vendredi 26 novembre 2010

Egypte - Les Frères musulmans sous la pression du pouvoir

(Le Figaro 26/11/2010)
Le régime est déterminé à faire perdre au mouvement islamiste - interdit, mais toléré -son statut de principal groupe d'opposition au Parlement.
«Il faut faire vite avant que la police intervienne.» Entouré de son équipe de campagne, Mohammed el-Beltagui jaillit de la voiture et salue au pas de charge commerçants et clients des cafés populaires. Poignées de main, embrassades, encouragements. À quelques jours des législatives, l'accueil des habitants de Mit Namma, village semi-rural déshérité du gouvernorat d'al-Qalyubia, dans le delta du Nil, est plutôt chaleureux pour le candidat des Frères musulmans. «C'est un homme honnête. Il n'a pas peur et on le respecte pour cela», glisse un menuisier au passage du cortège qui sillonne les rues défoncées du village.
Mohammed el-Beltagui est ici en terrain conquis. En 2005, ce médecin a été élu député au premier tour, en capitalisant sur les œuvres sociales et la réputation d'intégrité de la confrérie. «La porte de son cabinet est ouverte à tout le monde, sans wasta ( piston), il fait beaucoup de bien», assure une habitante dont il a opéré la fillette gratuitement. L'année de son élection, Mohammed el-Beltagui a surtout profité du climat de relative ouverture politique concédée par le régime égyptien, sous la pression des États-Unis. La confrérie, dont les candidats se présentent sous étiquette indépendante, en a été le principal bénéficiaire en remportant un cinquième des sièges, le meilleur résultat de son histoire.
«À l'époque, décrypte le militant des droits de l'homme Bahey el-Din Hassan, le régime avait besoin des Frères musulmans pour convaincre la communauté internationale qu'il n'y avait pas d'autre alternative que les islamistes. Mais le vote protestataire leur a permis d'obtenir des résultats bien meilleurs qu'attendu.»
«L'islam est la solution»
Ce scénario est «une erreur qui ne se reproduira pas», a prévenu il y a quelques jours le ministre des Affaires parlementaires, Moufid Chéhab. Depuis sa percée électorale, la confrérie a de fait été soumise à une sévère répression. Des milliers de ses membres, dont plusieurs dirigeants importants, ont été emprisonnés, de nombreux avoirs financiers gelés. Les divisions internes ont en outre affaibli le mouvement islamiste, qui ne présente cette année que 140 candidats, une quarantaine de moins qu'en 2005.
Le contexte international a aussi changé depuis la victoire du Hamas aux législatives palestiniennes de 2006. Si le département d'État américain vient de critiquer dans un rapport «l'oppression» des Frères musulmans, rares sont en effet les Occidentaux qui plaident pour un rôle politique des islamistes.
Depuis le début de la campagne électorale, le pouvoir égyptien a donc accentué la pression sur la confrérie, accusée d'utiliser un slogan religieux interdit, «l'islam est la solution». Après la dispersion brutale de rassemblements électoraux, le week-end dernier à Alexandrie et dans le delta du Nil, et l'arrestation de centaines de ses partisans, Saad el-Katatni, le chef du bloc parlementaire islamiste, a dénoncé une «campagne de terreur» destinée, selon lui, à dissuader les Égyptiens de voter pour les Frères musulmans. L'organisation Human Rights Watch a dénoncé de son côté une «répression systématique» et Amnesty International a appelé à la fin des «mesures de harcèlement et d'intimidation».
«On ne s'attendait pas à toute cette violence», assure Mohammed el-Beltagui, dont la salle d'attente reçoit ces jours-ci davantage de journalistes que de patients. «Depuis la suppression du contrôle des juges, on savait que le processus électoral ne remplissait plus aucun critère d'honnêteté. On pensait donc que le régime allait utiliser la manière douce pour truquer les résultats. Mais ce n'est pas la méthode qu'il a choisie.»
Deux options autoritaires
Le député islamiste en a fait l'expérience. La semaine dernière, alors qu'il réunissait ses partisans dans un café, les services de sécurité ont fait irruption en plein meeting électoral, détruit chaises et écran géant, et embarqué le propriétaire. À Mit Namma, en revanche, la police ne s'est pas montrée. Mais les Frères musulmans n'ont pu éviter une confrontation qui a failli dégénérer avec des partisans de Megahed Nassar, leur principal adversaire du PND. Un groupe de jeunes a harcelé pendant plusieurs minutes le cortège, l'un d'eux armé d'une bombe aérosol transformée en lance-flammes, un autre fonçant dans la foule à moto.
«C'est leur tactique habituelle», affirme Khaled Tantaoui, membre de l'équipe de Mohammed el-Beltagui. «Ils essaient de créer des violences pour que la presse officielle puisse écrire que nous sommes des terroristes.» «Dimanche, ce sera pire, ajoute-t-il, car cela leur servira de prétexte pour fermer les bureaux de vote. Ils savent que si les gens peuvent voter, ce sera pour nous…»
Ce bras de fer laisse beaucoup d'Égyptiens désabusés. «De quel genre de bataille parle-t-on quand les deux seuls choix sont autoritaires par nature ?», s'interroge le chroniqueur Ahmed el-Sawi dans le journal indépendant al-Masry al-Youm. «D'un côté le PND et son arsenal sécuritaire, légal, administratif et médiatique prêt à tout pour gagner (…), de l'autre les Frères musulmans qui refusent de répondre aux inquiétudes du public sur leur position par rapport à la démocratie et aux droits des minorités, en particulier des coptes», au moment où les tensions interconfessionnelles s'aggravent dans le pays.
Par tangi salaun
26/11/2010
Scrutin annulé dans 24 régions
La justice a ordonné l'annulation du scrutin législatif de dimanche dans 24 circonscriptions au total à travers l'Egypte, ses demandes de rétablir des candidats invalidés ayant été ignorées.
Des tribunaux administratifs ont décidé que l'élection ne pourrait se tenir dans douze circonscriptions des gouvernorats de Kafr el-Cheikh et Qalyoubiya, dans le delta du Nil, et dans deux circonscriptions des gouvernorats de Sohag et Assiout, en moyenne-Egypte.
L'Egypte est divisée en 254 circonscriptions, qui comptent deux sièges de députés chacune.
Ces annulations s'ajoutent à celles déjà prononcées mercredi pour dix des onze circonscriptions d'Alexandrie (nord), la deuxième ville du pays.
Ces décisions de justice vont toutefois probablement être suspendues, en raison de recours de la part du Parti national démocrate (PND) au pouvoir.
Un grand nombre des candidats invalidés par la haute commission électorale sont soutenus par les Frères musulmans ou sont des indépendants.
Les Frères musulmans, bête noire du pouvoir, soutiennent 130 candidats au total. Ils dénoncent une vaste campagne d'obstruction et de répression à l'approche du scrutin, avec l'arrestation de plus d'un millier de leurs militants.
Le PND a annoncé jeudi qu'il demandait à la justice d'invalider les candidats soutenus par la confrérie, officiellement interdite, au motif qu'ils se présentent comme des "indépendants" pour pourvoir valider leur candidature.
Les Frères musulmans avaient remporté un cinquième des sièges de députés en 2005. Le PND du président Hosni Moubarak s'apprête à conserver son emprise sur l'Assemblée du peuple lors du scrutin à deux tours, le 28 novembre et le 5 décembre.

(AFP 10h29)
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