(Rue 89 19/12/2011) Charles Ingabire, un journaliste en ligne rwandais, survivant du génocide, est la dernière victime d'une série d'attentats sanglants ciblant des journalistes rwandais. Charles Ingabire a été tué à l'extérieur d'un bar à Kampala, le dimanche 30 novembre 2011, et son assassinat ressemble à une exécution.
Les assaillants qui auraient circulaient à bord d'une 4x4 Pajero ont immédiatement disparu. Un responsable de la police ougandaise sur la scène du crime a déclaré que le corps de la victime présentait deux blessures par balles (dans la nuque) et que cinq cartouches d'un fusil-mitrailleurs y ont été trouvées.
Charles Ingabire était l'éditeur du site web en kinyarwanda inyenyerinews.org.
Un autre journaliste, Charles Rugambgage, a été assassiné en juin 2010 au Rwanda. La voiture dans laquelle il voyageait a été criblée de balles alors qu'il approchait son domicile à Kigali.
Selon le site web Umuvugizi, sans doute le journal le plus critique au Rwanda (maintenant disponible seulement en ligne après avoir été interdit), le tireur qui a été condamné à dix ans de prison a déjà été libéré, après moins d'un an de détention.
Le motif de l'assassinat d'Ingabire est encore à découvrir, mais il est bien établi qu'il avait été un critique féroce du régime du président rwandais Paul Kagame. Pour sa part, le Rwanda a nié toute responsabilité affirmant que le journaliste n'était pas un opposant très connu. Toutefois, plusieurs articles publiés par Ingabire ont été très critiques envers le gouvernement.
Juste avant son assassinat, Charles Ingabire avait publié un article accusant la Première dame du Rwanda, Mme Jeannette Kagame, de corruption.
En particulier, il accusait le gouvernement d'accorder d'une façon illicite des marchés à des sociétés liées à la première dame. Certaines des sociétés mentionnées sont Fair Construction (construction équitable), et une compagnie britannique (dont le nom n'est pas mentionné) proche de l'ancien Premier ministre britannique Tony Blair.
Dans l'article, publié quelques jours avant son assassinat, il écrivait [en Kinyarwanda] :
« Le leadership de Paul Kagame aime à se vanter d'être celui qui se bat contre la corruption au Rwanda, au point même de se faire acclamer. Ceux qui croient à cela sont naïfs et ignorants des détournements impliquant Kagame et sa famille, particulièrement sa femme Jeanette. »
Large condamnation
Plusieurs organisations et partis politiques en exil ont publié des déclarations condamnant l'assassinat et exigeant une enquête adéquate. Le FDU Inkingi, le parti de l'exilé politique Victoire Ingabire, a publié une déclaration :
« Les circonstances de sa mort montrent qu'il a perdu sa précieuse vie à cause de ses opinions. Ce n'est pas la première fois qu'un critique du gouvernement rwandais est assassiné dans les pays voisins. »
Le Rwanda National Congress [Congrès national du Rwanda] (RNC), un parti dont le chef, Kayumba Nymawasa, a survécu à une tentative d'assassinat en Afrique du Sud l'année dernière, a également dénoncé le meurtre dans un message publié sur la page Facebook de son coordinateur, Théogène Rudasingwa :
« Le Congrès national du Rwanda (RNC) condamne dans les termes les plus forts la politique odieuse et lâche des assassinats politiques employée par le Président Paul Kagame pour terroriser et réduire au silence tous ses critiques et les Rwandais en général. »
Cet assassinat a été largement débattu sur Twitter. Cependant, Paul Kagame, un fervent utilisateur de Twitter est resté curieusement silencieux.
Voici quelques-unes des réactions sur Twitter :
@Rwandankunda : « Charles Ingabire, abattu par des voyous de # Kagame, hier ; il venait de publier un article accusant la femme de Paul Kagame de corruption. »
@jckato : « aucun assassin ne réussira à museler la liberté d'expression, Repose en paix Charles Ingabire »
@Nosa35 : « Monsieur le Président, vous nous aviez dit que vous respecteriez la loi, mais que veut dire cet assassinat du journaliste rwandais Charles Ingabire ? »
@andybk82 : « Pourquoi les journalistes d'Afrique de l'Est gardent-ils le silence sur l'assassinat de Charles Ingabire ? De l'hypocrisie. »
@mugumya : « Assassiné Rwanda journaliste Charles Ingabire a eu le service funèbre le plus bizarre. Aucun des responsables de l'ambassade du Rwanda n'y a assisté. Plus d'espions que de personnes en deuil ! »
@Jendinda : « Reposez en paix Charles Ingabire (journaliste rwandais critique du Président Kagame), ils ont réussi à vous faire taire, mais on se souviendra de votre travail. »
« Quelles preuves ? »
La plupart des utilisateurs de Twitter semblaient pointer du doigt le gouvernement rwandais et peu ont partagé la position officielle du gouvernement :
philquin : « Je n'ai vu aucune preuve - aucune, zéro, nada, zip - que Charles Ingabire a été, dans tous les sens du mot, un journaliste. »
@kagire : @mugumya « Vous semblez vraiment vous être déjà fait un jugement. Ingabire Charles était un inconnu. Si vous êtes un scribe, ne portez pas de jugements hâtifs. »
@Tlambert2011 : « Le soi-disant “réfugié politique” Charles Ingabire n'est pas connu des Rwandais. Ne confondez pas les gens, laissez la police faire son travail. »
Son assassinat a été largement couvert par les blogueurs aussi. Abbaye Semuwemba, qui écrit sur le site modernghana.com dit qu'elle a pensé à l'assassinat de son propre père qui était lui aussi journaliste :
« J'ai toujours admiré le leadership de Paul Kagame, comparé à d'autres dictateurs africains, mais je pense que c'est là un de ses points faibles, c'est-à-dire tuer ses adversaires politiques à l'étranger au lieu de calmer les choses. C'est là que [le président] Museveni de l'Ouganda est meilleur que lui, c'est-à dire qu'au moins lui, il tue certains et corrompt d'autres. Tuer est probablement la dernière solution pour Museveni, au moins. »
Le blog Cri pour la liberté au Rwanda s'en est pris à l'agence des Nations unies pour les réfugiés, le HCR, pour avoir refusé la demande de la victime d'une relocalisation dans un pays beaucoup plus sûr :
« Je dois dire que le HCR a une longue histoire de trahison des réfugiés rwandais. Lors de ma visite en Ouganda en 2009, on m'a dit que le statut de réfugié était souvent nié aux dissidents rwandais par l'agence.
A certains d'entre eux, qui portaient portant des signes physiques de la torture, le traitement de leur dossier avait été refusé. Il semble que le HCR opère toujours sous le prisme dépassé qui présente Kagame comme le bon gars.
Cela est regrettable car le HCR a pour mandat de protéger les réfugiés, sans discrimination. Il confirme qu'il renvoie des réfugiés menacés de mort. »
Liam a fait remarquer que la réputation de Paul Kagame est de plus en plus ternie par son mauvais traitement des journalistes :
« Cette ambiguïté et cette appréhension tournent autour du possible - ou, comme certains diraient, le probable - rôle du président rwandais Paul Kagame, le libérateur d'autrefois qui règne maintenant au Rwanda par la tyrannie et la brutalité, d'une manière décrite comme étant pire que celle du Président Robert Mugabe. »
Le motif de l'implication de Paul Kagame dans l'assassinat est clair : en tant que rédacteur en chef du site web d'information anti-régime Inyenyeri, Charles Ingabire était une épine constante dans le pied du président et de ses acolytes, ce qui a conduit à des menaces et au harcèlement, l'obligeant à partir en Ouganda comme réfugié politique. En continuant son travail en ligne en exil, il a continué à provoquer le régime, qui tirera maintenant profit de sa disparition certainement. »
Internet menace les dictateurs
Enfin, Alex Gakuru, analysant l'assassinat de Charles Ingabire du point de vue de la liberté sur Internet, fait valoir que l'Internet se révèle être une grande menace pour les dictateurs du monde entier. Toutefois, a-t-il ajouté, les dictateurs feraient mieux d'accepter la critique :
« Il serait beaucoup plus facile, pour tout le monde, si ces gouvernants, effrayés par des plateformes de médias sociaux de plus en plus sophistiqués qui offrent de nouvelles avenues puissantes pour une action de masse, acceptaient les critiques sur leur mauvaise gouvernance et faisaient quelque chose pour y remédier, plutôt que de recourir à l'assassinat des défenseurs des droits.
Ils fomentent ainsi des rébellions qui conduiront probablement à leur renversement par la volonté du peuple. Ils doivent réaliser que chaque assassinat nourrit la rage des gens et de nouvelles révoltes en ligne qui, une fois cristallisées et consolidées, les chasseront du pouvoir qui leur était monté à la tête et dans les veines. »
Charles Ingabire laisse une épouse et un bébé de cinq mois.
Etienne Mashuli · Traduit par Abdoulaye Bah
Publié initialement sur Global Voices
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