mercredi 23 mars 2011

Libye-Côte d’Ivoire: l’ingérence à géométrie variable

(Marianne 23/03/2011)

Trois jours à peine après le début des attaques sur la Libye, une partie de la presse africaine et le camp Ouattara dénoncent l'abandon de la Côte d'Ivoire par la communauté internationale. Un deux poids-deux mesures dans l'engagement des puissances occidentales qui démontre que, du fait de leur complexité, les opérations de paix médiatico-démocratiques ont vécu.
Gbagbo et Kadhafi
En côte d’ivoire, on a pas beaucoup de pétrole, mais on a du cacao. Les esprits taquins souligneront que le pays se cherche également son BHL susceptible de focaliser l’attention de quelques grands de ce monde à coups d’éditos et d’interventions en direct-live.
Passons. La côte d’ivoire n’est pas la Libye. Loin de la géopolitique Libyenne, le pays ne fait pas le poids.
A peine la résolution permettant la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne votée au conseil de sécurité de l’ONU, les premiers éditos polémiques affluaient dans la presse africaine : « La communauté internationale a-t-elle abandonné la Côte d’Ivoire ? C’est la question que bon nombre d’Ivoiriens se posent actuellement. Les ivoiriens ont l’impression qu’ils ont été oubliés par l’ONU, l’Union Européenne, les Etats-Unis d’Amérique, la France, etc. au détriment des révolutions arabes. Ils s’expliquent difficilement la promptitude avec laquelle la communauté internationale avec la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis en tête, a réagi dès l’éclatement de la crise libyenne » écrit Le Patriote.
Consacré par l’ONU, on le voit, le droit d’ingérence est à géométrie variable. Certes Kadhafi utilisait des avions et des chars contre son peuple, mais cela fait désormais 4 mois que la crise couve en Côte d’Ivoire. Massacres, charniers, guerre civile, connectionivoirienne.net parle de 500 morts, des milliers de blessés et des millions de déplacés. Bombarder Tripoli pour mieux ignorer Abidjan, cibler Kadhafi et épargner Gbagbo, telle est la « logique » d’engagement des puissances occidentales.
Une attention plus grande aux crises lucratives
« Tous les critères légitimant une plus forte intervention de la communauté internationale sont réunis mais celle-ci, au-delà de sa première salve de sanctions, est tétanisée alors que la guerre dont on parle au futur est déjà au présent » estime Christian Brazzin, spécialiste des organisations internationales qui dénonce le fait que « les grandes puissances démocratiques, France, USA, Grande-Bretagne sont déjà passées à une crise plus « lucrative », laissant en Côte d’Ivoire un sillon de mots et de déclarations vides. C’est normal, la Côte d’Ivoire n’est pas « à deux heures de Paris » au cœur de l’Europe, elle ne borde pas la méditerranée, elle n’est pas le pays d’en face avec 3% de la production mondial de pétrole haut de gamme ».
Constatant ce « deux poids, deux mesures », le camp d’Alassane Ouattara réclame ouvertement que, sur le terrain, l’Onuci joue plus efficacement son rôle de protection des populations civiles. Et là aussi, pour le camp Ouattara, l’exemple Libyen est un argument massue : « On ne peut pas comprendre que la communauté internationale se soit mobilisée pour la Libye et qu'elle ne puisse pas prendre des décisions fermes sur la Côte d'Ivoire. Il faut le faire immédiatement, c'est une question de vie ou de mort », a insisté Anne Ouloto, porte parole de Ouattara.
La fin des opérations de démocratisation faciles
Imparable à première vue: si l’on est favorable au droit d’ingérence, il ne doit souffrir aucune exception. La Libye certes, mais pourquoi pas la Tchétchénie, la Côte d’Ivoire, le Yémen, Bahreïn, l’Arabie Saoudite, la Corée du Nord. Tous les pays arabes et tous les Etats africains -qui se font très discrets dans leur pseudo-soutien à ce qui ressemble de plus en plus à une opération occidentale- encore sous le joug d’une dictature. Et la Chine, si le cœur vous en dit…
Le conseiller pour la sécurité de Barack Obama y est allé de ses explications estimant que les situations en Libye et à Bahreïn « n’étaient pas comparables. Manama (NDLR : la capitale de Bahreïn) est un allié de longue date des Etats-Unis. La magnitude de la violence en Libye, où il y avait un dirigeant qui était en train de mener une campagne militaire de facto contre son propre peuple, excédait celle des situations dans d'autres pays du Moyen-Orient » a expliqué Ben Rhodes.
Théâtre de graves violences la semaine dernière entre le pouvoir et des manifestants conduits par les chiites, un chef de l'opposition a affirmé que 100 personnes étaient toujours portées disparues depuis le début de la contestation le 14 février, au cours de laquelle 16 personnes, 12 protestataires et 4 policiers, ont été tuées et des centaines blessées. Pour taper sur sa population et mater ses révolutions, mieux vaut donc quand même être un allié des USA avec quelques barils de pétrole à refourguer à la première puissance mondiale.
Démonstration par l’absurde que les « expéditions démocratico-médiatiques destinées à faire avancer la démocratie au son du canon » selon l’expression du philosophe Marcel Gauchet, relèvent plus de l’arbitraire que d'un quelconque « droit » qui s'imposerait à tous. Tout engagement de la communauté internationale dans une action démocratique est le résultat d’un savant dosage aux ingrédients le plus souvent mystérieux. Depuis le Kosovo, la guerre d’Irak et encore plus l’Afghanistan, tout ce qui pouvait être « démocratisé » facilement l’a été. Toute intervention de la communauté internationale est aujourd’hui la promesse contraignante d’un engagement coûteux humainement et économiquement, sur une longue période. Un coût de moins en moins accepté par les opinions occidentales. D'où des opérations loin d’être toujours populaires quand elles se prolongent et d’autant plus délicates à négocier politiquement et diplomatiquement. Le tout sans garantie véritable de résultats. L'ingérence démocratique, très en vogue sous Reagan et Bush reprend du poil de la bête. Si elle se justifie dans les cas extrêmes de guerre civile ou de génocide, les bombardements de modèles politiques démocratiques prêts à l'emploi n'ont jamais fait la preuve de leur efficacité.

Soubrouillard - Marianne
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