(Le Potentiel 14/03/2011)
L'Ouganda passe de la phase de recherche à celle de l'exploitation. Le gouvernement de ce pays vient de conclure le contrat avec Tullow Oil pour l'exploitation du versant de la nappe pétrolière commune sur le lac Albert. Un retard que la RDC ne comblera pas de sitôt. Le manque à gagner rappelle le litige sur la zone d'intérêt commun avec l'Angola. Encore une fois, le Congo-Kinshasa va laisser des milliards de dollars américains partir en fumée, en faveur d'un pays voisin.
L'attribution des blocs sur le versant congolais du Graben Albertine avait, en son temps, provoqué des contestations en tous genres. Jusqu'à ce jour, la RDC est quasiment à la case départ. La phase de recherche qui précède l'exploitation n'a pas encore réellement débuté sur les différents blocs attribués. Visiblement, l'on s'affaire présentement à la mobilisation des ressources financières auprès des institutions bancaires et boursières.
Pendant ce temps, l'Ouganda ne perd pas son temps. Il profite des tergiversations de la RDC pour mettre les bouchées double. En clair, Kampala est en passe de commencer l'exploitation à grande échelle des blocs pétroliers situés sur son versant. Et c'est la firme Tullow Oil qui a gagné ce marché sulfureux, après avoir vidé le litige qui opposait la firme Heritage Oil au gouvernement ougandais. Ayant racheté Heritage Oil dont elle hérite en termes de passif et d'actif, Tullow Oil a versé au fisc ougandais tous ses droits.
Cette longueur d'avance indique que le ministre congolais des Hydrocarbures n'a pas été en phase avec l'évolution sur le terrain. Célestin Mbuyu Kabango devrait se raviser. "L'Ouganda m'a assuré que l'exploitation du pétrole sur le lac Albert ne pourra être possible qu'en 2016… Nous avons nullement procédé au bradage intentionnel des ressources pétrolières de la République ", avait-il déclaré du haut du prétoire de l'Assemblée nationale en décembre 2010.
Crédulité ou naïveté ? Difficile à dire d'autant que, dans un communiqué, les deux parties confirmaient que "La compagnie britannique Tullow Oil a passé un accord avec le gouvernement sur le lancement de l'exploitation à grande échelle des gisements pétroliers situés dans le bassin du Lac Albert, à la frontière de la République démocratique du Congo ".
Déjà en 2006, l'Ouganda avait pris une sérieuse option sur le pétrole du Graben Albertine. La politique adoptée par ce pays paie à ce jour. Il dispose "des données sismiques fiables ayant permis d'évaluer ses réserves à 800 millions de barils, à raison de 150.000 barils, la production journalière. Une production qui serait sept fois supérieure à celle de la RDC sur son bassin côtier de Muanda", ont noté des experts en investissements pétroliers. C'est donc sans surprise que la conclusion de l'accord entre Tulow Oil et le pays de Yoweri Museveni a été portée à la place publique, provoquant l'émoi du côté congolais.
En fait, ce que Kinshasa a perdu de vue c'est que la nappe pétrolière est commune et qu'en laissant Kampala commencer le premier la phase d'exploitation, il n'est pas exclu qu'un transbordement s'opère au détriment de la RDC.
Le ministre des Hydrocarbures s'est laissé flouer par la partie ougandaise. Comme dans la fable de La fontaine, Kinshasa a joué à l'agneau et Kampala au bouc. Il lui fallait, ainsi qu'à l'ensemble du gouvernement, de la perspicacité pour jouer serrer et réaliser qu'entre les Etats seuls les intérêts comptent et non les états d'âme.
Malgré toutes les faiblesses relevées dans le chef de Kinshasa, d'aucuns notent que la précipitation avec laquelle Kampala a mené le dossier en damant le pion à son voisin sous-entend qu'il est déterminé à faire main basse sur une richesse commune. D'autant qu'il est conscient d'une chose, à savoir le temps ne joue pas en faveur de Kinshasa. Celui-ci devrait attendre cinq ans pour prétendre clore ses recherches avant de se perdre dans les procédures d'attribution et de mobilisation des financements. Or, ce délai est incompressible. Pendant ce temps, l'Ouganda serait très loin et tirerait tous les dividendes de l'exploitation du bassin pétrolier du Graben Albertine. D'ailleurs, des analystes de l'espace des Grands Lacs africains ont toujours accusé l'Ouganda de vouloir faire main basse sur le pétrole congolais. Ils lui imputent les guerres récurrentes qui ont émaillé la sous-région des Grands Lacs. Le Lac Albert tant convoité par Kampala regorgerait des réserves pétrolières estimées à 2,5 milliards de barils.
Tant que la RDC n'aura pas pris la mesure des enjeux, l'Ouganda pompera le pétrole commun jusqu'à épuisement.
LA ZIC AVEC L'ANGOLA
L'histoire se répète. La conclusion de l'accord entre l'Ouganda et Tullow Oil rappelle le retard pris par la RDC dans le littoral Ouest. Encore une fois, la RDC est contrainte de subir les événements pour avoir manqué de les précéder. Il est vrai qu'il fallait mettre d'abord de l'ordre avant de se lancer dans les attributions. Malheureusement, la partie congolaise, comme tétanisée, a trainé les pas dans le traitement des dossiers sentant des commissions à mille lieues. L'Assemblée nationale l'a dénoncé mais en vain.
Des entreprises sans références sérieuses connues, se sont vu attribuer des blocs pétroliers au détriment des majors notoirement réputés dans le secteur. Il va de soi que le résultat ne viendrait pas aussi rapidement qu'on l'aurait souhaité. L'Angola, qui avait promis, à en croire l'ancien ministre des Hydrocarbures Lambert Mende, de verser 600 millions USD à la RDC, ne s'est jamais exécuté. Ce pays au sud de la RDC a multiplié des entraves en vue de la conclusion du dossier en rapport avec la zone d'intérêt commun. Curieusement, le gouvernement n'a pas tiré les leçons qui s'imposaient au regard de l'évolution de la situation qui présageait d'un litige entre les deux pays.
ENCADRE
Tullow Oil rachète les actifs de Heritage Oil
La compagnie pétrolière canadienne Heritage Oil a annoncé avoir cédé sa participation de 50% dans deux blocs pétroliers en Ouganda au groupe britannique Tullow, après que le groupe italien Eni a renoncé formellement à l'acquérir.
"Heritage annonce qu'Eni a mis fin à l'accord de rachat conclu le 18 décembre (. . . ) avec effet immédiat", a annoncé la compagnie pétrolière canadienne dans un communiqué diffusé à Londres. Cette décision d'Eni "fait suite à l'exercice par Tullow de son droit de préemption", a précisé Heritage.
Le renoncement d'Eni "devrait accélérer l'exécution de l'accord de cession conclu entre Heritage et Tullow le 26 janvier", a ajouté Heritage, qui dit attendre le feu vert "imminent" du gouvernement ougandais à cette transaction.
TULLOW OIL PROPRIETAIRE A 100%
La cession à Tullow, déjà propriétaire des 50% restant dans les deux blocs en question, devrait être achevée au cours du trimestre. Elle se fera pour la même somme qu'avait proposée Eni, soit 1,5 milliard de dollars maximum.
Les deux blocs en question, baptisés 1 et 3A, sont situés dans le bassin du lac Albert et contiennent des ressources de plus d'un milliard de barils équivalent pétrole. Tullow Oil et Heritage ont investi plus de 700 millions de dollars dans le bassin concerné en six ans, creusant 27 puits pour un résultat de 700 millions de barils prouvés, et potentiellement de 1,5 milliard d'autres.
Heritage s'était entendue en décembre avec Eni pour lui céder sa participation dans ces gisements, pour jusqu'à 1,5 milliard de dollars. Eni avait promis au gouvernement ougandais de réaliser des investissements colossaux pour développer ces champs.
Mais Tullow avait demandé le mois dernier à exercer son droit de préemption, donnant ainsi au gouvernement ougandais, qui dispose d'un droit de regard sur la transaction, le choix entre son offre ou celle du groupe italien.
Le gouvernement, qui avait appuyé au départ le rachat par Eni, paraît depuis s'être laissé convaincre par Tullow, ce qui semble avoir poussé Eni à renoncer. Tullow avait indiqué fin janvier qu'il souhaitait partager l'exploitation des gisements ougandais soit avec la compagnie pétrolière chinoise Cnooc, soit avec le français Total. Au même moment, les tractations entre la RDC et Tullow Oil n'ont pas abouti. La firme britannique ayant été priée de plier bagages de la RDC.
JEUNE AFRIQUE/LP
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