22/03/2011 à 09h:23 Par Marianne Meunier
Iront-ils ensemble ou pas ? Dans l’opposition congolaise, chacun estime avoir ses chances. Tout en étant bien conscient du danger qu’il y aurait à affronter Joseph Kabila en ordre dispersé dans une présidentielle à un seul tour.
Le risque ou la sagesse ? Depuis deux mois, ce dilemme embarrasse l’opposition en RDC. Il n’est pas vain, puisqu’il a pour enjeu le fauteuil présidentiel, confortable dans un pays de 65 millions d’habitants au sous-sol gorgé de richesses.
Un bref retour en arrière s’impose. Par souci d’économies et pour préserver la paix (raisons officielles) ainsi que pour permettre à Joseph Kabila de rester à la tête de l’État (raison officieuse), son entourage a imaginé une parade. En janvier, il a soumis au Parlement un projet de révision de la Constitution. Adopté malgré le boycott d’une centaine de députés de l’opposition, le nouveau texte prévoit que l’élection présidentielle, pour le moment fixée au 27 novembre prochain (voir encadré), ne comporte qu’un seul tour au lieu de deux. En clair, le vainqueur de la première manche sera le vainqueur tout court. Même au coude-à-coude, le numéro deux n’aura pas de seconde chance.
Malgré une combativité affichée, les nouvelles règles du jeu laissent perplexes les principaux candidats de l’opposition. Doivent-ils adopter une stratégie de candidature unique face à Joseph Kabila ? C’est, à première vue, l’option de la sagesse, car elle permettrait d’opposer l’adversaire le plus fort qui soit au chef de l’État sortant. Mais l’option du risque est encore loin d’être écartée : que chacun se présente, sûr qu’il est de pouvoir l’emporter face à un président desservi par son bilan, quitte à risquer une dispersion des voix.
Candidat déclaré, Étienne Tshisekedi se voit en rassembleur. Lors d’une conférence de presse, le 20 février, le président de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) a lancé « un vibrant appel à toutes les forces de l’opposition pour s’unir autour de [lui] ». À 79 ans, le « Sphinx de Limete » – son surnom, qui renvoie à la commune de Kinshasa, où il réside – entend conserver son statut d’opposant en chef, construit sous le « règne » de Mobutu Sese Seko. « Sa lutte de trente ans fait de lui une personnalité à aura nationale et internationale, dit son directeur de cabinet et porte-parole de l’UDPS, Albert Moleka. Au niveau de l’opposition, il est le seul candidat qui puisse battre Kabila. » Soucieux, toutefois, de ne pas faire passer Étienne Tshisekedi pour un autocrate, Albert Moleka ajoute cette nuance : « Une candidature unique, nous ne sommes pas contre, mais l’UDPS s’est toujours battue pour la pluralité. »
Un mariage de raison
L’appel du « Sphinx » n’emballe pas le Mouvement de libération du Congo (MLC). « Étienne Tshisekedi est une personnalité qui appartient au passé, estime François Muamba, secrétaire général du parti et ancien de l’UDPS. Il veut achever une œuvre alors que le Congo a besoin d’en commencer une. » Avec 64 députés et 17 sénateurs, le MLC est le premier parti d’opposition. Forts de ce statut, de nombreux cadres n’accepteraient pas de voir leur formation s’effacer devant l’UDPS, absente du Parlement pour avoir boycotté les élections de 2006. « Ce que les cadres attendent du MLC, c’est l’affirmation de notre leadership, poursuit François Muamba. Nous avons toujours été sur le terrain. Nous avons fait la guerre, négocié la paix, participé à la transition, nous sommes allés à une élection ! » Le secrétaire général du MLC reconnaît cependant la nécessité d’un « mariage de raison » au sein de l’opposition.
Mais une crise de paternité empêche le parti de prétendre incarner une candidature unique. Accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, son fondateur et chef charismatique, Jean-Pierre Bemba, comparaît devant la Cour pénale internationale depuis novembre dernier. Son procès pourrait avoir pris fin en novembre prochain, mais une procédure d’appel – quel que soit le verdict – devrait maintenir Bemba en détention. En l’absence de condamnation définitive, le Chairman peut en théorie se présenter à la présidentielle. Depuis sa cellule, à La Haye, il communique avec des proches qui laissent planer cette éventualité. Mais, derrière les barreaux, Jean-Pierre Bemba serait alors un candidat fantôme.
Le MLC doit désigner son candidat lors de son congrès, prévu en avril. Si Jean-Pierre Bemba est déclaré « empêché », François Muamba, président par intérim, prendra la relève. Mais ce dernier, moins charismatique que le numéro un du MLC et originaire du Kasaï oriental, fief incontesté d’Étienne Tshisekedi, ne peut jouer les dénominateurs communs à l’échelle de l’opposition. Quant aux fans, ils pourraient provoquer une division au sein du parti si « Jean-Pierre » n’était pas désigné candidat.
Pas le droit à l’erreur
Troisième prétendant, Vital Kamerhe n’affiche pas d’intentions de prendre les rênes des anti-Kabila dans la course électorale. Son arrivée dans le camp adverse est récente. Jusqu’en mars 2009, cet ancien directeur de campagne de l’actuel chef de l’État présidait l’Assemblée nationale. Tombé en disgrâce pour avoir dénoncé une opération militaire conjointe avec le Rwanda – dont il n’avait pas été informé –, il a créé son parti, l’Union pour la nation congolaise, et rejoint l’opposition. Son charisme y est reconnu, mais il doit encore construire son aura d’opposant face à un Tshisekedi ou au MLC. Il reconnaît que « l’opposition n’a pas droit à l’erreur ». Il en appelle à une union de l’opposition mais refuse de « personnaliser ». Ses préconisations : une entente autour d’un « socle commun de priorités », qui permettra ensuite de définir un « partage des tâches ». « C’est seulement à partir de cette étape que nous pourrons dire c’est celui-là ou celui-ci », ajoute-t-il. Vital Kamerhe n’exclut pas qu’il y ait dans un premier temps « plusieurs candidats de l’opposition », puis « qu’ils se réunissent un mois avant le scrutin pour en choisir un ». Un moyen, selon lui, de prendre l’adversaire de court. « Chaque candidat doit être disposé à coopérer », explique-t-il. Les 20 et 21 février, Vital Kamerhe a rencontré Étienne Tshisekedi. Et de préciser : « Je suis en pourparlers avec Jean-Pierre Bemba et je vois aussi François Muamba. »
Président du Sénat et membre de l’opposition, Léon Kengo wa Dondo observe à distance et s’interroge. L’ancien Premier ministre de Mobutu pourrait lui aussi être candidat. « Sa décision n’est pas prise, dit un proche, il n’y a encore ni loi électorale, ni calendrier, ni certitude sur la sécurisation du scrutin ! » Originaire de la province de l’Équateur comme Jean-Pierre Bemba, il pourrait profiter de la mise hors jeu de ce dernier. Mais, selon la même source, « une candidature unique n’est pas une nécessité. Si Kabila a fait la révision constitutionnelle, c’est qu’il n’est pas sûr de l’emporter ». Le président du Sénat attend que les règles du jeu soient fixées pour se prononcer, tandis que les candidats déclarés hésitent à remiser leurs ambitions personnelles. « Il y a une prise de conscience et une confiance à construire », résume un observateur.
Le risque ou la sagesse ? Depuis deux mois, ce dilemme embarrasse l’opposition en RDC. Il n’est pas vain, puisqu’il a pour enjeu le fauteuil présidentiel, confortable dans un pays de 65 millions d’habitants au sous-sol gorgé de richesses.
Un bref retour en arrière s’impose. Par souci d’économies et pour préserver la paix (raisons officielles) ainsi que pour permettre à Joseph Kabila de rester à la tête de l’État (raison officieuse), son entourage a imaginé une parade. En janvier, il a soumis au Parlement un projet de révision de la Constitution. Adopté malgré le boycott d’une centaine de députés de l’opposition, le nouveau texte prévoit que l’élection présidentielle, pour le moment fixée au 27 novembre prochain (voir encadré), ne comporte qu’un seul tour au lieu de deux. En clair, le vainqueur de la première manche sera le vainqueur tout court. Même au coude-à-coude, le numéro deux n’aura pas de seconde chance.
Malgré une combativité affichée, les nouvelles règles du jeu laissent perplexes les principaux candidats de l’opposition. Doivent-ils adopter une stratégie de candidature unique face à Joseph Kabila ? C’est, à première vue, l’option de la sagesse, car elle permettrait d’opposer l’adversaire le plus fort qui soit au chef de l’État sortant. Mais l’option du risque est encore loin d’être écartée : que chacun se présente, sûr qu’il est de pouvoir l’emporter face à un président desservi par son bilan, quitte à risquer une dispersion des voix.
Candidat déclaré, Étienne Tshisekedi se voit en rassembleur. Lors d’une conférence de presse, le 20 février, le président de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) a lancé « un vibrant appel à toutes les forces de l’opposition pour s’unir autour de [lui] ». À 79 ans, le « Sphinx de Limete » – son surnom, qui renvoie à la commune de Kinshasa, où il réside – entend conserver son statut d’opposant en chef, construit sous le « règne » de Mobutu Sese Seko. « Sa lutte de trente ans fait de lui une personnalité à aura nationale et internationale, dit son directeur de cabinet et porte-parole de l’UDPS, Albert Moleka. Au niveau de l’opposition, il est le seul candidat qui puisse battre Kabila. » Soucieux, toutefois, de ne pas faire passer Étienne Tshisekedi pour un autocrate, Albert Moleka ajoute cette nuance : « Une candidature unique, nous ne sommes pas contre, mais l’UDPS s’est toujours battue pour la pluralité. »
Un mariage de raison
L’appel du « Sphinx » n’emballe pas le Mouvement de libération du Congo (MLC). « Étienne Tshisekedi est une personnalité qui appartient au passé, estime François Muamba, secrétaire général du parti et ancien de l’UDPS. Il veut achever une œuvre alors que le Congo a besoin d’en commencer une. » Avec 64 députés et 17 sénateurs, le MLC est le premier parti d’opposition. Forts de ce statut, de nombreux cadres n’accepteraient pas de voir leur formation s’effacer devant l’UDPS, absente du Parlement pour avoir boycotté les élections de 2006. « Ce que les cadres attendent du MLC, c’est l’affirmation de notre leadership, poursuit François Muamba. Nous avons toujours été sur le terrain. Nous avons fait la guerre, négocié la paix, participé à la transition, nous sommes allés à une élection ! » Le secrétaire général du MLC reconnaît cependant la nécessité d’un « mariage de raison » au sein de l’opposition.
Mais une crise de paternité empêche le parti de prétendre incarner une candidature unique. Accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, son fondateur et chef charismatique, Jean-Pierre Bemba, comparaît devant la Cour pénale internationale depuis novembre dernier. Son procès pourrait avoir pris fin en novembre prochain, mais une procédure d’appel – quel que soit le verdict – devrait maintenir Bemba en détention. En l’absence de condamnation définitive, le Chairman peut en théorie se présenter à la présidentielle. Depuis sa cellule, à La Haye, il communique avec des proches qui laissent planer cette éventualité. Mais, derrière les barreaux, Jean-Pierre Bemba serait alors un candidat fantôme.
Le MLC doit désigner son candidat lors de son congrès, prévu en avril. Si Jean-Pierre Bemba est déclaré « empêché », François Muamba, président par intérim, prendra la relève. Mais ce dernier, moins charismatique que le numéro un du MLC et originaire du Kasaï oriental, fief incontesté d’Étienne Tshisekedi, ne peut jouer les dénominateurs communs à l’échelle de l’opposition. Quant aux fans, ils pourraient provoquer une division au sein du parti si « Jean-Pierre » n’était pas désigné candidat.
Pas le droit à l’erreur
Troisième prétendant, Vital Kamerhe n’affiche pas d’intentions de prendre les rênes des anti-Kabila dans la course électorale. Son arrivée dans le camp adverse est récente. Jusqu’en mars 2009, cet ancien directeur de campagne de l’actuel chef de l’État présidait l’Assemblée nationale. Tombé en disgrâce pour avoir dénoncé une opération militaire conjointe avec le Rwanda – dont il n’avait pas été informé –, il a créé son parti, l’Union pour la nation congolaise, et rejoint l’opposition. Son charisme y est reconnu, mais il doit encore construire son aura d’opposant face à un Tshisekedi ou au MLC. Il reconnaît que « l’opposition n’a pas droit à l’erreur ». Il en appelle à une union de l’opposition mais refuse de « personnaliser ». Ses préconisations : une entente autour d’un « socle commun de priorités », qui permettra ensuite de définir un « partage des tâches ». « C’est seulement à partir de cette étape que nous pourrons dire c’est celui-là ou celui-ci », ajoute-t-il. Vital Kamerhe n’exclut pas qu’il y ait dans un premier temps « plusieurs candidats de l’opposition », puis « qu’ils se réunissent un mois avant le scrutin pour en choisir un ». Un moyen, selon lui, de prendre l’adversaire de court. « Chaque candidat doit être disposé à coopérer », explique-t-il. Les 20 et 21 février, Vital Kamerhe a rencontré Étienne Tshisekedi. Et de préciser : « Je suis en pourparlers avec Jean-Pierre Bemba et je vois aussi François Muamba. »
Président du Sénat et membre de l’opposition, Léon Kengo wa Dondo observe à distance et s’interroge. L’ancien Premier ministre de Mobutu pourrait lui aussi être candidat. « Sa décision n’est pas prise, dit un proche, il n’y a encore ni loi électorale, ni calendrier, ni certitude sur la sécurisation du scrutin ! » Originaire de la province de l’Équateur comme Jean-Pierre Bemba, il pourrait profiter de la mise hors jeu de ce dernier. Mais, selon la même source, « une candidature unique n’est pas une nécessité. Si Kabila a fait la révision constitutionnelle, c’est qu’il n’est pas sûr de l’emporter ». Le président du Sénat attend que les règles du jeu soient fixées pour se prononcer, tandis que les candidats déclarés hésitent à remiser leurs ambitions personnelles. « Il y a une prise de conscience et une confiance à construire », résume un observateur.
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