samedi 24 avril 2010

RDC/Rwanda ou comment « la raison du plus fort est toujours la meilleure »

(Le Potentiel 24/04/2010)
Après Kinshasa, Kigali. La gouverneur1 du Canada, Michaëlle Jean, se trouve au Rwanda pour une visite officielle de trois jours en cette fin avril 2010. Suivant l’exemple récent du président français, alors en visite à Kigali, elle a reconnu à son tour « une part de responsabilité » du Canada dans l’inaction de la « communauté internationale » - comprenons l’Occident – lors des massacres de 1994. La similitude des positions canadiennes et françaises est remarquable : à la RDC, l’une des rares et réelles démocraties africaines, « on » prodigue des conseils avec condescendance et « on » formule des demandes pressantes de clarification du « climat des affaires » ; avec le Rwanda, dictature « ethnique » qui musèle son opposition – à cet égard, le sort réservé à Victoire Ingabire est significatif – « on » se comporte avec la considération qui sied à des relations entre Etats souverains. Cette différence de traitement laisse de marbre les autorités congolaises alors qu’elles aussi – et sans doute bien davantage que le Rwanda – seraient en droit d’exiger des excuses officielles de la part de gouvernements dont les sociétés multinationales pillent sans vergogne les richesses de la RDC et dont l’activité cupide est pour une bonne part coupable des plus de 5 millions de morts qu’ont causé les guerres du Congo.
Le Canada est l’un des pays les plus impliqués dans l’exploitation éhontée des ressources naturelles du Congo. Rappelons à ce propos le brillant état des lieux dressé en 2008 par Delphine Abadie, Alain Deneault et William Sacher dans leur livre Noir Canada. Pillage, corruption et criminalité en Afrique (Ecosociété,Montréal) qui met en exergue le rôle néfaste du Canada dans le financement de la guerre du Kivu. On y apprend qu’ « à défaut d’exploiter leurs concessions…les sociétés minières s’appuient sur les conflits pour favoriser la spéculation autour de leurs titres sur les marchés financiers ». De ces sociétés, les canadiennes First Quantum Minerals, Katanga Mining ou encore le Ludin Group sont parmi les plus coupables. Elles ont engrangé des profits faramineux en Bourse après avoir signé depuis 1996, date du début du conflit du Kivu, des contrats très défavorables aux finances publiques congolaises. La Bourse de Toronto, au Canada, concentre cette activité boursière et la plupart des sociétés minières de la planète s’y trouvent cotées. Le gouvernement canadien soutient fermement ses sociétés minières au travers d’une législation très lâche : avantages fiscaux et mesures incitatives nombreuses favorisent les placements des investisseurs dans le domaine minier ; la permissivité du droit canadien « en matière de divulgation d’information profite aux titres spéculatifs et aucune mesure sérieuse n’oblige ces sociétés à expliquer les raisons pratiques de leur enrichissement » soulignent les mêmes auteurs dans leur article « Balkanisation et pillage dans l’Est congolais » (Le Monde diplomatique, décembre 2008). De nombreux rapports d’experts de l’ONU et du Comité des droits de l’homme des Nations unies ont démontré, depuis le début des années 2000, les abus et les crimes commis dans les Grands Lacs résultant de l’activité des sociétés minières, notamment canadiennes. Aucune d’entre elles n’a pourtant jamais été inquiétée au Canada, pays qui s’apparente à un « paradis judiciaire », selon l’expression employée par Delphine Abadie et alii, pour ces sociétés minières prédatrices.
Toutes les statistiques de négociation de la Bourse de croissance TSX de Toronto n’ont cessé de crever des plafonds. Depuis le début de l’année 2010, par rapport à la période correspondante de 2009, le volume des transactions a augmenté de 90,5%, la valeur des titres négociés, de 300% et le nombre de transactions, de 151,8%. A la lecture de ces statistiques édifiantes, la demande de Mme Michaëlle Jean, de voir la RDC améliorer encore le « climat des affaires » prend tout son sens. La réforme du Code minier congolais en 2002, sous l’égide de la Banque mondiale, très avantageux pour les sociétés privés et qui a dépouillé la société nationale Gécamines de ses actifs, ne suffit toujours pas à satisfaire la consommation outrancière de l’Occident. La ruée vers les ressources congolaises, qui s’accentue toujours, a été l’une des causes essentielles des guerres du Kivu. Elle est aussi responsable de l’instabilité de la région. Dans ce contexte, le rappel lancinant des Occidentaux à une « bonne gouvernance » en RDC, et tout récemment par la gouverneur du Canada, est en décalage complet avec la réalité du terrain. On ne peut que souscrire au constat fait par Nestor Kisenga, (« Mines : des milliards de boni pour le ‘’quatrième pillage’’ », sur le site web [congolite.com]), dès 2006, qui conserve toute son actualité : « Tout se passe comme si le Congo était un vulgaire tableau ramassé à bas prix au marché aux puces pour être revendu dans les galeries d’art à sa véritable valeur de toile de maître. » L’attitude de la « communauté internationale », critique et condescendante à l’égard du gouvernement démocratique congolais, complaisante jusqu’à la nausée avec la dictature rwandaise, n’en est que plus déplorable et inacceptable.
Le Congo a beaucoup de faux amis ; le gouvernement congolais doit s’en rendre compte sans tarder et se garder bien plus qu’il ne le fait des donneurs de conseils en tout genre qui défilent sans désemparer actuellement à Kinshasa et qui sont aussi ses plus grands prédateurs. Le développement de la RDC est à ce prix ; la défiance à l’égard de l’Occident n’est pas une posture idéologique, c’est une nécessité de « bonne gouvernance ».

Alain Bischoff
(Auteur de Congo-Kinshasa, la décennie 1997-2007, Editions du Cygne, Paris, 2008).
(Endnotes)
1 On voudra bien me pardonner de laisser aux réformateurs de l’orthographe française le souci d’écrire « gouverneur » avec cet horrible « e » marquant le féminin d’un mot qui n’en comporte pas.

Par Le Potentiel
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