(Courrier d'Afrique 21/03/2011)
Les camps en conflit en Côte d’Ivoire restent campés sur leur position. L’impasse politique prend chaque jour des allures de drame national au point de menacer les fondations vermoulues d’un grand d’Afrique. La morosité des affaires et le manque de liquidités risquent d’effondrer l’économie.
Peniel Hortense
Tous les signes de l’essoufflement de l’économie ivoirienne sont au rendez-vous. De quoi conforter les partisans d’Alassane Ouattara, désormais persuadés que la fin du régime et de la résistance de Laurent Gbagbo est proche ! Comme en témoignent les deux ports du pays, qui, frappés de plein fouet, par l’embargo de l’Union européenne (Ue), tournent au ralenti. Le port de San Pedro, deuxième du pays et premier d’exportation de cacao au monde, est sérieusement perturbé par l’appel à l’interdiction des exportations du cacao lancé par Alassane Dramane Ouattara. Cet appel, corrélé à l’embargo de l’Ue qui interdit aux navires battant pavillon européen de transporter du cacao ivoirien, constitue une sérieuse épée de Damoclès sur la production cacaoyère. Le port de San Pedro qui a traité 550 000 tonnes de cacao en 2010, est très loin d’atteindre 1,3 millions de tonnes qu’il projettait de manipuler en 2011. Et la manifestation des producteurs de cacao, le 17 février dernier, devant les bureaux de la délégation européenne ne va rien y changer. Le cacao, colonne vertébrale de l`économie ivoirienne faisant vivre des millions de paysans et générant environ 40% des recettes d’exportations du pays, est visiblement dans de sales draps.
Sur la plateforme portuaire d’Abidjan, c’est le même spleen depuis novembre 2010. Le port qui représente 90% des recettes douanières nationales, 65% du budget de l’Etat, 70% des activités industrielles et 40 000 emplois directs, fait littéralement les frais des sanctions de l’UE qui a gelé ses avoirs et interdit aux navires immatriculés dans l’espace européen de faire escale à Abidjan. Dans le cadre des mesures prises contre les proches de Laurent Gbagbo, Marcel Gossio, directeur général du port autonome d’Abidjan, est interdit d’effectuer des missions en Europe…Conséquence à Abidjan : l’activité sur la plateforme portuaire est en deçà de sa cadence habituelle ; les bateaux mouillent de moins en moins ; les entreprises maritimes tournent au ralenti alors qu`elles ne sont pas à l`arrêt. Le chômage est ambiant sur l’espace portuaire notamment chez les dockers.
Une morosité au port d’Abidjan qui n’est pas sans conséquence sur l’approvisionnement des pays de l’hinterland. En janvier dernier, le Burkina Faso comptait quelque 20 000 tonnes de marchandises bloquées au port d’Abidjan. « C`est avec amertume que nous subissons la crise ivoirienne. Nous avons peur de mettre nos véhicules de transport de marchandises sur le corridor ivoirien. Personne ne veut emprunter aujourd’hui l’axe Burkina Faso - Côte d’Ivoire, quel que soit le prix qu’on lui propose », explique Issoufou Maïga, secrétaire général de l`Organisation des transporteurs routiers du Faso (Otraf). Le Niger qui importe à hauteur de 35 milliards de francs cfa, des produits en provenance de la Côte d’Ivoire, a vu son volume des importations chuter de 1 000 à 300 tonnes en deux mois. La situation est d’autant plus préoccupante que ces pays de l’hinterland sont obligés de réorienter leurs marchandises vers d’autres ports de la sous région notamment ceux de Cotonou, Tema, Takoradi et Lomé où « les autorités sont en train d’élargir les espaces pour accueillir plus de marchandises», souligne Ali Traoré, directeur général du Conseil burkinabé des chargeurs.
Septicémie économique
Au-delà de la baisse d’activité dans les ports, tous les secteurs de l’économie ivoirienne sont touchés par la crise postélectorale. Raréfaction des produits de première nécessité, menace de pénurie de médicaments et de carburant…chaque jour davantage, c’est le branle-bas ! A la Société nationale d’opérations pétrolières (Petroci), les salariés ne savent pas combien de jours est ce qu`ils tiendront face aux sanctions de l’Union européenne. De plus en plus, l`hypothèse d`une fermeture de la raffinerie, d’une capacité de 80 000 barils par jour, s`impose. Avec l`augmentation des coupures d`électricité, la crise dans le secteur de l’énergie est en pleine amorce. Parce que les entreprises tournent au ralenti, le chômage technique prend de l’ampleur. Et déjà pour de nombreux ménages, il est difficile de remplir le panier dans un contexte d’inflation galopante. « Le coût de la vie a augmenté de plus de 60% entre fin novembre et début février. Le litre d’huile de palme est ainsi passé de 800 francs Cfa à 1 400 francs Cfa. Le kilo de sucre est actuellement à 1 200 francs Cfa et le prix moyen du kilo de viande à 2 000 francs Cfa. Il faut parcourir des kilomètres pour trouver une bouteille de gaz ou du charbon. Il y a également une raréfaction des denrées de base, car il n’y a plus de marchandises qui arrivent dans les ports », témoigne Soumahoro Ben N’Fally de l’Association pour la protection des consommateurs actifs de Côte d`Ivoire.
Les pharmacies sont sous la menace d`une cessation de leurs activités par manque d’approvisionnement chez les fournisseurs essentiellement européens. Des produits comme ceux d`hémodialyse sont déjà en rupture de stock dans certaines officines. « Nous sommes préoccupés. Les perspectives les plus optimistes donnent un temps de couverture en médicaments d`environ un mois », soutient Parfait Kouassi, président de l`ordre des pharmaciens de Côte d`Ivoire. Mais le plus difficile pour les ivoiriens, est de ne pouvoir compter sur leur épargne dans les banques. Au moins six banques commerciales dont la filiale de la banque française Société générale, la banque anglaise Started Chartered bank et l`américaine Citibank ont fermé boutique « pour des raisons de sécurité ». En réalité, elles ont obéi aux injonctions de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest (Bceao) qui a menacé, le 18 février 2011, de sanctions les banques travaillant avec le gouvernement de Laurent Gbagbo. Ce dernier a réagi en décrétant la nationalisation desdites banques. Selon le camp Gbagbo, « l’objectif fondamental est d’assurer la continuité de l’ouverture des ces banques, afin de préserver les emplois et d’assurer l’accès des citoyens et des opérateurs économiques à leurs avoirs ». Seulement dans un contexte de pénurie sans cesse grandissante, des liquidités, les ivoiriens sont confrontés à la problématique : « où trouver l’argent pour faire tourner l’économie ? » Car, en décidant fin janvier de fermer le robinet de la Banque centrale des Etats d`Afrique de l`Ouest (Bceao) à ses agences ivoiriennes, l`Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa) avait sonné le glas du système financier ivoirien sous Gbagbo. La coupure du système électronique de « compensation interbancaire », dépendant de la Bceao et qui permet aux banques de la place de travailler ensemble, a eu pour conséquence immédiate de désorganiser profondément le système bancaire national. « On est dans un cycle d`étranglement de l`économie ivoirienne qui va être extrêmement difficile à vivre… », analyse Serge Michailof, professeur à Sciences Po Paris.
A cette allure, la première économie de l’Uemoa et seconde de l’Afrique de l’ouest après le Nigeria est en voie d’implosion. Aux dépens non seulement des ivoiriens mais également des Ouest africains.
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