Les massacres se poursuivent contre la population de Beni dans l’Est de
la République Démocratique du Congo. Le nombre des victimes a franchi le
seuil de 300 morts, le dernier bilan ayant été 293 après le massacre du
4 février dernier. Mercredi 15 avril, 18 personnes, dont une femme
enceinte, ont été tuées à la machette (9 décapitées) dans les
localités de Matiba et Kinzika, ce qui porte le bilan total des
massacres à 311 tués depuis le début de la campagne meurtrière en
octobre 2014. Le caractère génocidaire des massacres ne fait plus
l’ombre d’un doute.
En effet, si officiellement les tueries sont le fait des rebelles
ougandais des ADF/Nalu, la réalité est tout autre, et on gagnerait du
temps à désigner clairement les auteurs de ces tueries[1].
A Beni, la population ne prête même plus attention à la version
officielle consistant à attribuer ces tueries aux rebelles ougandais des
ADF[2]. Elle sait qui la tue, les images des victimes portent la signature de leurs auteurs[3]. Les rescapés les ont clairement décrits comme cela apparait dans le dernier rapport des experts de l’Onu[4]. Les assaillants s’expriment en kinyarwanda (la langue du Rwanda)
une langue dans laquelle ne s’exprime aucun groupe armé du territoire
de Beni. Même les rebelles ougandais des ADF, du temps où ils
sévissaient, étaient facilement identifiables : ils s’exprimaient en kiswahili et en luganda (la langue du centre de l’Ouganda).
Si des tueurs rwandophones ont fait leur apparition en territoire de
Beni, c’est qu’ils y ont été amenés sciemment et pour massacrer une
population bien spécifique : les Banande, l’ethnie autochtone de la contrée.
Pourquoi ils tuent les Banande ?
Les massacres qui visent les populations nande de l’Est du
Congo ne sont pas le fait de quelques énergumènes qui errent dans la
brousse. Ce sont des actes planifiés et exécutés à froid. Ils
s’inscrivent dans la stratégie globale des régimes de Kigali et de
Kampala (avec leurs complices à Kinshasa et leurs parrains en Occident).
Ils visent à éliminer le plus des populations autochtones congolaises
possibles pour libérer des espaces dans l’Est du Congo, en général des
zones riches en minerais et fertiles pour l’agriculture. Dans ces zones
abandonnées par les autochtones devraient, à terme, s’implanter des
populations en provenance du Rwanda et de l’Ouganda. Ces deux pays, en
particulier le Rwanda, sont considérés comme dépourvus d’espace et de
ressources pour leurs populations. Celles-ci doivent se « déverser » dans l’Est du Congo dans la perspective d’un projet devant aboutir au détachement du Kivu du reste du Congo[5].
Mais cette opération requiert d’éliminer au préalable les populations
autochtones. Elle requiert également de tester et de briser sur la durée
la capacité des Congolais à résister et à s’opposer à ce projet
d’implantation forcée de ces populations étrangères sur le sol congolais[6].
Dans le cas spécifique des Banande, ces tueries permettent
de faire d’une pierre deux coups. Puisqu’ils sont le groupe ethnique
majoritaire du Nord-Kivu, leur réaction donnera une idée de la capacité
des Congolais, en tant que peuple, à résister au projet visant à
implanter de force des populations en provenance du Rwanda et de
l’Ouganda sur le sol congolais. Par ailleurs, en semant la désolation
dans la partie nord de la province du Nord-Kivu, son poumon économique,
on touche les populations congolaises au portefeuille. On les appauvrit,
ce qui devrait faciliter leur soumission aux projets qui se trament
derrière les tueries. Mais il s’agit d’actes de provocation synonymes de
pari sur l’inconnu, la situation pouvant basculer dans des violences
généralisées. Bien entendu, une nouvelle flambée de violences
interethniques dans l’Est du Congo arrangerait les affaires de bien des
gens à la fois[7].
Notre silence tue
Il est toutefois possible que les Banande décident de ne pas
réagir. Ils ont pris conscience des desseins machiavéliques qui se
trament derrière ces tueries. Ils savent qu’ils risquent de subir un
carnage de plus grande ampleur de la part des régimes tutsi/hima du Rwanda, de l’Ouganda et de Joseph Kabila,
s’ils décidaient de s’en prendre à ceux qu’ils considèrent comme les
auteurs et les complice de ces tueries. Le genre de piège qui se referma
sur le peuple rwandais en 1994[8]. Les Banande
vont donc, probablement, se résigner et continuer de se faire tuer dans
le prolongement du cycle des massacres dont le Congo est l’objet depuis
1996. Des massacres qui, faut-il toujours le rappeler, ont causé la
mort de six millions de Congolais, la moitié étant des enfants.
Face au martyr d’une population qui se résigne à se laisser
massacrer, parce qu’elle estime qu’elle ne peut pas faire autrement,
nous sommes, chacun, devant un cas de conscience. Un jour cette page
sombre de l’histoire du Congo, ouverte en 1996, sera refermée et toutes
ces atrocités remonteront à la surface. Les Allemands, après la défaite
du Troisième Reich, ont affirmé qu’ils n’étaient pas au courant
des atrocités auxquelles se livraient les Nazis. Comme l’indique le
journaliste américain Nicolas D. Kristof[9],
au sujet du génocide qui se déroule au Congo, nous sommes nombreux à
nous persuader que nous nous serions mobilisés si nous avions vécu à
l’époque de la barbarie nazie. Et pourtant, aujourd’hui, un génocide se
déroule là, sous nos yeux, depuis deux décennies. Il a duré plus
longtemps que l’Holocauste, et se poursuit tandis que ses auteurs
restent impunis[10].
Au 21ème siècle, il est possible de mobiliser les
consciences pour obtenir le déclenchement d’une enquête internationale
sur ces tueries, l’arrestation de leurs commanditaires à Kinshasa, à
Kigali, à Kampala et leurs parrains tapis dans les capitales
occidentales. Il est possible de les traduire en justice et de les faire
condamner à de lourdes peines, en application des lois nationales et du
droit international. Mais nous laissons faires et gardons silence[11]. Notre silence tue…
Boniface MUSAVULI
agoravox.fr/
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