vendredi 3 septembre 2010

Afrique du Sud - Grève musclée de la fonction publique

(Le Temps.ch 03/09/2010)
Après deux semaines de mobilisation, le syndicat Cosatu a rejeté la dernière offre du gouvernement. Cette grève est un défi lancé au président Jacob Zuma.
Après l’euphorie de la Coupe du monde, les lendemains déchantent en Afrique du Sud. Plus d’un million d’employés de la fonction publique font grève depuis le 18 août. Une grève musclée, marquée par de nombreuses violences et intimidations contre les non-grévistes.
La plupart des écoles ont fermé, ainsi que certains hôpitaux, les autres établissements proposant un service réduit, avec l’aide de soldats et de milliers de citoyens bénévoles. En hâte, plus de 400 patients ont dû être transférés dans des cliniques privées. Des femmes ont passé des heures angoissantes à la recherche d’un lit où accoucher.
Pour le moment, les décès se comptent surtout parmi des bébés prématurés. Mais forcés d’interrompre leurs traitements, les patients atteints de maladies chroniques, comme le sida, risquent de développer des résistances: même ceux qui souffrent d’une forme de tuberculose incurable et contagieuse ont été renvoyés chez eux…
La grève est donc plutôt impopulaire. La Confédération syndicale Cosatu réclame une hausse de 8,6%, plus du double du taux officiel d’inflation (3,7%). Or les agents des services publics apparaissent comme des privilégiés (dans un pays qui compte plus d’un tiers de chômeurs), relativement bien payés (un garde de sécurité commence à 525 francs, le double de ce qu’il gagnerait dans le secteur privé).
Lundi, le président Jacob Zuma a sommé les deux parties d’arriver à un compromis. Le gouvernement a fait passer son offre de 7 à 7,5%, mais les syndicats l’ont rejetée mercredi soir. Personne n’est dupe: la grève est, aussi, un bras de fer politique. «Les travailleurs en ont marre de voir comment Jacob Zuma et son clan sont devenus milliardaires du jour au lendemain», résume Ed Man, un gréviste.
La Cosatu, qui a joué un rôle majeur (avec le Parti communiste et la Ligue des jeunes de l’ANC) dans la conquête de la présidence par Jacob Zuma en mai 2009, est déçue par son ancien poulain. Le syndicat dénonce les dépenses extravagantes des ministres et les affaires de corruption qui entachent le gouvernement, y compris le président (ses nombreuses épouses et enfants ont bénéficié d’accords économiques juteux). Pour Zwelinzima Vavi, le leader de la Cosatu, l’Afrique du Sud «se dirige rapidement vers un Etat prédateur» dirigé par «des hyènes politiques corrompues et démagogues». La Cosatu reproche aussi à Jacob Zuma d’avoir maintenu la politique économique libérale de son prédécesseur Thabo Mbeki, qui se traduit notamment par des disparités salariales parmi les plus élevées au monde: un ministre gagne 143 000 rands par mois (quelque 20 000 francs), soit 35 fois plus que le salaire minimum dans la fonction publique.
Le syndicat s’oppose par ailleurs au projet de loi de l’ANC visant à museler la presse: un tribunal spécial pourrait condamner à une peine allant jusqu’à 25 ans de prison, un journaliste qui aurait publié des documents que les ministres décident de classer «secrets en raison de leur intérêt national»! Pour toutes ces raisons, la Cosatu a menacé de ne pas appeler à voter pour certains candidats de l’ANC aux municipales de l’an prochain. Ce serait une première.
Les syndicats ne peuvent toutefois se permettre de trop affaiblir Jacob Zuma, au risque de faire le lit de Julius Malema. Le bouillant président des jeunes de l’ANC a, lui aussi, pris ses distances avec le chef de l’Etat: «Nous ne voulons pas de leaders qui disent à la reine d’Angleterre que les politiques économiques ne changeront pas» – début 2010, Jacob Zuma a été reçu par Elizabeth II. Julius Malema prône une «révolution économique» basée sur la nationalisation des mines et l’expropriation des fermiers blancs, au besoin, sans compensation, comme au Zimbabwe. Un populisme jugé dangereux: pour Zwelinzima Vavi, les jeunes «nationalistes» regroupés autour de Julius Malema veulent juste rejoindre «la course pour être riche».
La conférence de mi-mandat de l’ANC, à la fin du mois, promet donc d’être agitée. Les couteaux sont déjà tirés alors que le parti doit décider en 2012 s’il accorde un second mandat à Jacob Zuma.
Valérie Hirsch

© Copyright Le Temps.ch

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire