jeudi 16 avril 2015

L’Afro-muppie, une working-girl hyperconnectée

LE MONDE
Sarah Diouf, 27 ans,  créatrice du magazine "Noir" .
Sarah Diouf, 27 ans, créatrice du magazine "Noir" . Crédits : Vincent MACHER
Militante numérique dans l’âme, fan de la série « Scandal », entrepreneuse, avocate, journaliste ou encore étudiante, l’Afro-muppie (contraction d’afro et de muppie) se distingue par ses combats, ses habitudes et ses origines. Boudée par la presse traditionnelle, elle fait d’Internet une plate-forme privilégiée pour s’exprimer, s’inventer et/ou se réaliser. Elle s’identifie à des femmes de pouvoirs afro-américaines et remet l’Afrique au cœur du débat.
Hyper-connectée, alternative et souvent incomprise, l’Afro-muppie s’impose sans jamais se démonter. Le terme muppie désigne cette génération de femmes actives en phase avec le numérique, marque ambulante et ambassadrice du « bien dans sa tête, bien dans son job ».
Inventée par l’auteure américaine Michelle Miller, la muppie bouffe des burgers végétariens, mate « Girls », passe un temps fou sur les e-shop et se rêve d’un destin à la Sophia Amaruso, fondatrice de la boutique en ligne Nasty Gal et auteure du bouquin à succès #Girlboss. Cette appellation illustre à merveille la conception fantasmée et immaculée de cette nouvelle tribu citadine.

Un nouveau marché pour les annonceurs

Ne suivant par les règles du muppisme à la lettre comme manger bio, « faudrait voir si les ingrédients du thieboudienne ou de la sauce graine remplissent les critères », ou le « salut quotidien au soleil », l’Afro-muppie n’hésite pas à regarder la société française droit dans les yeux et s’inscrit dans cette mouvance qui consiste à bousculer les diktats imposés. Exister, oui, mais selon ses termes, c’est encore mieux ! Ayant permis la démystification de ce public, en donnant aux annonceurs un nouveau marché à se mettre sous la dent, les blogueuses afro ont perdu ce-je-ne-sais-quoi de révolutionnaire.
Croulant sous les milliers de followers, les ambassadrices de l’esthétisme noir à la française se sont laissées happer, entre deux selfies, par la spirale de l’autopromotion. Cette montée en puissance des blogs à destination de la communauté noire n’est pas insignifiante mais encore insuffisante. Face à ce défaut de profondeur dans les contenus, Anita Grant, 29 ans, avocate au barreau de Paris et auteure du blog Kidjiworld s’est délibérément tournée vers d’autres médias et avoue prendre plaisir « à lire la presse étrangère et des blogs tenus par des femmes noires »« Chercher l’information » ne suffit plus, il est devenu primordial « de la créer ».
C’est l’action entreprise par Sarah, 27 ans, créatrice de Noir Magazine, en 2012, « à la suite d’une convalescence forcée, j’ai créé mon premier magazine Ghubar », rédigé en anglais, méconnu du grand public et jouissant d’une réputation d’estime. « En pleine explosion de la blogosphère, j’ai voulu faire quelque chose d’un peu moins personnel et de plus consistant qu’un blog », avoue-t-elle. Sarah reconnaît que « sans Internet, je n’aurais pas pu créer, ni promouvoir mon premier magazine et ainsi exposer mon travail. Je suis un pur produit de l’ère numérique » et précise, quand même, qu’elle n’est « pas cloîtrée dans une dimension fictive ».

Une niche à exploiter

Dans cette configuration toute en nuances, la notion d’entreprenariat prend une dimension considérable. Au-delà de la vision mercantile, l’Afro-muppie se reconnaît par son militantisme naturel et entrevoit ce manque de visibilité typique comme une niche à exploiter. Dans cette société en mutation, « il faut laisser le temps aux choses de se faire naturellement, mais en parallèle créer des initiatives. C’est ce qui dynamise et influence le marché. »
« Investir son énergie autre part, en créant des plates-formes, des supports pour promouvoir la beauté noire et créer une présence plutôt que de se focaliser sur l’absence », une solution que désire apporter Sarah par le biais de Noir : « un magazine de mode, de beauté et de life style pour la femme NOIR - sans e ».
Un second essai acclamé par le fameux Fashion Bomb Daily, le blog de la journaliste américaine de mode, Claire Sulmers, Afro-muppie décomplexée. Sex appeal, féminité et pouvoir... Olivia Pope, Annalise Keating, Jessica Pearson et la dernière en lice, Cookie Lyon séduisent par leur capacité à allier le tout avec classe. Ce n’est pas anodin si même dans le divertissement les personnages favoris de l’Afro-muppie sont l’incarnation de la femme battante, courageuse et imperturbable.

« Noire, talentueuse et charismatique »

La « manageuse » de crise Olivia Pope interprétée par Kerry Washington détient une sympathie sans égale. Julia Mundele, 25 ans, fondatrice de JM Communication, affirme qu’elle est l’archétype de « la femme intelligente et diplomate ». Anita apprécie « le fait que le personnage principal soit une femme noire talentueuse et charismatique. Toujours au top dans son job jusqu’à en devenir névrosée... »
Il y a tout de même une réserve : « Ce n’est que la maîtresse du président, qui ne quittera sa femme pour rien au monde ! » Dans le même sillage, l’ex-détenue incarcérée pour trafic de drogue et ex-femme d’un dealer reconverti en PDG dans l’industrie du hip-hop détonne avec ses tenues clinquantes et son attitude « ghetto ». La star d’« Empire » brillamment jouée par l’actrice Taraji P. Henson, a déjà de nombreux fanatiques dont Julia qui raffole de « sa détermination à se battre et à obtenir ce qui lui revient de droit. »
Avocate de profession, Anita se reconnaît dans ces intrigues. « Je regarde pour le côté ambiance de bureau, avec les potins de couloirs, les problèmes d’ego entre lawyers et les clients que l’on doit satisfaire », dit-elle. Elle confesse s’être attachée au rôle de Viola Davis dans How to Get Away with Murder, car en plus d’être « la Big Boss, son histoire personnelle m’a énormément touchée ».

« Mes activités en Afrique »

Souffrant de malnutrition durant son enfance, elle a cru « malgré la dureté de sa réalité, en la force de ses rêves ». Née à Paris de parents immigrés africains, élevée « à Abidjan ou à Kinshasa » et biberonnée aux succes story made in US, l’Afro-muppie est « plurielle et plus que jamais universelle ». Elle tire pleinement les avantages provenant de cette situation auparavant désagréable.
Julia ne cache pas ses ambitions : « Oui, je souhaite entreprendre une carrière internationale et développer mes activités en Afrique ». Sur ce territoire inconnu, « il est indispensable d’avoir un réseau de contacts dans mon domaine d'activité car j'ignore encore leur fonctionnement et leur système. » Le domaine du droit n’est pas en reste : « Mon cabinet travaille actuellement en réseau avec la Côte d’Ivoire ».
Sarah visualise clairement son avenir sur le continent. « Je suis rentrée au Sénégal cette année pour créer ma société, Ifren Media Group, avec pour but de créer de nouveaux médias et des contenus pour une audience africaine, aujourd’hui globale, raconte-t-elle. C’est important pour moi que ce soit une société africaine, car je souhaite définitivement rentrer m’installer au cours des trois prochaines années. »
Engagée, idéaliste et certainement accro aux nouvelles technologies, l’Afro-muppie se connecte inlassablement à un autre réseau qui déconne rarement. « Mes parents, mes frères et mes amies occupent une place importante dans ma vie en ne cessant de me donner des conseils pour aller plus haut et plus loin ! », conclut Anita.
Ne se considérant plus seule mais au cœur du changement, le terme empower (encourager en anglais) prend avec l’Afro-muppie un sens particulier. Car livrée à elle-même, elle est sûrement sa pire ennemie.
Amanda Winnie Kabuiku
lemonde.fr/

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