mercredi 24 novembre 2010

R.D.C. - Jean-Pierre Bemba ou l'archétype de l'entrepreneur politique africain des années 1990

(Le Monde 24/11/2010)

Avec Jean-Pierre Bemba, 48 ans, qui comparaît depuis lundi 22 novembre à La Haye devant la Cour pénale internationale (CPI), ce n'est pas seulement un redoutable chef de guerre congolais qui est jugé pour "crimes de guerre et crimes contre l'humanité".
L'homme à la carrure imposante est tombé de haut : en novembre 2006, il avait obtenu 42 % des voix à l'élection présidentielle en République démocratique du Congo (RDC). Mais plutôt qu'un tranquille candidat, "Jean-Pierre", comme disent ses partisans congolais, est l'archétype de l'entrepreneur politique africain des années 1990. Comme Charles Taylor au Liberia, il a fondé un mouvement politique adossé à une armée à base ethnique dans un but précis : protéger ses intérêts d'homme d'affaires.
UN HÉRITIER
Raconter sa vie revient à évoquer deux décennies de l'histoire récente et violente du plus grand pays francophone du monde, le Zaïre devenu RDC en 1997. Jean-Pierre Bemba est d'abord un héritier. Son père, Jeannot Bemba Saolana, un métis de Portugais originaire de la province de l'Equateur (nord-ouest du pays) fut un homme d'affaires puissant et un baron du régime zaïrois du général Mobutu Sese Seko (1965-1997). Le fils à papa élevé en Belgique – l'ancienne puissance tutélaire –, se lance dans les affaires à la fin des années 1980.
Diplômé d'une grande école de commerce bruxelloise, il choisit bien ses créneaux (téléphone portable, télévision) et trouve naturellement sa place dans les hauts cercles du pouvoir mobutiste. Sa sœur épouse un fils du tout puissant général.
ATROCITÉS ET CAMPAGNE DE TERREUR
Mais l'époque est celle de la décrépitude d'un pays longtemps paradis de l'argent facile pour la nomenklatura qui pille allègrement les immenses richesses du pays en laissant la grande masse de la population dans la misère.
Lorsqu'en 1997, Kinshasa tombe aux mains de Laurent-Désiré Kabila soutenu par le Rwanda et l'Ouganda, Jean-Pierre Bemba s'exile. Mais l'année suivante, il passe à l'offensive, profitant du retournement du président ougandais Yoweri Museveni. Le businessman endosse subitement le treillis et crée sa milice armée, le Mouvement de libération du Congo (MLC) financé par le régime Museveni et adossé à la province de l'Equateur, bastion du mobutisme.
A la surprise générale, il conquiert une large partie du territoire, pillant les richesses locales – diamant, or, café – pour financer ses offensives. Soutenu par Ange-Félix Patassé, président de la Centrafrique voisine, Jean-Pierre Bemba n'hésite pas à aller lui prêter main-forte lorsqu'il est menacé par des rébellions. C'est là que se situent les atrocités qui lui valent aujourd'hui de comparaître devant la CPI. En 2002 et 2003, le MLC se livre à une campagne de terreur pour protéger le régime centrafricain menacé par le général François Bozizé.
"Jean-Pierre Bemba a sciemment permis aux 1 500 hommes qu'il commandait de commettre des centaines de viols, des centaines de pillages", a résumé lundi le procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo. Ces exactions se traduisent par plusieurs centaines de morts mais la guerre est perdue. Le général Bozizé prend le pouvoir et il y est toujours aujourd'hui. C'est lui qui saisira la CPI en 2004.
UNE ARMÉE D'ENFANTS DES RUES
A cette époque, Bemba a repris ses habits civils d'entrepreneur politique. L'interminable guerre congolaise s'est achevée en 2003 par un accord de paix qui, pour le faire rentrer dans le rang, lui a accordé l'un des quatre postes de vice-président autour du président provisoire, Joseph Kabila, le fils de Laurent-Désiré Kabila assassiné en 2001.
En 2006, Jean-Pierre Bemba affronte Joseph Kabila dans la rue et dans les urnes. Très populaire dans la capitale, Kinshasa, où une armée d'enfants des rues est à son service, il perd cependant l'élection au plan national. Elu simple sénateur mais redoutable chef de l'opposition, il refuse de désarmer sa milice. Après des affrontements meurtriers au centre de Kinshasa, il est contraint à l'exil, en avril 2007, au Portugal et en Belgique où il possède de somptueuses propriétés.
C'est à Bruxelles que son passé de chef milicien le rattrape lorsqu'il est interpellé, en 2008, en vertu d'un mandat d'arrêt émis par la CPI. Incarcéré à la prison de Scheveningen aux Pays-Bas, il est le troisième chef de guerre congolais à comparaître devant la juridiction de l'ONU dont le siège est à La Haye. Ses avocats dénoncent "une enquête bâclée et partiale".
Son procès, qui doit durer plusieurs mois, l'empêchera de prendre sa revanche sur Joseph Kabila lors de la présidentielle en RDC prévue dans le courant de l'année 2011.
Philippe Bernard

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