Camer.be 22/04/2010)
Monsieur Saidou Maidadi a travaillé, pendant pratiquement 20 ans en tant que Ingénieur à la Société d'expansion et de modernisation de la riziculture de Yagoua (Semry). Il a accepté de nous accorder une interview par rapport à ses années passées dans cette structure parapublique. [...)
cAu moment où je quittais la boîte, les 3 usines de décorticage d’une capacité nominale de 400t/j de riz étaient fermées ; la Semry appuie le paysan pour qu’il produise et ce dernier se retrouve à la merci d’un marché inorganisé ; les paysans ne sont pas organisés et abandonnés à eux-mêmes ; le personnel, réduit au strict minimum, traîne très souvent plusieurs mois d’arriérés de salaires.
Bonjour Monsieur Saidou ! Merci de nous accorder une interview, avant d'entrer dans le vif du sujet, nous souhaitons que vous vous présentez à nos lecteurs.
Je suis SAIDOU MAIDADI, ingénieur du génie électrique à la retraite. J’ai 54 ans, marié et père de 5 enfants. Pour l’instant, je m’occupe de l’Afp (Alliance des forces progressistes) en tant Secrétaire général de cette formation politique présidée par Me Bernard Muna depuis 2007, J’ai également une charge syndicale à la CSAC (Confédération des Syndicats Autonomes du Cameroun) où j’occupe la fonction de Conseiller Confédéral aux Affaires politiques et constitutionnelles et dont Louis Sombes est le Secrétaire général et Vewesse Collins, le président confédéral. J'ai travaillé à la Semry de 1983 à début 2003. J’ai eu à occuper pratiquement tous les postes; de chef de service électricité jusqu’à Attaché de direction en passant par les postes de Chef de maintenance, Chef d’usine et Chef d’Unité de production.
Selon vous, quel était le bilan de la Semry au moment de votre départ en retraite anticipée?
Le bilan était triste à mon départ. Pour comprendre ce bilan, il faut connaître pour comprendre les objectifs initiaux de cette boîte. La Semry a été créée pour accomplir un triple objectif : contourner les aléas climatiques de la région (3 mois à peine de pluies toute l’année) par une agriculture irriguée ; résoudre la situation d’insécurité alimentaire des populations ; fixer les ruraux et leur donner un certain pouvoir d’achat. De société de développement au départ, elle devait finir au terme du processus de formation des riziculteurs en pré groupements puis en groupements en coopérative des paysans entièrement autonomes. Pour tout cela, une digue barrage de 13km a été confectionnée créant un lac de retenue de 46 000 ha avec une profondeur moyenne de 4m, ce qui donne un impressionnant volume d’eau. C’est le cas de Maga où il est question d’une irrigation par gravitation. A Yagoua par contre, l’irrigation est faite par pompage –plus cher- dans les eaux du fleuve Logone. Avec la complicité de certains, la Semry s’est petit à petit éloignée des objectifs initiaux à elle assignés et principalement celle des fonctionnaires détachés qui ont vu leur poste partir au terme du processus : ils ont volontairement retardé l’évolution des groupements ; également celle des bailleurs des fonds qui sont allés de structuration en restructuration pour obliger l’Etat à s’endetter pour aller vers la privatisation de la filière ; mais aussi de l’élite locale qui voulait faire tomber la boîte pour la reprendre dans le cadre d’une privatisation. Au moment où je quittais la boîte, les 3 usines de décorticage d’une capacité nominale de 400t/j de riz étaient fermées ; la Semry appuie le paysan pour qu’il produise et ce dernier se retrouve à la merci d’un marché inorganisé ; les paysans ne sont pas organisés et abandonnés à eux-mêmes ; le personnel, réduit au strict minimum, traîne très souvent plusieurs mois d’arriérés de salaires. C’est dommage parce que la Semry, en plus des superficies aménagées et des productions affichées, c’est également 20 000 riziculteurs drainant derrière eux 200 000 Camerounais vivant directement de la riziculture dans la vallée du Logone. Avec le déclin de la cette entreprise, c’est l’avenir de tous ceux-là qui se retrouve compromis.
Aujourd'hui au Cameroun, le secteur rizicole est quasiment occupé par les Chinois. Avant leur arrivée, combien d'hectares de riz étaient cultivés par les nationaux et dans quelles régions?
Il faut préciser que c’est juste une partie du périmètre rizicole notamment dans la région de Nanga Eboko qui est occupée par les Chinois. Mais il faut craindre qu’après cette tentative, de milliers d’autres arrivent. Ce qui est grave dans cette situation, c’est que dans le contrat fait avec l’Etat du Cameroun, 80% de cette production repartent en Chine.
Pour ce qui est de la situation avant leur arrivée, je vais pour ma part présenter la situation de la Semry qui était la plus importante société rizicole et que je maitrise le mieux par ailleurs. La Semry a un total de 15 000 hectares aménagés. Pratiquant la double culture et faisant un rendement moyen de 6T/ha, elle était en mesure de produire 180 000 t de paddy (riz non décortiqué). Les performances des usines Semry permettaient d’avoir 150 000t de produit blanchi; ce qui représentait à ce moment les ¾ des besoins en riz du pays. Avec l’Unvda, la Soderim et d’autres projets de moindre importance, la capacité de production dépassait largement les 200 000t de riz par an. Il faut ajouter à cela la possibilité de produire du riz pluvial sur l’ensemble du pays.
Le fait que la Chine occupe nos terres pour cultiver le riz est-il un signe d'échec de nos sociétés rizicoles?
Il faut comprendre que pour une culture dont les Camerounais maîtrisent parfaitement le calendrier et les techniques culturales, nous faisons appel à des Chinois. Il est clair alors que c’est un cuisant échec pour nous et également une extraversion de notre politique agricole. Cela peut être compréhensible pour les filières de techniques très pointues mais s’agissant de la riziculture, il est très honteux pour nous au moment où nous fêtons le cinquantenaire de notre indépendance. Il ne s’agit en fait pas d’échec de nos sociétés rizicoles mais plutôt de la mauvaise politique agricole de notre pays. En effet, nous importons aujourd’hui pour près de 100 milliards de francs de riz par an alors que le quart de ce montant peut réhabiliter l’ensemble de l’outil de production du pays. On a d’ailleurs intérêt à réhabiliter notre outil de production parce que les exportateurs de brisures de riz par exemple veulent utiliser leurs denrées pour produire de l’énergie.
Que pensez-vous des compatriotes qui s'exilent vers l'Europe et pendant des années perdues dans le désert marocain avec une licence en Science économique dans la poche?
Il faut comprendre que c’est un problème très complexe et les responsabilités très partagées. Il est vrai que les possibilités qui s’offrent aux Camerounais dans le triangle national ne sont ni suffisantes ni alléchantes. Il est aussi vrai que très souvent, l’enseignement laisse à désirer pour plusieurs raisons qui ne font pas partie de cette interview mais avec Internet, on peut facilement compenser cela donc dans la plupart des cas, il n’est plus besoin de s’expatrier pour faire des études sauf si ces filières n’existent pas chez nous. Mais il est surtout vrai que nous manquons presque toujours d’initiative et aussi, l’appât de l’occident est ancré en nous. Tout le monde veut voir Mbeng et mourir.
Personnellement, je pense que c’est une fuite en avant que de partir. Pour plusieurs raisons. 1/ Il faut construire notre pays : cette construction ne peut se faire que par les fils mêmes du pays. Il faut par conséquent être présent au moment de la construction. 2/ Il faut instaurer la démocratie et pour ce faire, il faut renverser le rapport de forces en faveur du peuple. Là également, on a besoin de tous pour constituer cette force surtout besoin de ceux qui ont vu autre chose ailleurs et qui n’ont plus peur de rien. 3/ Il faut développer le pays. On a besoin de toutes les expertises, les potentialités et les expériences acquises.
Cependant, il faut une politique volontariste et ambitieuse pour encourager le retour en masse de nos compatriotes parce que cette fuite de cerveaux pénalise énormément le pays. Cette politique est possible et rendue d’ailleurs nécessaire.
À plus de la cinquantaine, vous avez déjà pris votre retraite, comment un jeune de la trentaine n'ayant jamais travaillé peut-il comprendre cela?
J’ai pris ma retraite à l’âge de 46 ans et après plus de 20 ans de service. Il faut avouer que ma retraite anticipée était quelque peu forcée. Avec ma coloration politique en tant que haut cadre dans une entreprise parapublique –j’étais 1er vice-président national du Sdf- la direction ne cessait de me mettre les bâtons dans les roues au point où je n’étais plus efficace pour servir mes convictions. J’ai dû, à mon corps défendant opérer un choix qui m’a coûté très cher puisque j’ai perdu mon emploi donc ma principale source de revenus. De mon temps, les emplois étaient encore, à partir d’un certain niveau d’études, faciles à trouver. De nos jours, la situation n’est plus la même. Cependant, si on a fait de très bonnes études dans des filières encore demandées et qu’on peut convaincre de sa compétence, on ne peut pas chômer ou tout au moins, on peut s’en sortir, ne serait ce que par des conseils, des consultations ou de l’assistanat.
Dans un entretien vous dites “J'ai pris ma retraite pour me consacrer entièrement aux combats sociaux, politiques et syndicaux” pouvez-vous nous en expliquer plus explicitement ce que vous faites concrètement sur le terrain?
J’occupe dans les deux cas de mes préoccupations –politique et syndical- les terrains de la réflexion mais également de l’action. Au niveau de la réflexion, il fallait, après avoir tiré les constats d’échec, mûrir un nouveau mode de fonctionnement des partis ou des syndicats. Pour ce qui est de l’action, il faut mettre en application les fruits de cette réflexion. Cela ne va pas sans problème parce que bousculant les habitudes des uns et des autres mais le temps et la volonté arrivent à bout de tout.
Vous voulez par là dire que votre nouvelle occupation est beaucoup plus concentrée sur l'AFP dont vous êtes membre ?
Bien sûr car il faut comprendre que c’est la politique qui décide de tout dans nos pays comme d’ailleurs partout. Mais il faut au préalable réhabiliter le politique dans notre pays. En effet, ce dernier a perdu toute confiance des populations suite à des déceptions somme toute compréhensibles. C’est la raison pour laquelle nous voulons nouer un nouveau contrat de confiance avec le peuple. Nous avons commencé par mettre en veilleuse toutes nos ambitions personnelles et nos avantages égoïstes pour opérer une fusion de partis politiques. Nous avons réussi un processus plus difficile là où d’autres ont échoué à mettre en place des coalitions tenant la route. Nous avons révolutionné le fonctionnement du parti en limitant et équilibrant les pouvoirs par la limitation du nombre de mandats du président, le renouvellement au tiers du conseil national à la fin de chaque mandat et la création d’une commission de contrôle élue au Congrès pour marquer l’exécutif du parti à la culotte. Nous sommes entrain d’imaginer une structure différente de l’exécutif du parti pour l’organisation des élections en son sein. Nous avons un budget clair et public et nos rapports financiers sont audités par un auditeur externe au parti et rendus publics parce que nous utilisons les deniers publics et les contributions et dons de militants et sympathisants. Autant de chantiers que nous avons ouverts dans le parti parce que le parti est un laboratoire où l’on expérimente tout ce qui pourrait être implémenté plus tard au niveau de l’Etat.
Quelle idée avez-vous pour les populations qui ont sacrifié leur vie pour notre dignité africaine?
Une très haute idée de ces africanistes patriotes. Il faut comprendre que seule la culture africaine peut sauver l’Afrique parce que tous les modèles importés ont échoué chez nous. Par conséquent, se battre pour la dignité africaine qui est une des valeurs de notre culture est très noble et doit être loué. L’Afrique est le berceau de l’humanité mais par moult subterfuges, nous avons perdu le leadership du monde. Mais aujourd’hui dans un monde en totale déperdition et dépravation, l’Afrique a la responsabilité historique d’humaniser le monde. Nos Africanistes doivent nous servir de repère et de modèle. Malheureusement, de nos jours, travailler pour l’intérêt personnel et égoïste a pris le pas sur l’intérêt général et c’est très dommage.
Vous êtes nés quelques années avant les indépendances des pays africains d'expression française, quel souvenir avez-vous des années 70, 80 et 90 sur le plan social?
Sur le plan politique. Les années 70 me rappellent la lutte du gouvernement contre le maquis, pour reprendre la terminologie consacrée. J’étais encore au lycée donc ne comprenais pas tous les enjeux parce que l’éducation civique était très orientée. Les années 80, la démission du président Ahidjo et la transition douloureuse entre les deux régimes. Les années 90, le retour au multipartisme et la tentative de musèlement de la démocratie. Mais sur le plan social, il n’y a pas de grandes réalisations sortant de l’ordinaire pour la simple raison que nos organisations syndicales sont très faibles. Il faut toujours forcer les gouvernants vers des reformes audacieuses pour l’amélioration du cadre et des conditions de vie et de travail des citoyens. Ce que les représentants des travailleurs ne font pas suffisamment.
Une citation de vous: “la trentaine, le bel âge parce que c'est la transition entre la jeunesse et l'âge adulte”, pouvez-vous nous en expliquer plus explicitement?
Tout est dit dans la citation. A trente ans, on est rapidement excusé pour avoir posé un acte parce qu’on estime qu’on n’est pas suffisamment mûr ; ce qu’on ne pourrait jamais vous pardonner si vous aviez la cinquantaine par exemple. Mais à cet âge, on est également suffisamment mûr pour poser des actes majeurs et même gérer le monde.
Quel conseil donnez-vous à un jeune qui voudrait suivre votre trajectoire professionnelle ?
Déjà, il ne peut pas suivre cette trajectoire parce que par rapport à lui, j’ai été un privilégié. En effet, après mon baccalauréat, j’ai bénéficié d’une bourse d’études en France où j’ai pu faire mes études. Pendant mes études, la Sonel qui avait prospecté le terrain pour identifier et recenser les étudiants susceptibles de l’intéresser me donnait un complément de bourse, me permettait d’y effectuer tous mes stages de vacances et m’a assuré un emploi après ma formation. Je n’ai pas pu y rester mais ce n’est pas le débat ici. C’est pour des raisons strictement personnelles que je me suis retrouvé ailleurs. Ces opportunités ne pouvant aujourd’hui s’offrir aux jeunes, ils sont dans l’obligation de se sacrifier beaucoup plus pour réussir. Qu’ils ne se forment pas pour obtenir un diplôme mais pour avoir une formation conséquente qui pourra leur permettre de créer, d’innover, de compétir partout où ils se trouveraient. De cette façon, ils pourront créer eux-mêmes leurs emplois pour générer leurs revenus parce qu’il devient utopique jusqu’à preuve du contraire de croire que l’Etat leur mettra à disposition des emplois adéquats et rémunérateurs.
Un dernier mot pour ceux qui vont vous lire ?
Les Camerounaises et les Camerounais doivent tous sans distinction de sexe, de tribu, de région ou de religion, s’impliquer à fond dans la prochaine élection présidentielle parce que c’est le moment ou jamais.
Me Bernard Muna & Maidadi Saidou
© Camer.be : Interview réalisée par Lydie Seuleu
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