lundi 15 juin 2015
RD Congo : Il faut exhumer les corps enterrés dans une fosse commune
(Kinshasa, le 8 juin 2015) – Les autorités de la République démocratique du Congo devraient sans tarder et de manière appropriée exhumer les corps enterrés dans une fosse commune qui pourrait contenir les cadavres de victimes de disparitions forcées ou d’exécutions commises par les forces de sécurité congolaises, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Le 5 juin 2015, les familles de 34 victimes ont déposé une plainte publique auprès du Procureur général de la République, réclamant justice et l'exhumation des corps inhumés dans cette fosse, située à Maluku, dans une zone rurale à environ 80 kilomètres de la capitale, Kinshasa. Des habitants de cette zone, des dirigeants de l'opposition, la mission de maintien de la paix des Nations Unies en RD Congo (MONUSCO) et des organisations de défense des droits humains, dont Human Rights Watch, ont exprimé leur préoccupation au sujet de l’inhumation massive effectuée de nuit le 19 mars à la lisière du cimetière de Fula-Fula à Maluku, à laquelle des membres des forces de sécurité gouvernementales ont participé. Le gouvernement n'a ni exhumé les dépouilles ni révélé les identités des personnes enterrées. « Deux mois après la découverte de la fosse commune à Maluku, les autorités congolaises n'ont toujours pas fait la lumière sur l'identité des personnes qui y sont enterrées », a déclaré Ida Sawyer, chercheuse senior sur l'Afrique à Human Rights Watch. « Les familles de victimes de violations des droits humains ont le droit de savoir si leurs proches sont parmi les personnes ensevelies dans cette fosse. » Les autorités devraient effectuer immédiatement une opération d'exhumation en bonne et due forme, avec l'aide d'experts internationaux, a déclaré Human Rights Watch. Des gouvernements étrangers, ainsi que les Nations Unies, devraient appuyer cette investigation, y compris en fournissant des experts en médecine légale qui seraient chargés d'aider à exhumer les corps et d'effectuer des analyses d'ADN. Les circonstances inhabituelles de cet enfouissement de masse a accentué la crainte que ce cimetière soit utilisé pour dissimuler les corps de victimes d'abus commis par le gouvernement, a souligné Human Rights Watch. Une femme de Maluku a déclaré à Human Rights Watch que le 19 mars vers 2h00 du matin, alors qu'elle rentrait chez elle à pied d'une veillée de nuit dans son église, elle a vu un gros camion à benne entrer dans le cimetière de Fula-Fula. Elle a affirmé que plus d'une dizaine d'hommes en uniforme militaire se trouvaient à bord du camion, ainsi que d'autres en tenue civile, et qu'une grande bâche blanche recouvrait le contenu du camion. Le propriétaire d’un champ situé à côté du cimetière a déclaré que le 19 mars vers 5h00 du matin, il a vu un gros camion à benne et des hommes qui pelletaient de la terre à la limite du cimetière. Quand il est retourné à son domicile ce matin-là, des hommes qui lui ont paru appartenir aux services de renseignement l'ont accosté et lui ont demandé ce qu'il avait vu au cimetière. Au cours des jours et des semaines suivants, des hommes non identifiés se sont présentés à son domicile à au moins quatre reprises, puis sur son lieu de travail, où ils l'ont accusé d'avoir « divulgué le secret » au sujet de la fosse commune. Début avril, il a reçu un appel téléphonique d'un inconnu qui lui a dit: « Toi, attends. Tu vas mourir. » La découverte de la fosse commune est survenue dans un contexte de tensions politiques croissantes et d'une répression de plus en plus sévère à l'encontre d'activistes, de dirigeants politiques et d'autres personnes qui se sont opposées aux tentatives visant à permettre au président congolais, Joseph Kabila, de se maintenir au pouvoir au-delà de la limite de deux mandats imposée par la constitution, son second mandat se terminant fin 2016. Le 3 avril, Évariste Boshab, vice-Premier ministre et ministre de l'Intérieur de la RD Congo, a annoncé, lors d'une réunion avec d'autres officiels de haut rang du gouvernement et des forces de sécurité, des représentants de Human Rights Watch et de la MONUSCO ainsi que des journalistes congolais, que 421 corps avaient été inhumés dans la fosse commune. Il a affirmé que cette inhumation était une « procédure normale » et que les dépouilles étaient celles d'indigents dont les familles n'avaient pas les moyens de financer un enterrement classique, de personnes décédées non identifiées et de bébés morts-nés. Toutefois, des responsables de la Croix-Rouge congolaise ainsi que des employés d'hôpitaux et de morgues ont affirmé à Human Rights Watch que cet enterrement massif n'était pas une procédure normale. Ils ont indiqué que la pratique habituelle concernant les bébés morts-nés était de les enterrer le même jour ou dans les deux jours suivant le drame, soit souvent dans des endroits réservés dans l'enceinte de l'hôpital, soit par les familles elles-mêmes dans un cimetière. Les corps de personnes indigentes et les cadavres non identifiés sont habituellement inhumés de jour dans des cercueils bon marché lors d'un enterrement digne dans l'un des cimetières de Kinshasa, si personne ne réclame le corps après l'annonce publique de sa découverte. Évariste Boshab a affirmé, lors de la réunion du 3 avril, que si des doutes subsistaient sur les identités des personnes enterrées dans la fosse, les corps seraient exhumés. Le ministre de la Justice, Alexis Thambwe Mwamba, qui participait à cette réunion, s'est fait l'écho de l'engagement de son collègue de faire exhumer les corps en cas de tels doutes. Ghislain Mwehu Kahozi, un procureur de la république qui dirige une enquête judiciaire sur la fosse commune, a déclaré le 11 mai à Human Rights Watch que 12 familles de personnes présumées tuées ou victimes de disparitions forcées aux mains des forces de sécurité en 2013 et 2014 avaient individuellement déposé des plaintes en justice réclamant l'exhumation des corps. Il a indiqué que son équipe s'efforçait d'obtenir confirmation des allégations avant de prendre une décision. Le procureur a affirmé que le site était bien protégé. Cependant, Human Rights Watch s'est rendu sur place dans l'après-midi du 11 mai et a trouvé le site désert et non gardé. Le site était délimité par une clôture de bois rudimentaire et un cordon de police, peu susceptibles de décourager quiconque aurait l'intention d'altérer les lieux. « Le nombre croissant de plaintes en justice déposées par des familles dont certains membres ont disparu souligne qu'il est urgent d'exhumer le contenu de cette fosse commune », a affirmé Ida Sawyer. « Le gouvernement congolais devrait honorer sa promesse d'exhumer les corps et donc protéger adéquatement la fosse en attendant. » Le décès dans des conditions suspectes, la nuit de l'inhumation de masse, d'un infirmier responsable d’une morgue de Kinshasa, soulève selon Human Rights Watch des préoccupations supplémentaires. Dans la soirée du 18 mars, Claude Kakese, qui avait fini une formation en thanatologie et qui était chargé de la morgue de la clinique Ngaliema, l’un des principaux hôpitaux de Kinshasa, est décédé dans des circonstances suspectes dans ce qui a été présenté comme un accident de la route à quelques kilomètres de l'aéroport de Ndjili, sur la route de Maluku. Un de ses collègues a déclaré à Human Rights Watch que Kakese avait la réputation de fournir des informations exactes sur les causes des décès des personnes dont les corps étaient apportés aux morgues de Kinshasa. Sa famille pense que sa mort est liée à l'inhumation de masse à Maluku. Le lendemain, une station locale de télévision a affirmé que Kakese était mort dans un accident causé par la conduite en état d'ivresse et qu'une bouteille de whisky avait été trouvée dans sa voiture. Mais un témoin arrivé sur les lieux peu après l'accident a affirmé à Human Rights Watch que des militaires de la Garde républicaine avaient entouré la voiture de Kakese et qu'il n'y avait pas de bouteille d'alcool. Ce témoin a précisé que les militaires avaient donné des versions contradictoires des causes de l'accident. Il a affirmé avoir vu le corps de Kakese gisant sur les deux sièges à l'avant de la voiture, avec ce qui ressemblait à une blessure par balle sous le menton. Des membres de la famille de Kakese ont affirmé avoir constaté une blessure similaire lorsqu'ils ont vu son corps à la morgue. Les autorités congolaises devraient faire effectuer une enquête indépendante et impartiale sur les circonstances de la mort de Kakese et poursuivre en justice quiconque pourrait en être responsable, a affirmé Human Rights Watch. La plainte conjointe déposée par des familles le 5 juin concernait des familles de personnes qui ont été exécutées sommairement ou victimes de disparitions forcées aux mains des forces de sécurité, lors de manifestations à Kinshasa en janvier 2015 visant à protester contre des propositions de modifier la loi électorale congolaise. Parmi les autres signataires de la plainte conjointe figuraient des membres des familles de personnes exécutées sommairement ou disparues de force lors de l'« Opération Likofi », une campagne abusive de la police de Kinshasa en vue de neutraliser des bandes criminelles organisées, de novembre 2013 à février 2014. « Le climat politique en RD Congo à l'approche des élections de 2016 devient de plus en plus répressif », a conclu Ida Sawyer. « Les partenaires internationaux de ce pays devraient s'efforcer d'empêcher de nouvelles escalades de la violence et insister pour que les responsables de violations des droits humains soient amenés à rendre des comptes devant la justice. » Les manifestations de janvier 2015
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire