jeudi 9 septembre 2010

Guinée, Libye, Mozambique -Rome, Conakry, Maputo

(Afriscoop 09/09/2010)
Des divers points qui constituent l’actualité à l’échelle continentale africaine, nous avons choisi de revenir sur trois points saillants qui constituent à nos yeux autant de motifs de crainte, d’espoir et d’inquiétude, et ce, pour des raisons non négligeables. Nous avons, à cet effet, retenu la récente visite du Guide Libyen en Italie, la rencontre des protagonistes de la présidentielle guinéenne à Ouagadougou et, enfin, les émeutes de la faim qui enflamment et paralysent le Mozambique depuis de longs jours et qui, si on n’y pend garde, peuvent avoir des conséquences plus imprévisibles qu’on ne pense.
Kadhafi ne rend pas service à l’Islam
Le colonel Kadhafi est un fervent impénitent du one-man-show, qui affectionne tout particulièrement diatribes enflammées et déclarations fracassantes, et dont chacune des sorties est l’occasion de démontrer à l’envi qu’il excelle hautement dans l’art de la provocation, le revendique et l’assume pleinement.
Le dernier show auquel il vient de se livrer à Rome, à l’occasion du deuxième anniversaire de la signature du traité d’amitié Italo-Libyen, est le dernier acte d’une bien longue série. Cet homme, on l’avait déjà vu dresser sa tente bédouine dans les jardins sélects d’un palace parisien situé à quelques encablures seulement du palais de l’Elysée, avant d’aller fustiger la politique de l’immigration du chef d’Etat français.
Tout comme on l’a aperçu se pavanant à un sommet de l’UA escorté par une kyrielle de chefaillons africains psalmodiant son panégyrique, avant que lui-même, quelques instants plus tard, ne s’autoproclame « rois des rois traditionnels d’Afrique ». Il pensait sans doute que ladite mise en scène suffirait pour que ses pairs africains lui offrent, sur un plateau d’argent, l’année supplémentaire qu’il rêvait de passer à la tête de l’Union africaine.
Ces derniers qui n’auront pas été dupes, la lui refuseront et Kadhafi, dépité, « viciera » les lieux avant la clôture officielle de la rencontre intercontinentale. L’homme est adepte des actions d’éclat, des coups de sang et la provocation lui sied comme un gant. La semaine dernière, en Italie, il n’aura pas vraiment eu besoin de forcer son talent.
L’élément nouveau, cependant, demeure, qu’il aborde à présent, et bien dangereusement, un thème épineux à souhait. Inviter les Occidentaux à se convertir à l’islam, et ce, en le faisant d’une tribune romaine, à quelques pas du Vatican, possède des relents d’une incongruité absolue.
Le guide libyen n’ignore pas que Rome est aux catholiques ce que la Mecque représente pour les mahométans. Faisons une escapade dans la politique-fiction et supposons qu’un dirigeant chrétien appelle à la conversion des pays arabes au christianisme, et ce à partir de la Mecque ou Médine. On imagine aisément la sainte colère du Guide Libyen et les déluge de fatwas qui vont s’abattre sur l’impie.
Se doute-t-il un seul instant, Kadhafi, que son appel sera entendu ? Peut-être, peut-être pas. En tout état de cause, le richissime libyen l’accompagne de promesses de cadeaux divers, sans doute pour inciter Romains et Européens à embrasser la religion qu’il leur propose. Mais c’est qu’il s’essaie là, à un jeu dangereux.
Au moment même où le « choc des civilisations » et partant, des cultures et des religions, conduit à des remous que l’on peine à calmer, au moment où on crie à un malheureux amalgame qui loge volontiers à la même enseigne islam et terrorisme, ce prosélytisme effréné dont fait preuve le dirigeant libyen ne peut, en réalité, servir en aucun cas la religion du prophète Mohammed.
Bien au contraire, il ne peut que conduire à une exacerbation de tensions déjà existantes et annihiler de sérieux acquis engrangés grâce au sérieux et à l’abnégation de personnes hautement moins spectaculaires, mais dont l’ardeur à rechercher le dialogue interreligieux finit par payer. Reste à savoir ce qui arrêtera Kadhafi. Mais à défaut de pouvoir le freiner, on peut déjà éviter de le suivre. Car un Guide pareil a pour particularité d’égarer ses suiveurs. La Guinée a l’occasion de repartir du bon pied
Et parlant de guide, la Guinée en recherche un, qui remplace son président par intérim, le général Sékouba Konaté et qui, dans quelques jours, si tout se passe comme on le souhaite, passera le témoin à celui que le second tour de la présidentielle du 19 septembre aura dégagé comme celui qui aura le plus recueilli l’assentiment des Guinéens.
Le premier tour de ladite présidentielle s’étant déroulé le 27 juin, on l’aura noté, près de trois mois auront été nécessaires pour que se tienne le sprint final qui départagera Cellou Dalein Diallo et Alpha Condé, les deux seuls qualifiés avec respectivement 43,69 et 18,25% des suffrages exprimés obtenus au premier tour.
C’est que la publication des résultats ne fit pas que des heureux. A tort ou à raison des candidats malheureux crièrent à la fraude et aux manipulations. Certaines insinuations malheureuses allèrent même jusqu’à remettre en cause l’impartialité du président par intérim, qui « roulerait » pour l’un ou l’autre des candidats. Sékouba fut à deux doigts de présenter sa démission, menaçant de quitter le navire en pleine tempête.
Le fait que les deux finalistes de la présidentielle guinéenne se rencontrent dans la capitale burkinabè, sous l’œil avisé du médiateur Blaise Compaoré, s’il n’est pas la preuve que tout est rentré dans l’ordre, constitue à tout le moins que l’on peut aboutir à une élection présidentielle sereine, ordonnée, pacifique et civilisée, qui serait comme le point de départ d’une Guinée nouvelle.
Et cela, il faut y croire. Nul pays n’est vraiment maudit des dieux. Et pas la Guinée plus qu’un autre. Protocoles d’accord et promesses diverses ne peuvent être d’une quelconque utilité qu’à la condition que tous les acteurs de la scène politique guinéenne y croient, se montrent patriotes et acceptent de jouer le jeu en toute honnêteté et bonne foi. Et ce, chacun à son niveau.
Que la CENI donc repense ses méthodes pour éviter les erreurs du premier tour est assurément. Que fraudes et irrégularités soient réduites à leur plus simple expression le sera tout autant. Mais de là à faire la fine bouche ! Après tout, la Guinée se trouve en Afrique, un continent où se mettre à rechercher des élections immaculées relève sans doute du domaine de l’illusion.
Alpha Condé devrait revoir sa froideur ainsi que ces menaces voilées à la baisse. On peut toujours essayer de comprendre : à 72 ans, l’homme est en passe de sortir sa dernière carte. Il gagnera ou il perdra, c’est l’évidence même. Mais, en tout état de cause, la renaissance de la nation guinéenne dépasse et de loin les ambitions politiques d’un homme, eût-il été opposant toute sa vie.
Car la Guinée revient de loin. Et elle a là l’occasion de repartir d’un bon pied. Elle ne devra pas en faire un gâchis de plus. Car l’histoire récente de ce pays est faite aussi, et malheureusement, d’opportunités gaspillées et de rendez-vous manqués. Cela ne devra pas se répéter à l’infini. La Guinée a l’obligation de réussir sa sortie de crise. Pour elle-même, d’abord.
Ensuite, peut-être, pour administrer la preuve que le patriotisme, le vrai, tire un pays hors des ornières les plus féroces dans lesquelles il se trouvait enlisé. Elle serait alors l’exemple à suivre aux yeux de plus d’un pays qui connaît des tourments similaires, à l’heure actuelle, et à l’échelle continentale.
Il faut alors croiser les doigts pour que la campagne ouverte depuis quelques jours et qui, jusque-là se déroule sans heurts, soit l’heureuse prémisse d’un scrutin apaisé qui augure d’une ère nouvelle pour ce pays, car assurément il mérite de s’affranchir de ces vieux démons qui l’ont, et de façon récurrente, plongé dans les affres de la violence, de la haine, des pleurs et du ressentiment. Mourir de faim ou par balles, quelle différence ?
Quant au Mozambique, cette ancienne colonie portugaise située en bordure de l’océan Indien, ce qui s’y passe depuis une dizaine de jours donne de légitimement penser que l’on peut avoir de sérieuses raisons de s’inquiéter quant à sa quiétude politique et sociale d’aujourd’hui, et sans doute aussi, à court et même moyen terme.
Des émeutes contre la vie chère, commencées dans la capitale Maputo, ont fini par embraser le reste du pays. En réponse aux manifestations des populations affamées et en colère, la police tirera à balles réelles. On s’accorde à ce jour le bilan funeste de 13 morts auxquels s’ajoutent des centaines de blessés, d’une centaine d’arrestations a été opérée et si le calme semble peu à peu reprendre ses droits, la politique initiée par l’Etat pour juguler la crise peut paraître pour le moins inappropriée, inefficace et se révéler même dangereuse pour la suite des événements.
Le Mozambique, à l’instar de nombre de pays africains subissant les contre-coups de la tempête économique et financière qui secoua la planète entière, avait déjà connu, lui aussi, il y a deux années, ses émeutes de la faim. Il ne s’en était pas entièrement remis qu’interviennent celles qu’à ce jour il connaît.
A vrai dire, malgré lui, une fois de plus, puisque les prix ont flambé ces derniers mois en raison de la dépréciation de la devise nationale par rapport à la monnaie sud-africaine qui a connu une hausse de 43% depuis le début de l’année. Les dirigeants mozambicains, à vrai dire, ne sont pas entièrement comptables de la chose ; il faut le reconnaître à leur décharge. Mais de là à tirer dans une foule de manifestants affamés qui ne savent plus de quoi leur lendemain sera fait, il y avait sans doute un pas qu’ils auraient été bien inspirés de ne pas franchir.
Première erreur sans doute. La seconde, qui lui est étroitement liée, est bel et bien l’enclenchement de ce qui s’apparente à une chasse aux sorcières : on recherche activement les « instigateurs » de ces troubles sociaux, sans doute en vue de les punir « pour l’exemple ». A l’ère où la téléphonie mobile permet de communiquer incognito, il est fort à parier que les « moutons noirs » que l’on présentera comme étant les cerveaux de ces troubles, peuvent n’être, en tout et pour tout, que des agneaux du sacrifice. Pour le service de la cause.
Il semble alors plus raisonnable que les dirigeants de ce pays s’efforcent de trouver les vraies solutions à des problèmes urgents et réels qui se posent.
Et, à l’instar de ce qui se passe dans pléthore de pays du continent noir, elles consisteront, comme d’habitude, à résoudre la sempiternelle équation du comment faire profiter à tous des retombées que génèrent les ressources du pays commun. Doit-on trouver normal que dans des pays classés « très pauvres », certains nationaux se permettent tous les abus alors que d’autres, de la même nation, sont condamnés à devoir mener une vie végétative, avec en plus, l’obligation de voir leurs congénères privilégiés se vautrer dans un luxe aussi immoral qu’insultant ?
Périr pour périr, la différence qui existe entre mourir de faim et trépasser d’une balle de kalachnikov n’étant pas abyssale, des foules pacifiques peuvent se transformer en hordes affamées et se mettre en devoir de tenter le coup.
On pourra toujours crier à la folie qui engendre le manque de raison : il y a aussi que ventre affamé n’a point d’oreilles. Résoudre cette difficile équation équivaut à trouver un début de réponse à des crises sociales récurrentes auxquelles, jusqu’à présent, et dans bon nombre d’Etats africains, on a pris l’habitude de présenter la solution de la matraque et du fusil comme la voie de résolution idéale.
Et le refus de ce devoir condamne sans doute à un futur où s’annoncent des émeutes encore plus populaires, d’un côté, et de l’autre, des répressions encore plus féroces. Nul ne peut raisonnablement se satisfaire de voir tant de massacres inutiles, douloureux et honteux. Autant alors arrêter l’engrenage. Et ce, dès à présent. Demain, ce sera trop tard.
Ashley, L’OBSERVATEUR PAALGA

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