(BBC Afrique 24/04/2010)
En vertu du programme de réforme agraire lancé par le président Robert Mugabe, environ 4000 exploitants blancs ont été chassés de leurs terres qui ont été redistribuées à des fermiers noirs. Dan Isaacs, de la BBC, a rencontré les nouveaux agriculteurs du Zimbabwe.
Endy Mhlanga, un ancien combattant de la guerre d'indépendance du Zimbabwe, est assis dans le garage de la ferme qu'il vient d'acquérir.
Une marmite de maïs bout sur un feu.
La nuit tombe mais il n'y a pas d'électricité. Les délestages, qui durent souvent plusieurs jours, sont fréquents ici. Et les moustiques donnent l'assaut.
"En tant qu'anciens combattants, nous sommes satisfaits que le programme de réforme agraire ait réussi," indique Endy Mhlanga.
"Il n'a peut-être pas été appliqué à 100%, mais la terre appartient maintenant au peuple du Zimbabwe."
"S'ils avaient été d'accord pour partager gentiment, il n'y aurait pas eu tous ces problèmes."
Endy Mhlanga
La ferme d'Endy Mhlanga comprend des terres particulièrement fertiles mais la plupart sont en jachère.
Cette exploitation, qui avait autrefois un gros rendement, ne produit plus rien à l'exportation et à la place des champs de blé et de tabac qui étaient irrigués de façon intensive, on voit maintenant des terres recouvertes d'herbe se perdre à l'horizon.
Un petit champ de maïs pousse près de la maison; quelques dindes se promènent près d'un vieux court de tennis et une dizaine de vaches paissent au fond du jardin.
"Nous avons la capacité de travailler sur cette terre," explique Endy Mhlanga, "mais on nous en empêche en raison d'un manque de financement.
"Les investisseurs ne se manifestent pas alors nous ne pouvons pas faire grand chose avec la terre. Pour nous, cette situation revient à une guerre silencieuse."
Il y a 10 ans, il y avait plus de 4000 fermes appartenant à des blancs au Zimbabwe.
Mais des années de programme de réforme agraire adopté par le président Mugabe ont forcé ces exploitants à partir, transformant ainsi le paysage agricole zimbabwéen et faisant ralentir l'économie axée sur l'agriculture.
Aujourd'hui, il n'en reste que quelques dizaines et un grand nombre d'entre elles ont reçu des ordres d'expulsion.
En tant qu'ancien secrétaire général de l'association des anciens combattants, proche de Robert Mugabe, Endy Mhlanga a été impliqué de près dans ces expulsions et il se souvient des tactiques violentes employées pour obliger les fermiers blancs à partir.
"Je ne regrette rien," dit-il. "S'ils avaient été d'accord pour partager gentiment, il n'y aurait pas eu tous ces problèmes."
L'effondrement de la production agricole à travers le pays a eu des conséquences catastrophiques pour l'économie du Zimbabwe.
Quelque quatre millions de personnes ont fui le pays depuis 10 ans et même si les conditions économiques se sont améliorées récemment, l'écrasante majorité de ceux qui sont restés n'ont plus de travail.
Roseraie
Johannes Vengesai a perdu son emploi quand la ferme où il travaillait a été occupée par des "anciens combattants".
Il a aussi été chassé de chez lui et il vit maintenant avec sa famille dans un silo à tabac désaffecté.
Les Kasukuwere disent avoir droit à leur terre de par leur naissance
Il mène une vie de squatter: il a été menacé d'expulsion, ici aussi, mais il dit qu'il n'a nulle part où aller.
"Ce qui me fait le plus de peine," dit Joseph, un fermier qui a été chassé d'une exploitation d'agrumes adjacente, "c'est qu'en laissant la terre à l'abandon comme cela, nous ne préparons pas notre avenir."
Nous regardons les arbres fruitiers qui s'étendent à perte de vue et il explique que tout ce qu'ils produisent maintenant, ce sont des citrons rabougris et amers.
"Le pays est en train de perdre des millions de dollars et nous, les Zimbabwéens moyens, nous ne pouvons plus nous permettre d'envoyer nos enfants à l'école."
Mais le pays est très différent pour ceux qui ont profité directement de la réforme agraire.
Dans la ferme que possèdent maintenant Stan et Jane Kasukuwere, le déjeuner est servi dans le jardin à l'ombre d'un jacaranda.
Le gazon en pente, bien entretenu, mène à une roseraie et à une piscine. Au-delà de la clôture, leurs terres s'étendent à perte de vue.
"En laissant la terre à l'abandon comme cela, nous ne préparons pas notre avenir "
Joseph, un fermier expulsé de ses terres
Stan et Jane Kasukuwere sont des sympathisants du parti du président Mugabe, la Zanu-PF, et on leur a attribué cette exploitation fertile qui appartenait avant à des blancs.
Très vite, la conversation autour du déjeuner dévie sur la politique.
"C'est mon pays; de par ma naissance, j'ai droit à la terre," dit Jane Kasukuwere.
"Je suis désolée pour les blancs qui possédaient cette ferme avant nous mais je ne me sens pas coupable. C'est la vie."
"Ce que Mugabe a fait, c'est de briser la glace," ajoute Stan Kasukuwere.
"Il est le premier dirigeant africain à avoir critiqué les anciens coloniaux. Mugabe, c'est un dirigeant africain du tonnerre."
'Révolution'
Une minorité de Zimbabwéens qui ont des relations ont profité des réformes, mais l'écrasante majorité sont beaucoup plus pauvres qu'il y a 10 ans.
Et en raison de la façon violente et politisée dont elles ont été menées, le soutien dont jouit le président Mugabe a beaucoup baissé.
Mais ceux qui critiquent le processus de réforme sont considérés comme des marionnettes des anciens colons qui sont contre les mesures adoptées pour aider les noirs à jouir de leurs droits.
Ainsi, malgré son manque de popularité, les adversaires politiques de Robert Mugabe n'ont jusqu'ici pas réussi à le vaincre.
C'est pour cela que pour le moment, et après une longue délibération, ils ont conclu une alliance avec la Zanu-PF de Robert Mugabe.
C'est ce gouvernement d'union qui a donné lieu à une certaine stabilité économique et à une diminution de la violence politique.
Mais les invasions d'exploitations agricoles continuent à ce jour et aucun des partis politiques de cette coalition fragile n'a demandé qu'elles cessent, sans parler de restituer les terres aux blancs.
De retour à Harare, il n'a pas été difficile de retrouver le propriétaire des plantations abandonnées d'agrumes dans lesquelles je m'étais rendu.
"Comprenez bien que nous venons de connaitre une révolution," explique Bright Matonga, ancien ministre et actuellement député de la Zanu-PF.
"Les choses se sont calmées maintenant et bientôt, la production va reprendre."
Quand je lui ai posé des questions au sujet de ses plantations en friche et des ouvriers agricoles nécessiteux qui vivent tout près, il en a attribué la responsabilité au manque de crédits débloqués par les banques et aux "sanctions" imposées au Zimbabwe.
"Je crois qu'au lieu de critiquer le processus de réforme agraire," dit-il, "il faut comprendre qu'il était nécessaire et qu'il est maintenant irréversible."
© Copyright BBC Afrique
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire