(Le Monde 15/03/2011)
Interview . C’est un changement de plus dans le monde arabe. Le 9 mars, dans un discours télévisé, le roi du Maroc Mohammed VI a présenté à son peuple une série de projets de réformes en réponse au mouvement dit "du 20 février" et en lien avec les manifestations qui ont touché le pays depuis cette date. Le point sur la situation avec Mohamed Fadil Redouane, chercheur marocain, doctorant en islamologie à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (Paris-Sorbonne).
Qu’a dit le roi Mohammed VI lors de son discours du 9 mars?
Le roi a prononcé un discours au peuple marocain dans lequel il a proposé une série de réformes constitutionnelles qui visent à une certaine séparation du pouvoir. Ce discours s’inscrit bien sûr dans la dynamique des printemps arabes qui bouleverse la région, et tente de répondre avant tout au mouvement du 20 février et aux revendications des manifestants. Le Maroc n’a pas été épargné par cette vague de contestations qui traverse le monde arabo-musulman, mais pour autant le contexte marocain est différent des autres : en effet, les manifestants ne demandent en aucun cas la chute du roi et la fin du régime monarchique. Au contraire, on peut voir dans les manifestations des messages d’amour et de respect adressés à la monarchie. Les revendications sont d’ordre politiques et constitutionnelles ainsi qu’économiques et sociales. Elles visent à transformer le pouvoir en une monarchie parlementaire, ou du type des monarchies que l’on peut trouver en Europe, et à en finir avec la corruption politique et économique et de ce fait rétablir une justice sociale au Maroc.
Le problème dans le discours du roi, c’est qu’il n’est pas clair quant à ses intentions. Mohammed VI a annoncé vouloir donner plus de pouvoir au premier ministre, garantir l’indépendance du pouvoir juridique, élargir les libertés mais il est resté assez vague et a surtout parlé d’une commission chargée de proposer des révisions dans la constitution actuelle. Ceci débouchera, selon moi, sur une constitution octroyée. Ce n’est pas la première fois que ce genre de commissions monarchiques est créée et jusqu’à présent celles-ci n’ont apporté aucun changement véritable. Il faut donc attendre le délai de 3 mois pour entendre les conclusions de la commission, et surtout, voir si le roi va réellement en tenir compte ou s’il s’agit seulement d’une annonce de façade visant à calmer les manifestants.
Comment ont réagi les différents partis politiques à ces annonces du roi?
A l’exception de quelques acteurs politiques de l’extrême gauche ou de l’islamisme (notamment le groupe de cheikh Yassine), tous les partis marocains qui sont dans le jeu politique ont forcément dû, d’une manière ou d’une autre, prêter allégeance au roi et reconnaître les prérogatives que lui accorde la constitution actuelle. Ainsi, les dirigeants des partis politiques ont accueilli très positivement ce discours, parlant d’une révolution pour le Maroc, d’une réponse parfaite aux revendications des manifestants.
Pour autant, je ne pense pas que l’ensemble des manifestants - qui sont le plus souvent des jeunes, éduqués, de la société civile et hors de tout mouvement politique - aient été aussi convaincus que ce que les chefs de partis veulent bien dire. Il risque cependant d’y avoir une scission au sein du mouvement du 20 février, entre ceux qui vont se contenter des annonces faites par le roi, et ceux qui vont vouloir plus de réformes et de changements. Une manifestation est prévue le 20 mars prochain, et elle mettra à jour l’unité ou non des manifestants.
Deuxième point majeur selon moi : ces annonces considérées par la classe politique comme une réponse absolue aux revendications risque de justifier la répression par le pouvoir. Car si le discours est jugé suffisant, le régime n’aura aucune raison de tolérer d’autres manifestations, et la répression risque donc de se durcir et d’être indirectement cautionnée par les partis politiques.
Si le roi effectuait réellement les changements qu’il a annoncé, cela constituerait-il une révolution pour le Maroc?
C’est une avancée. Pour autant, toute une série des questions n’a pas été abordée : le roi n’a pas parlé d’une des revendications principales des manifestants, à savoir la mise en place d’une monarchie parlementaire. Le terme n’a jamais été prononcé. Mohammed VI a parlé d’un renforcement du rôle du premier ministre et des institutions juridiques, mais la monarchie parlementaire, qui représente vraiment l’horizon à atteindre pour les manifestants, n’a même pas été évoquée. Le roi a annoncé un ensemble de principes assez vagues, et c’est pour cela qu'il faut attendre les résultats de la commission pour savoir qui sera effectivement à la tête du pouvoir exécutif au Maroc.
Autre point fondamental sur lequel Mohammed VI ne s’est pas exprimé : la question de la commanderie des croyants. Car au Maroc, en plus d’être à la tête de l’Etat, le roi est considéré comme le commandeur religieux de tous les citoyens, au sommet de la hiérarchie religieuse, et cela le met de ce fait au-dessus de toutes les institutions et sacralise encore plus sa personne. La question de la corruption, du monde des affaires lié à la famille royale, constitue un autre point problématique dont le roi n’a pas parlé. Plus généralement encore, les manifestants ont beaucoup réclamé un "nettoyage" de l’entourage du roi, en particulier certaines personnalités très proches du souverain qui n’ont aucune légitimité politique ou populaire et qui sont considérés comme responsables de la plupart des problèmes du pays.
Enfin, il y a le problème des prisonniers politiques, que beaucoup pensaient voir soulevé dans les annonces du roi, et qui n’a pas non plus été évoqué. Il y a en particulier la question concernant les 6 détenus de la cellule "Belliraj" qui ont été emprisonnés à la suite d’une affaire que l’on considère comme montée de toute pièce par le pouvoir, et sur laquelle le roi n’a pas répondu. Le discours peut donc être considéré comme encourageant, mais clairement insuffisant en l’état.
propos recueillis par Matthieu Mégevand - publié le 14/03/2011
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