jeudi 9 septembre 2010

Mozambique : "La population est à bout et n'est plus capable de résister aux chocs

(Le Monde 09/09/2010)
Nicolas Bricas, socio-économiste au Centre international de recherche agronomique pour le développement (Cirad) et spécialiste de la sécurité alimentaire.
Le Mozambique est secoué depuis le 1er septembre par de violentes émeutes liées à l'envolée des prix, notamment sur les denrées alimentaires : la répression des autorités a fait 13 morts, avant l'annonce de mesures d'apaisement.
Certains craignent le retour des grandes émeutes de la faim qui avaient traversé le continent africain en 2008. Nicolas Bricas, socio-économiste au Centre international de recherche agronomique pour le développement (Cirad) et spécialiste de la sécurité alimentaire, explique les facteurs de la crise actuelle.
Quelle est la situation actuelle sur le marché du blé par rapport à 2008 ?
Nicolas Bricas : Il y a une hausse assez nette du prix du blé sur le marché international, liée aux incendies en Russie et accentuée par la décision de ce pays de bloquer les exportations. Pour certains, comme le département de l'agriculture américain, ce choix aurait été fait pour sécuriser l'approvisionnement domestique mais aussi à des fins de spéculation.
On ne peut pas exclure que ce phénomène ait une part dans l'augmentation des prix, comme ce fut le cas en 2008. L'augmentation des prix du blé est pour l'instant d'une moindre ampleur, et le riz n'est pas encore touché mais on s'attend à une flambée sur cette céréale à cause de la situation au Pakistan. Il existe de toutes façons de fortes tensions sur les marchés, avec une demande soutenue et une offre qui s'ajuste de manière limite.
Pourquoi les choses se sont emballées au Mozambique ?
Nicolas Bricas : L'augmentation des prix au Mozambique n'est pas seulement lée à la hausse du prix du blé, elle est aussi liée au fait que la monnaie a été dévaluée par rapport au rand sud-africain, alourdissant le coût des importations. La situation du Mozambique est donc un peu particulière, notamment par rapport aux pays de la zone franc, qui sont indexés sur l'euro.
Ce n'est pas uniquement le prix du blé qui fait descendre les gens dans la rue, mais aussi celui de l'eau, de l'électricité, du pétrole... Il y a une pauvreté urbaine très forte, la population est à bout et n'est plus capable de résister aux chocs. Ce sont d'ailleurs des manifestations spontanées, qui ne sont pas provoquées par l'appel de syndicats.
D'autres pays d'Afrique peuvent-ils être touchés ?
Nicolas Bricas : La situation mozambicaine ne va sans doute pas se généraliser au reste de l'Afrique. Cela dit, la situation de la pauvreté ne s'est pas améliorée depuis 2008, loin s'en faut. Il ne faut pas oublier que la sécurité alimentaire, ce n'est pas seulement produire assez, c'est aussi fournir des emplois à ceux qui accèdent aux produits alimentaires par le marché. Il a été calculé que dans les pays africains, il fallait créer en moyenne 30 000 emplois par an et par million d'habitant juste pour absorber les jeunes qui arrivent sur le marché du travail.
Un des moyens pour les pays de se prémunir contre les variations des prix alimentaires sur le marché international est bien sûr de développer leur agriculture, mais il ne faut pas penser que celle-ci s'est effondrée. En Afrique de l'Ouest elle a fortement augmenté depuis les années 80, avec le développement de cultures de rente sur le maïs, le sorgho, le manioc, l'igname... Il est vrai que la situation reste tendue en Afrique de l'Est.
De quels instruments disposent les gouvernements, notamment au Mozambique, face à ce genre de crise ?
Nicolas Bricas : Aujourd'hui, ils n'ont pas beaucoup de marge de manœuvre face à l'augmentation des prix. Une piste serait de les aider à constituer des stocks, mais la fragilité de ces gouvernements pose problème. On craint une mauvaise utilisation, avec du clientélisme par exemple... La solution peut être des stocks mutualisés au niveau régional : c'est actuellement en réflexion dans les pays du Sahel. Il y a aussi des mécanismes d'assurance sur les prix.
Enfin, beaucoup de pays – ce fut le cas du Mali en 2008 – utilisent des taxes variables sur les importations, qu'ils suppriment en cas de hausse des prix. C'est en théorie interdit par l'OMC, mais ils font le pari qu'aucun pays n'osera les attaquer là-dessus, et c'est un pari raisonnable. Il faudrait d'ailleurs peut-être remettre en question cette règle.
Propos recueillis par Marion Solletty
LEMONDE.FR

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