Lagos - Ileowo Kikiowo est à la tête d'une petite entreprise de
communication numérique. Comme partout dans le monde, celle-ci a besoin
d'électricité pour fonctionner, mais à Lagos, capitale financière de la
première économie d'Afrique, cela relève du casse-tête.
Le pays
ne produit qu'1,5% de l'électricité dont auraient besoin ses quelque 173
millions d'habitants : un des plus épineux dossiers qu'affronte le
nouveau président Muhammadu Buhari.
Plus de 70% de mes dépenses passent dans l'électricité, explique Ileowo
Kikiowo, 28 ans, qui a dû investir dans de coûteux générateurs
électriques, dépense des sommes astronomiques en diesel et doit quand
même régler sa facture d'électricité à la fin du mois, en échange d'un
service quasi nul.
Le secteur de l'électricité a été malmené
pendant des décennies au Nigeria, par la corruption, les conflits
d'intérêts et une gestion calamiteuse.
La privatisation d'une
grande partie de la compagnie nationale d'électricité PHCN en 2013 a
soulevé de nombreux espoirs. Mais le projet, qui a absorbé des milliards
de dollars et abouti à la création de 17 sociétés privées, n'a pas
permis d'améliorer la situation pour l'instant. Pire, le pays produit
moins d'électricité aujourd'hui qu'avant la réforme.
Les
Nigérians ont donc été contraints d'investir dans des générateurs
électriques, qui ronronnent dans le pays entier, jour et nuit.
- Santé publique et sécurité -
A
Lagos, les engins crachent leur épaisse fumée noire dans les rues déjà
congestionnées par des embouteillages incessants, rendant l'air parfois
irrespirable - un véritable problème de santé publique.
Le manque
d'électricité a aussi tué de nombreux petits boulots, dans une ville où
une grande partie de la population dépend du commerce informel.
Kola
Balogun, par exemple, a dû fermer son échoppe de soudure à cause des
dettes et conduit désormais un taxi-moto dans les faubourgs de la ville.
Je collectais de l'argent des clients, mais je n'avais pas
d'électricité pour mener à bien les commandes, explique-t-il dans un
rapport sur le sujet écrit par l'urbaniste Lookman Oshodi.
Je me
suis résolu à louer un générateur pour pouvoir travailler, mais
malheureusement, l'argent que je recevais des clients n'était pas
suffisant pour couvrir la location du générateur, poursuit-il.
Selon
l'Association des fabricants du Nigeria, environ 40% des coûts de
production sont alloués à l'électricité dans le pays, contre à peine 10%
- voire moins - dans les pays développés.
Le manque d'éclairage public contribue aussi à l'insécurité, l'obscurité étant propice à la criminalité.
Dans
le quartier populaire d'Oshodi, à Lagos, un homme grimpe sur une
échelle pour fixer une lampe en haut d'un pylône, sous le regard
intrigué des enfants de la maison voisine.
Cet homme est bénévole
pour une association caritative fondée par Bode Edun, un jeune homme
originaire du quartier qui a décidé d'installer des lampadaires dans les
rues les plus sombres, et de les relier aux générateurs des églises,
des mosquées, et des habitants qui ont donné leur accord au préalable.
Là où il y a de la lumière, il y aura plus de sécurité, et moins de cas de viol et de vol à main armée, explique Bode Edun.
- Energies renouvelables ? -
Le
président Buhari, investi le 29 mai, a fait du redressement du secteur
de l'électricité une des priorité de son mandat de quatre ans. Mais le
défi va être difficile à relever.
Selon M. Oshodi, un des grands maux de ce secteur est sa forte dépendance au gaz.
De
nombreuses centrales d'électricité ont dû fermer parce qu'il n'y avait
pas de gaz pour les faire tourner, dit-il. Si nous avions des énergies
renouvelables (...) on ne serait pas aussi dépendant d'un seul produit
poursuit-il.
Aussi un fond de stabilisation de plus de 200
milliards de nairas (890 millions d'euros) a été alloué à ce secteur,
pour encourager les investissements dans des centrales électriques
notamment, mais tout le monde craint que cette nouvelle manne financière
ne s'évapore à son tour.
Il va falloir surveiller ce fond de près afin qu'il ne connaisse pas le même sort que les autres, prévient M. Oshodi.
En
attendant, les Nigérians continueront à s'appuyer sur le système D pour
pallier aux nombreuses pannes d'électricité quotidiennes.
La capacité que nous avons de survivre dans le chaos est assez fascinante, sourit Ileowo Kikiowo.
romandie.com
(©AFP / 17 juin 2015 12h16)
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