(Le Pays 21/12/2011)
De quoi donc a peur le régime de Me Wade ? Face aux multiples manifestations hostiles à sa candidature, le chef de l’Etat sénégalais semble vouloir prendre les devants. Me Abdoulaye Wade a retenu le 23 décembre prochain pour son investiture comme seul candidat du Parti démocratique sénégalais (PDS) à l’élection présidentielle de février 2012. Un autre 23 !
En effet, le 23 juin 2011, un collectif de Sénégalais outrés, s’était violemment opposé à l’intention de l’actuel occupant du palais de Dakar de réformer la Constitution. Promoteurs du mouvement du 23-Juin et nombre de nouveaux venus de la scène politique sénégalaise se disent déterminés à barrer la route au président-candidat. Leur mobilisation est loin de faiblir. Elle a même entraîné un peu partout l’éclosion de mouvements d’opposition. Une preuve que la culture démocratique est bien enracinée au Sénégal. Sauf qu’une certaine fébrilité règne dans l’entourage de Me Wade et ses partisans. Ils tendent à verser systématiquement dans la répression.
Pourquoi donc ces intimidations et ces interpellations dont l’une des toutes dernières a porté sur la personne de Me Alioune Tine ? Pourquoi redouter ces manifestations qui ne sont que le simple reflet de la vitalité d’une démocratie qui risque fort de se scléroser ? La répression ne mène à rien. Elle traduit même une forme de faiblesse. En réprimant, le pouvoir du PDS voudrait-il pousser les organisateurs des manifestations à s’assagir, à différer leurs projets ? Le risque est pourtant grand, dans ce cas, que les passions débordent. Plutôt que de bander du muscle, Me Wade et les siens devraient penser à célébrer les sautes d’humeur des opposants. Elles traduisent, en fait, la profondeur de la prise de conscience et l’attachement inébranlable du peuple sénégalais à l’expression plurielle.
Mais pourquoi donc Me Abdoulaye Wade, qui a joui des années durant d’une grande popularité auprès des masses sénégalaises, ressentirait-il encore ce besoin de chercher la petite bête ? Sinon, pourquoi l’homme donne-t-il l’impression de vouloir convaincre les plus sceptiques qu’il est toujours en mesure de défier le temps et de relever de nouveaux défis ? A moins de chercher à se surpasser pour se faire plaisir. A s’y méprendre, les risques que prend chaque jour le président Wade, sont à situer dans le contexte du Sénégal d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Après deux mandats consécutifs, le chef de l’Etat sénégalais, à l’instar de nombreux dirigeants africains, est probablement atteint de la boulimie du pouvoir.
Envers et contre tout, l’homme continue à se débattre comme un beau diable pour ne pas se laisser arracher le fauteuil devenu à ses yeux un droit divin. Homme des intrigues et des situations les plus inimaginables, Me Wade sait bien exploiter la cupidité qui habite de nombreux acteurs politiques de son pays. Les divergences qui minent l’opposition, il sait en tirer profit. Et cet alliage des contradictions, l’actuel chef de l’Etat sénégalais en fait un attelage qui lui permet à chaque occasion, de sortir son lapin du chapeau et de voguer sereinement à bord de « son » navire. Mais, trop c’est quand même trop ! De plus en plus, le leader du PDS se voit isolé de la quasi-totalité des forces de progrès de son pays. Lui qui brille aujourd’hui par une forme d’autisme, doit périodiquement affronter les levées de boucliers qui hérissent aujourd’hui le paysage politique sénégalais. Cela fatigue. Le poids de l’âge a aussi ses effets. Ils sont dévastateurs et il le sait. Me Abdoulaye Wade sait que les générations se succèdent et que les valeurs de référence ne sont pas forcément les mêmes. Les Sénégalais, comme tant d’autres Africains, sont résolus à tourner la page d’un certain passé.
Pourtant, le chef de l’Etat sénégalais persiste et signe. Comme d’autres dirigeants de ce continent, il se heurte chaque jour à l’évidence. En dépit de sa grande expérience de la vie et de l’immensité de son savoir, il laisse chaque jour le fossé se creuser davantage entre lui et le peuple sénégalais qui aspire à autres choses que ce qu’il offre. Les repères sont, certes, importants mais la vitesse avec laquelle la culture démocratique innerve le continent, fait que les obstacles à la communication se multiplient et se complexifient. Incompréhensions, ruptures de dialogue et conflits de toutes sortes rythment désormais la vie sur le continent. Pour que puisse avancer la démocratie dans les pays africains, ne faut-il pas justement, face aux opposants, faire preuve d’une certaine ouverture d’esprit, d’une tolérance à toute épreuve et surtout d’une grande maîtrise de soi ? En la matière, le régime du Parti démocratique sénégalais (PDS) déçoit beaucoup. Me Wade lui-même est devenu sourd aux appels.
Récemment, des députés américains en ont fait les frais. Ils espéraient tant se faire entendre par celui qui n’a plus d’yeux que pour son fauteuil et son prochain mandat. A tel point que l’on peut se demander ce que cache réellement le choix de la date fatidique du 23 décembre 2011. En faisant le choix du 23 décembre 2011 comme date de son investiture, Wade confirme qu’il redoute sérieusement un remake du 23 juin 2011. En d’autres termes, Me Abdoulaye Wade cherche à masquer ses peurs : la peur d’un autre Sénégal qu’il a de la peine à deviner et surtout la peur d’un citoyen sénégalais de type nouveau qu’il ne parvient pas à maîtriser. Pour le chef de l’Etat, réussir à exorciser le mal du 23-Juin, demeurera pour longtemps un vrai casse-tête.
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