mardi 22 mars 2011

Succession de Paul Biya, un scénario bien ficelé

Par Eric Essono Tsimi - 21/03/2011

La démocratie camerounaise, un idéal à l’épreuve du principe de réalité
En systèmes politiques comparés, la revue Critique Internationale faisait en 2006 une étude du phénomène dynastique : L’Inde est une ancienne colonie britannique, souvent désignée comme la plus grande démocratie au monde. Là-bas, l’hérédité des fonctions politiques est une tradition qui remonte aux débuts de la République. Les princes qui se sont prêtés au jeu électoral après 1947 ont observé une pratique qui s’accordait avec la logique dynastique de leur culture. Ces héritiers ont néanmoins été évincés du jeu politique lorsqu’ils n’ont pas su faire montre d’un minimum de compétences. Cette règle est illustrée par les Scindia, une lignée princière qui inaugurait en 2008 sa troisième génération de parlementaires. La famille des Nehru/Gandhi incarne d’une façon plus constante la prégnance du répertoire dynastique dans la politique indienne. Mais, là encore, il n’y a rien d’automatique dans la perpétuation des générations au pouvoir, soit que les héritiers se trouvent reprouvés par l’électorat, soit qu’ils ne souhaitent pas endosser le manteau de leurs aînés. La politique indienne semble donc répondre à une logique dynastique ; mieux, elle est régie par le principe lignager. L’idée n’est pas de faire du Cameroun une société constituée de groupes cloisonnés et hiérarchisés, les spécificités sociologiques du Cameroun font du reste qu’il est insusceptible de devenir une société de castes. Dans notre société, les places ne sont pas marquées. Personne, jusque-là, n’est élevé pour occuper une place qui lui serait officiellement destinée dès sa naissance. La fortune dispose des destinées, et, au Cameroun, nul ne peut dire, sans encourir la dérision, qu’il n’est pas à sa place. La démocratie japonaise a elle aussi été à l’épreuve du phénomène dynastique à travers la patrimonialisation des offices parlementaires. Au Sri-Lanka, l’alternance démocratique a concerné alternativement deux groupes familiaux, entre 1952 et 2005. Voilà qui nous amène à tordre doucement le cou au postulat selon lequel toute succession politique héréditaire est l’apanage des monarchies constitutionnelles ou au pire des « républiques non constitutionnelles ». La « monarchisation du pouvoir » citée par l’idéologue Owona Nguini dans le cas du Gabon, voire du Cameroun est idéale. Sa constatation ne tient pas suffisamment compte du réel, elle établit au mieux l’esprit de système de nombre d’analystes, qui font prédominer les modèles universels sur l’expérience particulière. Des anthropologues, des sociologues et des historiens camerounais ont écrit que le gouvernement Beti était une « démocratie pleine et entière » (Th. Tsala cité par Tsala-Tsala J-P., 1982) pourtant le mode de dévolution du pouvoir au sommet de la chefferie était dynastique (P. Mviena, 197O). Faut-il y voir une contradiction ? Ou bien la preuve que la république est un modèle importé pour ainsi dire, et qu’en traversant l’Océan la démocratie s’est mouillée les pieds ? Il existe de nombreuses interactions entre ce système politique d’une part et le milieu et les hommes qui le mettent en œuvre d’autre part.
Le français n'a pour désigner notre régime qu'un mot usé par les siècles et vidé de son riche contenu ancien: démocratie. Nous lui redonnerons sa plénitude perdue et peut-être un peu plus, en lui faisant signifier ce faisceau de tolérance, de paix, d’effort et de patriotisme qui permet de ne pas juger notre vie politique à l’aune de ce qui se passe outre-Sahara, outre-Atlantique. Ainsi entendue, la démocratie suppose que l’appréhension de notre environnement est purgée de toute ambition personnelle. Certaines monarchies sont des démocraties, verbi gratia : Royaume-Uni, Canada, Belgique, Suède, Japon, Monaco, Koweït, Luxembourg, etc. Et personne n’y trouve rien à redire. Les confusions, abondantes dans la production littéraire ou pseudo-scientifique concernant le continent africain, sont emblématiques du catastrophisme volontaire de nombre d’intellectuels africains, d’autant plus arrogants qu’ils sont obnubilés par le pouvoir ; ils s’apitoient, se moquent, ricanent avec l’Occident, persuadés qu’ils sont d’être du côté des rieurs, alors qu’ils sont eux-mêmes l’objet de la risée. La thématique du dictateur et celle de l’État africain, ogre dissipateur, insatiable et froid sont assez vendeuses et obèrent l’émergence d’une pensée originale et positive, à la hauteur du génie de notre peuple que l’on ne sait quelle malédiction a enfermé dans une lampe magique.
Succession de Paul Biya à la tête du Cameroun, un scénario bien ficelé Au nom du père, du fils… et par l’opération du Saint-Esprit
Les convulsions épileptiques du libéralisme communautaire, « surplombé par une économie de la violence, du sectarisme et de la corruption », mettent Paul Biya dans une mauvaise posture. Ses opposants, qui ont été incapables de l’inquiéter durablement ou d’imaginer de nouvelles formes de contestations après les « villes mortes », au même titre que les intellectuels et ceux qui se réclament tels, devraient tous, la queue entre les jambes, être confondus parmi les accusés. La stigmatisation des options politiques et économiques de Biya ou des institutions de Bretton Woods s’est avérée inefficace du fait de l’inexistence de modèles idéologiques valables et de programmes économiques alternatifs. Plusieurs formules ont été expérimentées : partis uniques qui n’étaient pas vraiment uniques, multipartisme qui n’était pas spécialement démocratique, planification économique communisante, libéralisation, plans quinquennaux, programmes d’ajustement structurel... C’est dans ce cadre que s’inscrivent tous les mémorandums, manifestes, cris du cœur tendant à convaincre Biya et les Camerounais de la nécessité de répartir plus équitablement le pouvoir politique. Nonobstant l’unanimité quant aux vertus démocratiques, si bien cotées sur le marché des valeurs politiques, rien ne permet d’affirmer péremptoirement que ceux qui, comme Ahmadou Ali, actuel ministre de la justice, réclament doucement la restitution du pouvoir suprême aux ressortissants du Nord, pour honorer le prétendu pacte de Biya et Ahidjo lors de la démission de celui-ci au profit de celui-là, en 1982, rien donc ne permet d’affirmer que, revenus aux affaires, ils sauront assurer une évolution pacifique et harmonieuse de notre société. Une telle transition ne serait ni dynastique ni démocratique, elle serait contractuelle, exclusiviste, fondée sur une alliance bassement hégémonique. Car au nom de quelle logique, les Bamoun ou les Bassa par exemple ne pourraient-ils pas être partie à ce contrat psychologique ? Pour en finir avec ces prétentions des défenseurs du pacte entre ressortissants du Nord et ceux du Sud, on pourrait en réalité supposer que le Sud avait été le premier à passer la main, quand André Marie Mbida (Premier ministre du Cameroun oriental de 1957 à 1958) alors Chef du premier Gouvernement camerounais céda sa place à Ahidjo en 1958, fût-ce à son corps défendant. Ahidjo avait une dette qu’il a réglée, en tout cas la fortune a réparé comme elle a pu l’éviction de Mbida. Biya n’a lui aucune dette morale, sinon envers son peuple, il lui appartient de redistribuer les cartes suivant son bon vouloir. Depuis le 6 novembre 1982, le contexte est bien changé, l’on est maintenant en démocratie, une démocratie contestée, une démocratie quand même. Ceux qui nourrissent des prétentions sur le pouvoir devront passer par le sas des élections démocratiques. Le fait ethnique reste une donnée fondamentale de l’analyse des postures des politiques camerounais, ceci dit l’alternance démocratique n’est pas une alternance ethnique. En cas de succession dynastique, l’idée ne serait pas d’appliquer le principe du « Sinn Fein » (Nous Seuls) mais de consolider un État encore vulnérable. Outre cela, en démocratie, ce qu’il importe, c’est que l’alternance soit seulement possible, sa réalisation est une autre affaire, le peuple étant libre de préférer la continuité à la rupture. De fait, pourquoi agiter sans cesse le concept d’alternance, comme s’il s’agissait d’un jeu de chaises musicales, cependant que, en maintes instances, c’est de vision politique qu’il est question ? Évidemment, on peut approfondir les désaccords philosophiques, alléguer une déflation conceptuelle et idéologique, démocratie n’en voudra pas moins signifier patience, elle veut dire que l’on convainque le peuple par des pratiques plutôt que des standards, un label et une norme de qualité d’essence étrangère. L’alternance, l’égalité de tous les citoyens qu’on croit exprimer au mieux par la répartition ethnique du pouvoir, la question constitutionnelle, sont des demi-problèmes qui empêchent les Camerounais de s’attaquer aux problèmes capitaux, notamment ceux des mentalités, de notre identité incertaine qui se dilue progressivement dans une immigration tous azimuts, et de la définition d’un projet de société.
Le nouveau Brutus
Rare moment de pudeur en politique : ils ne le disent pas, mais cela va de soi que beaucoup de caciques du RDPC ont tablé à un moment ou à un autre, en se rasant le matin, sur l’éventualité de la disparition de Biya. C’est là-dessus qu’ils ont fondé leurs espérances. Le cas Biya nous rappelle l’histoire d’un Premier ministre français d’avant la révolution de 1789, le Cardinal de Fleury, qui est arrivé au pouvoir à 73 ans. On le savait d’une santé fragile, mais le souffreteux, qu’on croyait condamné, a désespéré les ambitions de ses contemporains en atteignant 90 ans. Biya est lui-même optimiste sur le nombre d’années qui lui restent à vivre. Ne pouvant lui mettre le dos à terre dans un combat régulier, on en vient à espérer que ses absences longues et répétées à la présidence débouchent sur un constat par la cour constitutionnelle de la vacance du pouvoir : on peut toujours rêver ! Franck Biya peut se présenter contre son père à la prochaine présidentielle. Il gagnerait en crédibilité, s’il se dresse contre son géniteur. C’est vrai, l’effacement de Franck Biya devient à ce point insupportable que certains Camerounais le lynchent pour le plaisir de le faire exister davantage. Il est urgent qu’il descende de l’arbre sur lequel il est juché, qu’il revienne au village. On le croit en apesanteur, il ne faut pas qu’on le pense autiste. Et comme le dit un proverbe beti « ma sob a dzaal aa wowog mven » (littéralement : je rentre au village ne sent pas la pluie ; littérairement : l’impératif du retour se moque de tous les désagréments.) Le processus de transition dans un pays sociologiquement et géographiquement proche comme le Gabon laisse supposer que le scénario ne sera pas substantiellement retouché, mais seulement adapté par rapport à nos paradigmes propres et notre historicité. Politiquement, à peu près tout le monde convient de ce que Biya a une lourde part dans sa succession. Au cas où cela dégénérerait, on ne manquerait pas de lui en imputer la responsabilité historique. D’où il suit que son approche de sa succession est en phase avec la logique qui a présidé durant son règne. En dépit des apparences, cette succession ordonnée n’est ni essentialiste ni ethnocentrée. Seulement, plutôt que de laisser cet « héritage » en situation de déshérence, Paul Biya a oint Franck en privé, motivé comme on l’a vu par le contexte environnant et l’indétermination, à l’intérieur même du triangle national, du marché politique qui a tout d’un tableau picaresque. Il y a des vérités qu’il est plus aisé de reconnaître que de dire et il y a des choix dont nos gouvernants tardent à se vanter parce qu’ils ne s’avisent même pas de leur pertinence, la poursuite habituelle de leurs intérêts particuliers leur fait oublier que, ce faisant, en ces heures fatidiques, ils peuvent simultanément accéder à l’intérêt de tous par un hasard de l’histoire.
 
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