vendredi 24 avril 2015

La famine, une menace de plus pour le Niger

Sécheresse, récoltes impossibles suite aux attaques de Boko Haram, éducation défaillante... Benoît Thiery, du Programme alimentaire mondial, alerte sur les risques humanitaires et sécuritaires aux alentours du lac Tchad.

Deux millions et demi de personnes touchées par la faim : c’est l’estimation donnée par les autorités de Niamey. La précarité alimentaire touche ainsi une nouvelle fois les zones rurales et frontalières du bassin du lac Tchad. Le déficit céréalier, lié aux faibles pluies, comme en 2009 et 2010, est aggravé par l’afflux des réfugiés du Nigeria.
Ces derniers, principalement rassemblés dans la région de Diffa, à l’extrême Est du pays, au pli des frontières Nigeria-Tchad-Cameroun, sont estimés aujourd’hui entre 60 000 et 70 000 après un pic de près de 100 000, fin 2014. C’est sur cette zone semi-désertique que se sont déroulées les premières attaques de Boko Haram (qui se présente désormais sous le nom de «Province ouest africaine de l’Organisation de l’Etat islamique»), côté Niger, les 6 et 7 février, avec pour conséquence immédiate un exode qui a jeté réfugiés et populations locales sur l’axe routier Diffa-Zinder, long de 470 km, dans un dénuement complet et une panique totale. «Malheureusement, la région la plus touchée par cette nouvelle insécurité alimentaire est justement la région de Diffa où elle se combine à la crise sécuritaire», analyse Benoît Thiery, représentant du Programme alimentaire mondial (PAM) à Niamey.

Avancée du désert

Benoît Thiery s’inquiète d’ailleurs des conséquences de l’exode des populations locales qui ont fui cette zone de production maraîchère et où la culture du poivron est la principale source de revenus : «Quand pourra-t-on de nouveau cultiver, produire ?» s’interroge le représentant du PAM, compte tenu «de l’insécurité et de la porosité» de la frontière malgré un renforcement des troupes dépêchées par Niamey.
Pour Benoît Thiery, «la sécheresse et les faibles pluies de l’an dernier ont fait avancer le désert. Le problème du manque de pâturage se pose». 600 villages sont en insécurité alimentaire sur tout le territoire national, dont «400 dans la région de Diffa et du lac Tchad». Tout le Niger n’est pas touché : la zone de Tahoua, au nord-ouest, par exemple, ville d’où est originaire le président Issoufou, a été gâtée par les précipitations «et les récoltes sont plutôt bonnes», selon Benoît Thiery.
Pour le ministère de l’Agriculture, qui a lancé un programme ambitieux de 130 000 hectares de cultures irriguées donnant des résultats encourageants, il faut toutefois arriver à subvenir aux besoins des populations avant la saison des pluies, qui débute dans un gros mois. Le Programme alimentaire mondial, qui a dû retirer ses équipes en février devant la menace de Boko Haram dans la zone du bassin du lac Tchad, doit désormais localiser les populations en difficulté, tout en assurant la sécurité de ses employés dans une région encore instable. 

Des adolescents «lâchés dans la nature»

A cette «insécurité alimentaire chronique» s’ajoute le problème de la natalité. La population du Niger pourrait doubler à l’échéance de 2033 et ainsi passer de 17 à 34 millions d’habitants. Avec pour corollaire des problèmes dans le secteur de l’éducation, déjà en partie défaillant. «Le système scolaire court après cette démographie galopante et a toutes les peines à absorber la masse des élèves», et ce malgré les efforts consentis par le gouvernement.  «50 % des élèves scolarisés arrivent en CM2. 15 % finissent le collège et le reste disparaît des statistiques», confiait en février un cadre nigérien de l’Education nationale en charge des programmes.
Une source appartenant à une ONG à Niamey s’inquiétait de «tous ces adolescents lâchés dans la nature», les estimant «à environ 1,3 million qui ne sont plus scolarisés, ou qui l’ont été faiblement». Ces derniers seraient autant de «proies faciles et malléables pour des charlatans et autres prédicateurs», dans un pays où le contrôle des madrasas, ces écoles coraniques, est quasiment inexistant. Après l’insécurité alimentaire et l’insécurité aux frontières, ce million de jeunes sans formation est qualifié de «bombe à retardement» par certaines ONG.

 Jean-Louis LE TOUZET
liberation.fr

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