confèrent aux Conversations avec moi-même un caractère historique.
Il est presque certain, pourtant, que leur lecture ne parviendra pas à rectifier l’idée que tout un chacun se fait de l’ancien détenu politique de légende. Lui-même tenait pourtant à nuancer son image en couchant sur papier les bases de sa seconde autobiographie inachevée. «Dans ma jeunesse, j’ai combiné la faiblesse à l’absence de discernement d’un garçon de la campagne […] Je m’appuyais sur l’arrogance pour dissimuler mes lacunes. Adulte, mes camarades m’ont sorti de l’obscurité […] pour faire de moi un épouvantail ou une énigme. […] On me considérait comme un saint. Je ne l’ai jamais été, même si l’on se réfère à la définition terre à terre selon laquelle un saint est un pécheur qui essaie de s’améliorer», note-t-il dès les premiers paragraphes.
Les documents qui constituent la trame du livre publié cette semaine dans une vingtaine de pays proviennent de quatre sources: les brouillons des lettres écrites par Mandela depuis la prison, dont il ne savait jamais si elles parviendraient à leur destinataire; des entretiens enregistrés, notamment avec Richard Stengel, l’éditeur qui collabora avec Mandela à son autobiographe; les carnets qu’il a méticuleusement annotés avant et après ses vingt-sept années de captivité; et le fameux manuscrit inachevé.
A Richard Stengel, Mandela livre ce qu’il pense des autres grands de la planète, visités après sa libération: la reine Elisabeth «pétillante, très à l’aise […] une grande dame très intelligente», François Mitterrand – «C’est une fausse idée de croire que les socialistes sont des bandits», ou l’Américain Bill Clinton – «Il sait vraiment parler aux gens […]. Avec beaucoup de dignité, mais toujours avec simplicité».
Les carnets fourmillent pour leur part de pense-bêtes, réflexions, ou fulgurances, dont celle-ci: «Les dirigeants se divisent en deux catégories. a) ceux qui sont versatiles, dont on ne peut prédire les actions, qui sont d’accord un jour sur un sujet et qui se désavouent le lendemain. b) ceux qui sont constants, qui ont le sens de l’honneur, une vision.»
Jamais larmoyantes, souvent poignantes, les lettres, enfin, rédigées à Robben Island, révèlent les tréfonds d’un homme torturé à l’idée de ne pouvoir prendre soin des siens, femme et enfants. A Winnie, l’épouse dont il divorcera en 1995, il écrit en 1969, alors qu’il vient d’apprendre la mort dans un accident de Thembi, son fils né d’un premier mariage: «Tu ne m’as jamais autant manqué qu’aujourd’hui.» Dans une autre, un an plus tard, alors que Winnie est incarcérée à Pretoria, il confie: «J’ai l’impression que toutes les parties de mon corps, chair, sang, os et âme ne sont plus que de la bile, tant mon impuissance absolue à te venir en aide dans les moments terribles que tu traverses me rend amer.»
*Conversations avec moi-même,Editions de La Martinière.
mercredi13 octobre 2010
Angélique Mounier-Kuhn
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