(Afriscoop 13/04/2010)
« On est fatigué de ces rencontres sans lendemain », écrivons-nous, sans langue de bois aucune, dans notre édition du lundi 12 avril 2010. C’était hier, soit le jour même de la rencontre entre le président Laurent Gbagbo et son Premier ministre Guillaume Soro. Comme si nous devinions l’issue de la rencontre entre les deux patrons de l’exécutif : sans grande surprise, le rendez-vous a en effet accouché d’une souris.
Un non-événement pour beaucoup d’observateurs, que les Ivoiriens, qui ne se perdent généralement pas en circonlocutions, ont aussitôt qualifié de « foutaise ». C’est là un coup de gueule bien à propos, rien qu’à se fonder sur la déclaration du Premier ministre, qui, à la fin de l’entrevue, a qualifié la rencontre de « fructueuse » et a promis qu’ils (lui et Laurent Gbagbo) vont « parler aux uns et aux autres pour que la sérénité regagne tous les camps ». Des propos à faire pâlir de jalousie un diplomate. Deux heures d’entrevue, rien que pour ça ! Un simple entretien téléphonique aurait suffi !
Les Ivoiriens n’étaient d’ailleurs pas au bout de leur surprise. A la fin de l’intervention du Premier ministre, contre toute norme protocolaire et sécuritaire, le chef de l’Etat a demandé à son chauffeur de descendre de sa voiture, et a lui-même pris le volant. Il a aussitôt invité Guillaume Soro à prendre place à ses côtés. « Les autres, regagnez vos véhicules », a lancé Gbagbo, avec un grand sourire, qui a démarré en trombe, suivi de l’ensemble du cortège. L’action se passant à Abidjan, c’est vite parti pour une promenade lagunaire. Après les propos bateau, quoi de plus normal qu’un tour à bord d’un vrai bateau !
La crise en Côte d’Ivoire mérite mieux que cette mise en scène digne de Bollywood. De pareilles attitudes il se dégage comme l’impression que ce n’est pas seulement le clan Gbagbo qui trouve du plaisir à ce que les choses patinent dans le pays. Il faut aussi voir du côté des Forces nouvelles. Et s’il y a dans cette structure quelqu’un qui est aujourd’hui difficilement reconnaissable de par son attitude et de par ses propos, c’est bien leur secrétaire général, Guillaume Soro.
Oui, il a visiblement beaucoup changé, cet ex-grand contestataire surnommé le Che, ou encore Bogotha quand il dirigeait la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI). Il méritait bien ses surnoms, lui qui était régulièrement envoyé en prison à cette époque après chaque manifestation. D’aucuns pensent qu’après avoir occupé le poste de chef du gouvernement deux années durant, il est en train de muer dangereusement et a certainement pris goût à la chose ; le seul grand couac dans cette vie ayant été le traumatisme du vendredi 29 juin 2007, où il a échappé à un attentat à la roquette lors de l’atterrissage de son avion à Bouaké. Quatre membres de son équipage en sont décédés et plusieurs ont été grièvement blessés. Ça laisse forcément des traces.
Le plus rageant est qu’il y a fort longtemps que le pays d’Houphouët-Boigny pouvait figurer dans le Guinness des records pour le nombre d’élections annoncées et reportées. Ce n’est donc pas avec une croisière sur la lagune Ebrié que l’on désarmera et auditera les listes électorales avant de partir pour les élections. Tout a été dit sur l’actuel président ivoirien. Pour beaucoup, il ne fait pas du prochain scrutin présidentiel une priorité.
« Moi, je suis à mon poste. Tant pis s’il n’y a pas les élections. Du moment qu’il n’y a pas la guerre… », ressortent les tenants de cette hypothèse, comme pour lire dans les pensées de l’enfant terrible de Mama. Dans le même registre, l’on peut tout aussi se demander à quel jeu joue Guillaume Soro. S’est-il à ce point embourgeoisé, obnubilé par ses propres intérêts ou fait enfariner par l’époux de Simone au point de ne plus voir l’intérêt supérieur de la nation ivoirienne ? Si c’est le cas, il a intérêt à se ressaisir.
Depuis qu’il est aux affaires, le premier ministre ivoirien loge dans un hôtel, le Golf, pour ne pas le citer. A-t-il de ce fait perdu de ses repères ? Certes pour beaucoup, ce n’est souvent pas très cornélien, le choix entre la vie dans le maquis et le séjour toute l’année dans le confort douillet d’un établissement 4 étoiles. Cependant, lorsque la vie de tout un peuple en dépend, il faut souvent savoir faire de petits sacrifices.
Issa K. Barry
mardi 13 avril 2010 par L’observateur Paalga
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