jeudi 16 avril 2015

Congo Brazzaville : le désintérêt des jeunes pour la politique

Par Noel Kodia.
La jeunesse du Congo-Brazzaville a connu un engagement politique avant et après les indépendances et surtout après la Révolution des 13, 14 et 15 août 1963 quand le pays a sombré dans le marxisme-léninisme. Aujourd’hui, cet engagement politique des jeunes laisse à désirer, surtout après la chute du mur de Berlin, lorsque le pays est entré dans l’ère de la démocratie pluraliste. Pourquoi cette désaffection ?
Quand on observe l’évolution de la jeunesse congolaise, les raisons de ce désintérêt sont de trois ordres : politique, économique et social.
Sur le plan politique, on constate d’abord les pratiques anti-démocratiques des soi-disant leaders politiques sensés donner l’exemple. Ces derniers fondent leurs partis ou mouvements politiques sur des bases essentiellement ethniques et régionales. Aussi parle-t-on des fiefs « imprenables » où les jeunes votent majoritairement pour leur candidat au moment des échéances électorales, faisant fi des programmes des candidats. En dehors du PCT (Parti Congolais de Travail) qui a un soubassement national hérité du monopartisme, les partis issus de la démocratie pluraliste comme l’UPADS (Union panafricaine pour la démocratie sociale) et le RDD (Rassemblement pour la démocratie et le développement) se basent respectivement sur l’électorat du sud pour l’un et du nord pour l’autre, leurs leaders étant originaires du sud pour le premier et du nord pour le second. Au Congo-Brazzaville et certainement dans d’autres pays comme la Centrafrique, le Mali, la Côte d’Ivoire et dernièrement le Nigeria, il existe une réalité politique fondée sur le clivage régional. Ce clivage n’encourage pas les jeunes à s’impliquer dans un projet politique national. Par ailleurs, ces mêmes partis politiques n’assurent pas leur fonction principale, à savoir l’encadrement et la mobilisation des jeunes pour une participation politique citoyenne. Au contraire leurs activités sont sporadiques, se limitant à l’approche des échéances électorales. Cette discontinuité et l’absence de proximité des partis politiques donnent le sentiment aux jeunes Congolais d’être pris pour des dupes, n’existant que pour donner leurs voix permettant aux politiques opportunistes de faire carrière. Parfois, ils reçoivent des incitations financières pour les encourager à participer à des meetings, des manifestations politiques et de propagande. Et quand ils viennent à s’investir dans un parti, ils sont souvent écartés des postes à responsabilité et confrontés à l’absence de méritocratie et d’égalité des chances dans la gestion interne de ces partis. Cette marginalisation éloigne les jeunes de la sphère politique.
L’économie africaine est apathique malgré le taux de croissance à deux chiffres que l’on ne cesse de brandir aux yeux des jeunes qui n’en voient pas l’impact sur leur vie quotidienne. Cette croissance provient de l’exploitation des ressources naturelles comme le pétrole, mais, paradoxalement, elle ne crée que peu d’emplois.
D’après l’ONEMO (Office national de l’emploi et de la main d’œuvre), le taux de chômage se situe en 2011 à 34,2% au Congo-Brazzaville et touche essentiellement les jeunes Congolais de 25 à 35 ans. Aussi, une grande partie d’entre eux est au chômage et constitue la classe des diplômés sans emploi, obligés de se rabattre sur l’informel. Difficile pour eux de s’intéresser à la politique quand ils se rendent compte que l’accès à l’emploi (notamment dans la Fonction publique) se fait ouvertement sur des bases arbitraires et discriminatoires. Comment les convaincre de s’impliquer en politique quand ils voient que le système économique des rentiers et des banques ne favorise pas l’accès à la propriété et au capital pour les jeunes entrepreneurs ? Face au verrouillage du système économique par les rentiers et certains proches du pouvoir, les jeunes Congolais se sentent marginalisés, résignés et fatalistes, les règles biaisées du jeu politique les privent de tout espoir d’inverser le statu quo. Leur précarité financière leur laisse peu de temps pour s’investir en politique, leur priorité est la recherche de moyens de survie.
La société a aussi sa part de responsabilité à travers l’école. La politique et l’économie ont découragé les jeunes, mais l’incivisme a gangrené l’école, tremplin de la réussite sociale pour eux. Elle ne favorise plus l’apprentissage des valeurs citoyennes. Les jeunes sont découragés par le piètre exemple donné par les acteurs politiques, que ce soit lors des élections ou dans la gestion des affaires publiques. Certains parmi ces politiciens s’illustrent par la gabegie, la concussion, le népotisme, le sectarisme…
L’école, loin de sa mission (éducation et instruction des jeunes), forme maintenant des semi-analphabètes qui ignorent même leurs propres droits. Ils deviennent alors des clients potentiels du tribalisme et de l’éthnicisme, souvent expressément développés par l’homme politique pour ses intérêts électoraux. Cet analphabétisme et cette ignorance de leurs droits et obligations civiques s’ajoutent à une culture qui ne valorise pas leur participation politique car ils sont considérés comme étant « sous tutelle » dans une société pyramidale. Les jeunes doivent ainsi ne pas contredire les aînés, les femmes ne doivent pas contredire les hommes, etc. Cette culture de la soumission s’étend au champ politique, ce qui ne favorise pas l’émancipation politique des jeunes.
Malgré tout, les jeunes Congolais ne sont pas intrinsèquement apolitiques. Cependant, prenons garde que cette désaffection ne soit pas une bombe à retardement. On se rappelle des actes inciviques portés par une jeunesse que la désespérance a entraîné vers des milices lors des tristes événements qui ont entourés les premières années de la démocratie pluraliste.
Contrepoints.org 

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