mercredi 20 octobre 2010

ALTERNANCE AU RWANDA : Kagamé est-il sincère ?

(Le Pays 20/10/2010)
En Afrique, il y a une chose que bon nombre de chefs d’Etat évitent soigneusement de faire : l’évocation de leur succession à la tête de l’Etat ou à celle de leur parti dont ils sont systématiquement les candidats naturels aux élections présidentielles. S’il arrive qu’ils l’évoquent, c’est, d’une part, sous la poussée de journalistes occidentaux qui les pressent de questions sur le sujet. Et, d’autre part, vers la fin de leur mandat. Et la plupart du temps, c’est pour dire qu’ils sont encore candidats à leur propre succession. Toutefois, le chef de l’Etat rwandais, Paul Kagamé, vient de faire exception à cette règle. Le 16 octobre dernier, il a surpris ses concitoyens en faisant savoir urbi et orbi qu’il ne modifiera pas la Constitution pour briguer un troisième mandat.
Des personnalités regroupées dans le Unity club et à qui s’adressait le président n’ont pas cru un seul instant à leurs oreilles si elles n’ont pas simplement demandé quelle mouche a piqué "l’homme mince" de Kigali. Et avec juste raison parce qu’il y a vraiment lieu de s’interroger sur ce qui pousse Kagamé à parler très tôt de sa succession. Rien n’urge pour lui sur ce plan parce qu’il n’est qu’au début de son deuxième mandat de 7 ans (il a été réélu avec plus de 93% de suffrages en août dernier). En plus, il n’a pas été acculé sur le sujet par un quelconque journaliste pour que l’on puisse dire qu’il a été poussé à bout, que l’on a tiré des vers de son nez. Alors, que peut bien cacher cette sortie de Kagamé ?
Si Paul Kagamé en vient à évoquer de façon inattendue sa succession, on peut penser à sa volonté de se faire passer pour un démocrate, histoire de gommer l’image de dictateur qui lui a été collée à la faveur de la dernière élection présidentielle caractérisée par la mise à l’écart des vrais challengers. Il pourrait s’agir d’une façon de faire mentir tous ceux qui disent qu’il est accroché au pouvoir au point de tout faire pour s’y maintenir. Et contre toute attente, il annonce qu’il ne ferait pas comme beaucoup de chefs d’Etat en changeant la loi fondamentale – qui limite actuellement le nombre de mandats présidentiels à deux - pour régner ad vitam aeternam.
Faut-il y voir une conséquence heureuse des critiques de l’extérieur par rapport à la dernière présidentielle qui a été tout sauf ouverte ? Si c’est le cas, on peut dire qu’elles ne sont pas tombées dans l’oreille d’un sourd. Et, mieux, elles ont produit un effet inattendu avec Kagamé qui s’amende et annonce son retrait du pouvoir dans 7 ans. Une autre lecture possible de la sortie du numéro un rwandais est une volonté de favoriser une saine émulation au sein de son parti, le Front patriotique rwandais. En faisant savoir qu’il ne serait pas partant pour la prochaine présidentielle, Kagamé ne manquera pas de libérer certains cadres du parti qui ont le profil de l’emploi mais n’osent pas afficher leurs ambitions au risque d’essuyer le courroux du maître tout puissant.
Ces personnes peuvent désormais, et en principe, parler de l’alternance au sein du parti sans craindre de s’attaquer à un tabou. Pour l’avoir fait avant l’heure, des militants du FPR dont certains ont même été des compagnons de route de Kagamé ont dû s’exiler pour les plus chanceux. En bon stratège, Paul Kagamé peut avoir levé cette chape de plomb pour éviter une hémorragie au niveau de son parti et aussi pour ne pas avoir affaire à des opposants qu’il a lui-même fabriqués.
Toutefois, rien ne prouve que Kagamé n’a pas lâché cette phrase pour que tous ceux qui rêvent de prendre sa place dans le parti sortent au grand jour. Et en ce moment, il pourra mieux s’occuper d’eux. C’est dire que malgré ses déclarations que l’on devrait saluer, Paul Kagamé n’inspire pas confiance. Et si tout cela n’était qu’un piège pour ambitieux imprudents ? Jusqu’à quel point "l’homme mince" de Kigali est-il sincère dans ses déclarations ?
Peut-on lui accorder le bon Dieu sans confession ? D’autres chefs d’Etat avant lui ont dit la même chose avant de se raviser par la suite. On aurait commencé à accorder un peu de foi à Paul Kagamé s’il avait fait cette déclaration au terme de son mandat. Mais en le faisant au tout début, la sagesse recommande d’attendre la fin pour voir s’il ne va pas se rebiffer entre-temps. Il a encore sept ans devant lui. C’est une longue échéance au cours de laquelle il peut bien changer d’avis. Rendez-vous donc en 2017, Inch Allah, pour voir s’il tiendra parole ou pas. Mais en attendant, nous croyons dur comme fer, et conformément à un proverbe de chez nous, que « même si le chat se rend en pèlerinage à La Mecque, il n’arrêtera pas d’attraper des souris ». Autrement dit, celui qui ne jure que par le pouvoir ne peut que s’y accrocher.
Séni DABO

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