(Le Pays 21/04/2010)
Trois pays africains, tous subsahariens ont en commun, en ce moment, qu’ils envisagent tous la même chose : la question cruciale de la démocratie et partant de l’alternance en politique. Et il s’en dégage trois visions différentes.
Tout d’abord, le Mali. Conformément à ce qu’il avait promis à ses compatriotes, à l’occasion de son message du 31 décembre 2009, le projet de réformes politiques promises par le chef d’Etat malien est entré dans une phase cruciale, avec la présentation détaillée du rapport du Comité d’appui aux réformes institutionnelles. Un vaste chantier politique, élaboré par un comité d’experts, et dont la visée finale est de renforcer la démocratie dans ce pays, tout en améliorant l’efficacité de l’Administration. Fait d’importance cependant, la réforme ne touche pas au mandat présidentiel qui est de cinq ans renouvelable une fois. On en retire un corollaire capital : ATT qui avait ouvertement dit qu’il n’envisagerait pas un troisième mandat, a bel et bien décidé de tenir parole. Et il n’y aura pas au Mali, de tripatouillage constitutionnel. Ce pays-là, assurément, s’élève, et bien somptueusement.
Autre pays, autres mœurs. A l’autre bout du continent, dans la corne de l’Afrique, Djibouti. Et là, une autre manière de penser, une autre philosophie au sujet de ce même concept de l’alternance. Le parlement djiboutien vient d’ouvrir un vaste boulevard au chef d’Etat actuel, Ismaël Omar Guelleh. A l’unanimité, les députés djiboutiens ont voté une réforme de la Constitution autorisant le chef de l’Etat à se présenter à la prochaine présidentielle prévue en 2011. Les parlementaires auront parlé par anticipation pour le chef, puisque Omar Guelleh lui-même n’a pas encore ouvertement déclaré qu’il serait candidat à la présidentielle à venir. Qui plus est, ses partisans parlent pour lui : "Le président de la République a des acquis importants et nous sommes convaincus qu’il reste des chantiers importants à faire et à entreprendre". Une chanson bien connue et que l’on a du reste tout récemment entendue, du côté de Niamey. En place depuis belle lurette, de toute évidence, Omar Guelleh n’a aucune envie de rendre le tablier. Pour lui et ses laudateurs, il est l’homme providentiel et entend le demeurer. Mais Djibouti, sous sa conduite, démocratiquement parlant, recule, et pire, s’enfonce.
Mais, tout bien considéré, Mali et Djibouti ont à tout le moins le mérite de la clarté du choix : le premier, résolument, opte pour un ancrage de l’alternance démocratique. Le second, tout aussi résolument, opte, si l’on lit bien ses textes, à conserver son Omar Guelleh au pouvoir au moins jusqu’en 2026.
Entre les deux positions, se trouve le Pays des hommes intègres qui hésite, balance et peut-être ne sait plus sur quel pied danser. Le débat sur la question de l’alternance politique y fait rage, même si officiellement, rien n’en est dit. Il s’est trouvé des hommes proches du pouvoir de Blaise Compaoré pour appeler à une révision de la Constitution, notamment à une modification de l’article 37 dans le but de permettre au grand Sachem de pouvoir se présenter autant de fois qu’il le souhaitera à la magistrature suprême. Mais tous l’ont fait à titre individuel. Les arguments ne leur manquent pas. Pour les uns, lorsque la providence vous fait cadeau d’un être si exceptionnel, ce serait du gâchis que de chercher à s’en séparer un jour, fût-ce pour raison d’alternance politique. Pour d’autres encore, ce fameux article 37 ne serait pas sacré au point que l’on se défende de le toucher un jour, si l’intérêt du peuple l’exige.
En face, se dressent ceux qui refusent la modification, fût-ce d’un iota, d’une loi fondamentale qu’ils trouvent d’une sacralité absolue et que pour rien au monde ils n’accepteraient qu’elle soit un jour "charcutée". Sont de ceux-là, les "pétitionnaires" qui ont fait le pari de réunir 30 000 signatures contre la modification de l’article 37. Il faudra attendre pour savoir qui des deux camps aura "raison" ou l’emportera sur l’autre. Pauvre Afrique où le débat sur la démocratie se décline en plein 21e siècle, sur la base de plusieurs vitesses ! ATT en confirmant qu’il abandonne le fauteuil présidentiel, ainsi qu’il l’avait promis, respecte la parole donnée, honore son pays et quelque part, donne l’occasion de penser que sur le continent noir, existent, envers et contre tout, des pays qui, par leur exemplarité démocratique, indiquent la voie et donnent des raisons d’espérer que tout n’est pas perdu. Heureusement.
Car, après tout, que signifie cette boulimie de révisions et de réformes constitutionnelles dans le but de rester ad vitam aeternam au pouvoir ? Le chef d’Etat au pouvoir qui refuse de le quitter estime-t-il qu’il est providentiel au point que le pays qu’il dirige disparaisse si d’aventure un autre que lui devait tenir les rênes ? Et que signifient toutes les gesticulations des zélateurs impénitents, grands laudateurs du prince devant l’Eternel qui se font forts de convaincre le chef que lui seul mérite de gouverner, de régner, de commander ? Il faudra arrêter de pleurnicher sur le sort de cette Afrique qui souffre des affres du sous-développement, qui tarde à s’arracher des griffes du néo-colonialisme. Car, ce sont là autant de considérations hypocrites si tant est que les Africains refusent de régler la vraie question de la démocratie qui se traduit éminemment par l’alternance politique. C’est à l’envi que l’on répète que bien que le continent noir soit d’une richesse exceptionnelle, on manque de comprendre qu’il continue de croupir dans une misère matérielle si crasse. L’équation connaîtra un début de résolution le jour où les Africains se persuaderont qu’il faut à la tête de leurs pays, des hommes sains, capables d’abnégation et de vista politique, de véritables visionnaires passionnés du vrai devenir de leurs peuples et de leurs nations respectifs. Ceux-là ne rêveront pas d’éternité au pouvoir. Et une autre Histoire alors se dessinera pour tout un continent. Pourvu seulement qu’il ne s’agisse pas là d’un vœu pieux.
"Le Pays"
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