En Guinée Conakry, au lendemain des violentes manifestations de rue qui ont marqué le retour de l’opposition sur la scène politique, Cellou Dallein Diallo et ses partisans enterrent leurs morts pendant que, de son côté, Alpha Condé et ses soldats essuient leurs armes et font le point de leurs munitions. Ainsi va la vie politique au pays du camarade Sékou Touré. C’est un rituel macabre auquel la classe politique guinéenne a habitué l’Afrique et le monde entier ; l’opposition politique et la majorité au pouvoir ne se parlent qu’à travers les manifestations de rue auxquelles répondent les militaires du pouvoir par le massacre de quelques militants de l’autre camp.
S’en suit une période de calme relatif pendant laquelle chaque camp développe des arguments pour justifier la mauvaise foi de l’autre. Puis le cycle reprend. A ce rythme, comment ne pas s’inquiéter pour l’avenir de ce pays qui est l’un des plus pauvres parmi les plus pauvres de la planète ? Une pauvreté, du reste, incompréhensible, quand on sait que le sous-sol de ce pays regorge de richesses inépuisables. Quels lendemains, les hommes politiques de ce pays lui réservent-ils ?
Le 19 avril dernier, les deux forces, l’opposition politique et le pouvoir, ont décidé d’enterrer la hache de guerre (pour combien de temps ?) et de se parler « les yeux dans les yeux ». Toutefois, l’opposition, fidèle à sa « ligne de communication », a déjà appelé ses militants à une reprise des manifestations. Manière de se montrer intraitable, ou volonté de mettre la pression sur Alpha Condé ? Aucune des deux hypothèses n’est absurde. Mais dans un cas comme dans l’autre, c’est toujours l’avenir de la Guinée, sa capacité à sortir un jour du sous-développement, qui est remis en cause. Suite à l’appel de l’Opposition, les principales rues de Conakry ont à nouveau été témoins d’échauffourées entre forces de l’ordre et manifestants favorables à l’opposition.
Aucune perte en vie humaine n’est heureusement à déplorer. En attendant de voir les résultats de cette rencontre, on peut déjà féliciter le gouvernement à qui revient le mérite de cette initiative de reprendre langue avec l’opposition. Pour faire jusqu’au bout la preuve de sa bonne foi, la délégation gouvernementale s’est d’ailleurs rendue au domicile même du chef de file de l’opposition, Cellou Dallein Diallo, pour « réitérer sa volonté de relancer le dialogue ». Il faut maintenant souhaiter que cet élan conduise enfin à la fin de la méfiance et au retour d’un climat apaisé, pour que le peuple guinéen puisse voir enfin le bout du tunnel dans sa quête d’un minimum de mieux-être.
Le président Condé devrait plus se comporter en homme d’Etat que comme le vieil opposant qu’il a longtemps été
Pour cela, il faut que chacun se garde de toute déclaration de nature à remettre le feu aux poudres. Dans cette optique, on peut déjà dire que l’appel lancé par l’opposition à ses militants pour une reprise des manifestations, est loin de contribuer à un apaisement du climat social. Dans le même ordre d’idée, il faut reconnaître que si la volonté affichée du gouvernement de rechercher une sortie de crise par le dialogue avec l’opposition est sincère, il devrait accepter de faire quelques concessions à l’endroit de l’opposition, en acceptant notamment de revoir le calendrier électoral qui constitue la principale pomme de discorde. Pour un pays dont la population manque du minimum indispensable non seulement à son développement, mais aussi à sa survie, les hommes politiques devraient avoir plus d’intelligence et de pudeur pour ne pas faire de leurs intérêts personnels la principale cause de leur lutte.
Le président Alpha Condé notamment, en tant que président de la République, devrait avoir plus à cœur de se comporter en homme d’Etat, préoccupé de conduire son peuple vers des lendemains heureux, plutôt que de se comporter comme le vieil opposant qu’il a longtemps été. La fébrilité dont fait montre Alpha Condé face à son opposition n’est pas du tout à son honneur. Pour un homme qui a revêtu pendant de longues années, le costume d’opposant, il faut reconnaître que le président Condé fait plutôt preuve d’un manque de vision politique. Mais pouvait-il vraiment avoir avec son opposition des rapports moins tumultueux ? Surtout quand les leaders de l’opposition actuelle se trouvent être les mêmes qui étaient au pouvoir et qui, en son temps, avaient fait de lui un éternel opposant ? Cela dit, Alpha Condé doit néanmoins prendre plus de la hauteur et mettre en avant l’intérêt du peuple guinéen.
Dieudonné MAKIENI
(Le Pays 22/04/15)
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