(Cyberpresse 22/04/2010)
(Kigali, Rwanda) Le Canada s'est excusé hier de son silence à l'époque du génocide rwandais. Au même moment, Kigali a arrêté une membre de l'opposition. Des voix s'élèvent contre la répression des opposants au régime de Paul Kagame et pressent Ottawa de se joindre à elles.
Pendant que la gouverneure générale Michaëlle Jean présentait les excuses du Canada pour son inaction à l'époque du génocide de 1994, le gouvernement rwandais procédait à l'arrestation d'une opposante qu'il accuse de propager une idéologie génocidaire.
L'arrestation de Victoire Ingabire, qui est rentrée d'exil en janvier pour participer à la présidentielle d'août prochain, met la gouverneure générale dans l'embarras. D'autant plus que madame Ingabire, ainsi que le chef d'un autre parti de l'opposition, Bernard Ntaganda, avaient souhaité rencontrer la chef d'État lors de son passage au Rwanda, cette semaine. Leur demande a été rejetée, mais les deux opposants ont pu s'entretenir avec le haut commissaire du Canada pour le Rwanda, la semaine dernière. Et lundi, celui-ci a rencontré la ministre rwandaise des Affaires étrangères pour discuter de la situation de l'opposition.
Bernar Ntaganda n'en déplore pas moins que le Canada ne proteste pas publiquement contre la répression des voix opposées au régime du président Paul Kagame.
«Aujourd'hui, tout opposant au président Paul Kagame est traité comme un idéologue du génocide, c'est devenu un prétexte pour faire taire l'opposition», dénonce Bernard Ntaganda, joint hier par La Presse. Il appelle la communauté internationale à faire preuve de «responsabilité morale» face à cette pratique.
S'il avait voulu faire de l'ombre au message solennel livré par Michaëlle Jean, le président Paul Kagame n'aurait pas fait mieux. Hier, la gouverneure générale a présenté les excuses du Canada au peuple rwandais pour n'avoir pas fait davantage, et n'avoir pas agi assez rapidement, afin d'empêcher le génocide au cours duquel 800 000 Rwandais, en majorité des Tutsis, ont été assassinés entre avril et juillet 1994.
Son geste, fait avec l'assentiment du gouvernement conservateur, a d'autant plus de poids qu'aucun premier ministre ou chef d'État canadien n'avait encore mis les pieds en sol rwandais depuis le génocide.
Inaction et indifférence
Avant son allocution, Michaëlle Jean avait visité le musée commémoratif bâti sur l'une des collines de la capitale, à l'endroit où 250 000 victimes ont été enterrées il y a 16 ans.
C'est avec un visage empreint de gravité que Michaëlle Jean s'est arrêtée à l'endroit où cette exposition de l'horreur rend hommage au général Roméo Dallaire, qui dirigeait les Casques bleus au Rwanda et qui avait alerté l'ONU, dès le mois de janvier 1994, des préparatifs en vue du massacre. Ses appels n'ont pas été entendus.
Le Canada a une part de responsabilité dans «l'inaction et l'indifférence» de la communauté internationale, a affirmé Michaëlle Jean dans un discours prononcé à l'issue d'une rencontre avec Paul Kagame.
«Je crois que nous aurions pu faire une différence, je crois que nous aurions pu prévenir l'ampleur de l'horreur qui a conduit au génocide», a-t-elle ajouté.
Michaëlle Jean n'a pas prononcé le mot «excuses.» Mais aux yeux du gouvernement rwandais, le sens de son allocution ne fait aucun doute.
«Elle les exprime de différentes manières, de façon très élégante, et c'est toujours bon d'entendre des gens dire que les choses ont terriblement mal tourné, et que cela les concerne», a dit la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, lors d'une rencontre avec des journalistes à la suite du discours.
Au fil des ans, la Belgique, les États-Unis et l'Afrique du Sud ont présenté leurs excuses au Rwanda. Le Parlement canadien a adopté deux résolutions, en 2004 et 2008, pour commémorer le génocide et blâmer la communauté internationale pour son indifférence. Pour la première fois, hier, le Canada a clairement reconnu avoir contribué à ce silence.
Répression
Mais hier, Bernard Ntaganda, qui dirige un parti allié aux Forces démocratiques unifiées de Victoire Ingabire, a émis le souhait que le Canada élève maintenant la voix contre la répression des opposants rwandais.
Dès son retour au Rwanda, Victoire Ingabire s'était rendue au mémorial du génocide et y a déposé une gerbe de fleurs, en réclamant que les Tutsis qui ont commis des atrocités contre des Hutus à l'époque du génocide soient traduits devant la justice. Cette demande rejoint la position de Human Rights Watch, qui a aussi dénoncé le harcèlement que le régime rwandais fait subir à ses opposants politiques, dont Victoire Ingabire et Bernard Ntaganda.
Le bureau rwandais de Human Rights Watch est actuellement sous le coup d'une menace d'expulsion. Et Mme Ingabire est accusée de collaboration avec une organisation terroriste, de «divisionnisme», de négation et de minimisation de génocide. On lui reprocherait notamment de présumés liens avec les milices hutu qui sévissent dans l'est de la République démocratique du Congo.
Depuis 16 ans, le Rwanda s'est développé, sa capitale est propre et de nouveaux édifices bourgeonnent sur les collines. Mais le passé douloureux hante toujours ce pays.
La Presse
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