(La Libre 12/12/2011)
La capitale congolaise est hantée par le risque d’une explosion de violence. Dimanche, la vie semblait reprendre un cours normal, mais le pire n’était pas exclu.
Des familles en tenue du dimanche se rendent à l’église, un groupe de gamins joue au foot sur une route défoncée, les marchands ambulants ressortent leurs étals, la vie reprend doucement son cours à Kinshasa.
La veille, après la proclamation de la victoire du président sortant Joseph Kabila, la capitale congolaise avait des allures de ville morte, avec des commerces fermés, des rues désertes et aucun transport public en circulation. Les Kinois se terraient chez eux par peur d’une flambée de violence. Dans certains quartiers acquis à l’opposition, des jeunes se sont regroupés, ont bloqué les routes, brûlé des pneus et quelques voitures, mais ils ont été rapidement dispersés par les forces de l’ordre, présentes en masse dans la ville.
Vendredi et samedi, des tirs ont été entendus à plusieurs reprises. La police a reconnu la mort de quatre personnes, tandis que l’opposition affirme qu’une dizaine de ses partisans ont perdu la vie.
Le principal adversaire du chef de l’Etat, Etienne Tshisekedi, rejette les résultats annoncés par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Il qualifie ces derniers de " véritable provocation " et s’est autoproclamé " président élu de la République démocratique du Congo ".
Dans la résidence de celui qu’on surnomme "le Sphinx de Limete ", en référence au quartier populaire où habite l’opposant, on décompte les résultats compilés dans les bureaux de votes. " Tshisekedi l’emporte avec plus de 56 % , affirme une jeune femme en brandissant une pile de documents. La population congolaise s’est exprimée : Kabila a perdu ."
Pour l’instant, Etienne Tshisekedi a demandé à ses militants de " garder leur calme " et réclame l’intervention des diplomates étrangers. " La communauté internationale est garante de la paix dans le monde , a-t-il déclaré. Elle ne va pas laisser le Congo dans cette situation indéfiniment, sans trouver une solution à ces problèmes ."
Ses " combattants ", comme il les appelle, n’affichent pas toujours la même confiance. Le ton monte. Les journalistes occidentaux sont accusés de prendre parti pour Joseph Kabila. La Belgique est dans leur ligne de mire. " Vous avez laissé tomber la population congolaise. Et ceux qui manifestaient leur mécontentement à Bruxelles ont été arrêtés ", s’emporte Julien Tshisekedi, le petit-fils du candidat malheureux, faisant référence aux émeutes qui ont eu lieu ces derniers jours à Matongé. " Vous ne pensez pas que cela prouve de quel côté sont les Belges ? "
Du côté de la majorité présidentielle, on qualifie les déclarations du leader de l’opposition de " vaste blague ". " Il met tout en œuvre pour que nous l’arrêtions afin de se présenter en martyr, mais nous n’allons pas lui offrir cette opportunité , affirme le secrétaire général du PPRD, Aubin Minako. Il n’y aura pas d’embrasement. Pour cela, il faudrait que M. Tshisekedi regroupe plusieurs milliers de personnes prêtes à descendre dans la rue. Et il n’a pas assez de militants derrière lui pour cela ."
Si Kinshasa ne semble pas au bord de l’insurrection générale, la situation reste tendue. Comme toujours dans la capitale - et bien qu’aucun SMS ne passe depuis une semaine -, les rumeurs se répandent rapidement. On évoque tour à tour des pillages commis par des policiers en civil, des arrestations d’opposants la nuit dans les "cités", ou encore l’imminente prestation de serment d’Etienne Tshisekedi.
Sur les grandes artères de la ville, et dans le quartier de la Gombe où se concentrent les institutions et les ambassades, policiers et militaires patrouillent, lourdement armés. La stratégie consiste à intimider les éventuels fauteurs de trouble. Mais le pouvoir jouit aussi d’un autre atout pour maintenir le calme : la population kinoise vit au jour le jour. Une journée sans travail, c’est une journée sans manger. " Nous sommes en colère, mais lundi, il faudra retourner au travail , dit Nicaise Jimanga, un comptable kinois. La vie est déjà très difficile, nous ne pouvons pas nous permettre de rester chez nous ."
Kinshasa semble cependant encore loin d’un retour à la normale. L’avenir reste incertain. Tout le monde s’est préparé au pire, et semble ne pas croire qu’il pourrait finalement ne pas arriver.
Reportage de notre envoyée spéciale à Kinshasa, Patricia Huon
Mis en ligne le 12/12/2011
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