(IPS 29/04/2010)
NAIROBI - La Cour constitutionnelle du Kenya a interdit au gouvernement de mettre en application la Loi 2008 sur les produits contrefaits, étant donné qu'elle s'applique aux médicaments génériques.
Cette décision a été prise en attendant le verdict dans une affaire présentée par trois personnes vivant avec le VIH. En effet, trois requérants ont déposé en juillet 2009 une plainte qui met en cause les articles 2, 32 et 34 de la Loi sur les produits contrefaits qui, selon eux, sont inconstitutionnels.
On a estimé que cette loi compromet la vie des requérants puisqu’ils seront arbitrairement privés de l'accès aux médicaments génériques essentiels abordables. On reproche aussi à la loi de ne pas respecter la disposition sur le droit à la vie dans les articles 70 et 71 de la constitution du Kenya.
Selon les requérants, la loi confond les questions de qualité et les droits de propriété intellectuelle (DPI), qualifiant ainsi les médicaments génériques légitimes de produits contrefaits.
Le domaine des DPI, y compris les brevets, les marques de fabrique, le droit d'auteur et la protection des données, se distingue nettement des questions de contrôle de qualité lorsqu'elles se rapportent aux médicaments. La loi dans sa forme actuelle confond ces questions de telle manière qu'il est difficile de distinguer l’une de l’autre. Ainsi, les médicaments génériques peuvent être qualifiés à tort de produits contrefaits, a estimé l'avocat des requérants, David Majanja.
En outre, cette loi viole des articles de la Loi 2001 sur la propriété industrielle, notamment l'article 58(2) qui prévoit l'importation parallèle et l'article 80 sur l'usage gouvernemental, selon 'AIDS Law Project', une organisation non gouvernementale défendant l'accès à des soins de santé adéquats et au traitement pour les personnes vivant avec le VIH et le SIDA.
Ces articles ont joué un rôle important dans la lutte menée pour accroître l'accès aux médicaments essentiels au Kenya.
La Déclaration de Doha de l'Organisation mondiale du commerce a confirmé l'allocation de l'importation parallèle de l’Accord sur les droits de propriété intellectuelle touchant au commerce (ADPIC) pour résoudre les problèmes de santé publique. L'importation parallèle implique l'importation de produits non piratés sans l'autorisation du détenteur du droit d’auteur.
L'article 80 sur l'usage gouvernemental permet au gouvernement ou à ses agents d’exploiter un brevet dans l'intérêt public.
En rendant la décision le 23 avril, Justice Roselyn Wendoh a déclaré que les requérants avaient une affaire défendable et que si les ordonnances que les pétitionnaires voulaient voir réglées n’étaient pas satisfaites, ils subiraient un préjudice irréparable. "Les pétitionnaires ont atteint le seuil, [par conséquent] la cour rend une ordonnance conservatoire concernant les génériques", a-t-elle affirmé.
Le juge s’est bien rendu compte que les termes de la loi étaient vagues et entraîneraient la confusion entre les produits contrefaits et les médicaments génériques. Le juge a examiné quelques dispositions de la Loi sur la propriété intellectuelle et des lois internationales sur le droit à la vie.
Justice Wendoh a également noté que les femmes et les enfants seraient les plus touchés si les dispositions de la loi relatives aux médicaments génériques sont entrées en vigueur. L'article 9 de la Loi sur les enfants garantit aux enfants le droit à la santé.
Cette décision suspend les pouvoirs de l'Agence de lutte contre les produits contrefaits d’interférer avec l'importation et la distribution de médicaments génériques au Kenya. Les médicaments génériques représentent 90 pour cent des médicaments consommés au Kenya.
Réagissant à cette victoire, l'un des requérants, Patricia Asero, a déclaré que le juge a compris l'agonie qu'ils subiraient si la loi étaient mise en application: "Nous sommes heureux que les personnes vivant avec le VIH et le SIDA aient désormais accès aux médicaments pendant que nous attendons la décision principale".
'Health Action International Africa' (HAI-Africa) s'est également félicité de la décision. HAI-Africa est un réseau d'organisations et d'individus impliqués dans les questions de la santé et dans les questions pharmaceutiques et qui font la promotion de la santé comme un droit humain fondamental.
"Cette décision garde ouverte la fenêtre d'opportunités pour ceux qui ont besoin de médicaments génériques plus abordables. Bien que l'affaire de la Cour constitutionnelle ne soit pas encore totalement déterminée, cette décision a renforcé l’appel populaire pour que l'intérêt public et les droits humains soient examinés attentivement avant l'adoption et l’application de toute loi", a déclaré Gichinga Ndirangu, coordonnateur régional à HAI-Africa.
Rose Kaberia, coordinatrice de la Coalition internationale pour la préparation de traitement en Afrique de l'est, a indiqué dans un communiqué que la "décision reconnaît le danger potentiel pour la santé publique que constitue la loi sur les produits contrefaits et représente une étape importante dans la lutte pour l'accès à plus de médicaments génériques abordables pour tous les Kenyans".
La loi sera applicable à d'autres produits, tels que les savons, les détergents, les produits alimentaires, les boissons alcoolisées et les piles sèches. La Loi 2008 sur les produits contrefaits ne distingue pas les médicaments des autres produits.
Les médicaments sont essentiels et salvateurs et devraient être distingués des produits non essentiels tels que les DVD et les batteries, a indiqué Christa Chepuch, directrice de programmes à HAI-Africa.
On ne sait pas quand l'affaire sera entendue et déterminée pleinement. La Cour constitutionnelle donnera les dates d'audience en temps opportun. (FIN/2010)
Suleiman Mbatiah
28 avr
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